Maudits silmarils : maudit AU by Dilly

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Les vieilles dames


Les vieilles dames

 

Radieuse, Mme Mazars fit son entrée dans la Boulangerie du Moulin. La matinée n'était pas très avancée, mais la plupart des casiers présentant les pains étaient vides.

« Ben ça 'lors, l'Belin est toujours malade ? », dit la vieille dame en s'avançant jusqu'au comptoir.

Ses petites chaussures à talons et nœud papillon défraîchi faisaient sonner les dalles mosaiquées noires et blanches.

« Hé, malheureusement oui... », répondit Mme Leblond, la tenancière. « Il a attrapé une mauvaise grippe ».

Mme Mazars se pencha en avant.

« Comment qu'il a donc fait son compte ? », s'enquit-elle. « Quand j'le vois il a toujours les joues bien roses ! »

« C't'est qui doit v'nir travailler ici chaque nuit, et il habite en banlieue... A c't'heure y'a point d'métro, alors il prend sa bicyclette. Alors ça le crève, pensez-vous bien. Surtout par ce froid qu'il fait t'en ce moment. »

« Faudrait qu'il trouve à habiter près d'ici. Hé ! Vous n'pouvez point l'prendre chez vous ? »

« J'lui ai ben proposé ! Mais il veut point, c't'entêté ! Vous connaissez les jeunes... »

Elle se tourna vers les baguettes et les pains blancs, la main droite légèrement tremblante.

« Vous prendrez la même chose que d'habitude ? »

« Oui », répondit avec douceur Mme Mazars. « Toujours la même chose. »

Pendant que Mme Leblond lui préparait sa commande, elle se mit à regarder mécaniquement les annonces épinglées sur le tableau de liège. Puis elle revint en trottinant devant la caisse.

« Je viens de voir que quelqu'un cherchait un colocataire dans le quartier », dit-elle en articulant bien chaque mot. « Ça ne pourrait pas intéresser l'Belin ? »

« J'sais point. Il m'a dit qu'il n'voulait point habiter avec personne ! »

« Mais c'est un autre jeune. Avec un autre jeune, il s'entendrait bien. Et il se ferait des amis. »

« Alors ça doit être l'annonce du monsieur Lafontaine », dit la boulangère. « Mais j'n'sais point si Belin pourrait s'entendre avec lui. Il est un peu bizarre. »

« Ah bon ? », répondit Mme Mazars, se courbant encore plus au-dessus du comptoir.

« Il a d'longs cheveux noirs, et il n'sourit jamais, rien avoir avec le Belin qu'est toujours si gracieux. »

« Quand vous dites qu'il a d'longs cheveux noirs, vous voulez dire comme ceux qui font du harde 'rock ? »

« Oui, exactement comme ça. Et il a une grosse chevalière sur l'index de la main droite. »

Comme satisfaite, Mme Leblond ponctua cette révélation d'un haussement de sourcils et d'un hochement de menton.

« Ça alors, ça s'rait point un sataniste tout d'même ? », s'ébahit Mme Mazars.

« J'pense point, car il a toujours sa médaille de la Sainte Trinité autour du cou. Et je m'souviens qu'une fois, il m'a dit qu'il était allé à la Manif... »

« La manif ? Celle du Premier Mai ? »

« Non, la Manif Contre les Homos. »

« Ah bon ? »

« Mais oui. »

« Mais si il aime les curés, pourquoi qu'il s'laisse pousser les cheveux ? »

« J'savons point. En tout cas c'est point l'pire. L'pire c'est qu'il veut point manger d'pain blanc. Il n'achète que du pain complet ou du pain d'seigle. »

« Mais qu'est-ce qu'il lui a fait, l'pain blanc ? »

Mme Leblond leva ses larges mains vers le ciel.

« Allez savoir. »

Mme Mazars sortit un porte-monnaie de son sac et ses doigts maigres aux veines apparentes en tirèrent lentement quelques pièces de monnaie. Mme Leblond prit l'argent, puis lui tendit une baguette et un pain liés ensemble par une feuille de papier.

« Merci bien. Je reviendrai jeudi », annonça la vieille dame.

« Passez une bonne journée », répondit aimablement la commerçante.

Lorsque Mme Mazars laissera retomber la porte carillonnante, Mme Leblond eut brusquement l'air fâchée. La tête baissée, elle fit le tour du comptoir pour aller décrocher l'annonce d'Eric de la Fontaine.

Elle la considéra quelques instants. Puis elle décrocha son téléphone.

 


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