Maudits silmarils : maudit AU by Dilly

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La colocation


La colocation

 

Belin se tenait devant la porte carillonnante. Mme Leblond s'approcha de lui et réajusta son écharpe autour du cou.

« Allons ! J'espère que ça va bien s'passer ! »

« J'pense bien », répondit Belin.

Il sortit de la boulangerie. Un grand jeune homme, en jeans et blouson marron à capuche, patientait sur le trottoir. Belin n'avait jamais vu, directement, d'homme avec de si longs cheveux. Lui-même les portait un peu longs, mais cet Eric de la Fontaine les avait jusqu'à la taille, un peu comme les hard-rockers. Il avait les traits fins, avec une silhouette semblant athlétique. De longs cils ourlaient ses yeux clairs, mais sa bouche était ouverte.

« C'est vous, Belin ? »

« Oui. »

Le jeune homme blond lui tendit une main franche et amicale. Eric la serra, les sourcils froncés.

« Ce n'est vraiment pas loin, à deux rues d'ici », précisa-t-il.

Il traversa le passage piéton, et Belin le suivit. Tandis qu'ils marchaient, en cette journée de novembre ensoleillée, le boulanger avait l'impression que l'autre le dévisageait.

« Vous êtes boulanger depuis quand ? »

« Depuis trois ans », répondit Belin, toujours étonné que l'autre le vouvoie.

« C'est quel bac ? »

« Je n'ai pas le bac. J'ai fait un CAP. »

« Ah. »

Il y eut un silence.

« Et vous aimez quoi comme musique ? »

Belin pensa qu'il devait essayer de marquer des points, s'il voulait l'emporter sur les autres candidats à la colocation.

« J'aime le hard rock ! », mentit-il.

« Ah bon ? Moi je déteste ça. »

Perdu. Ils passèrent devant un KFC.

« Vous aimez ? », demanda Eric.

Belin haussa les épaules.

« C'est là », dit Eric.

Ils se trouvaient devant la porte d'un immeuble haussmanien. Belin ne s'attendait pas à ça.

« C'est l'appartement de mes parents », expliqua Eric en le laissant entrer. « L'an dernier j'avais une bourse d'étude, mais plus cette année. »

Il commença par lui montrer la salle de bains, où il y avait une baignoire, et la chambre non occupée, relativement spacieuse.

Belin n'osa pas demander pourquoi il vivait seul dans l'appartement de ses parents. Peut-être ceux-ci habitaient à l'étranger pour leur travail. Sur une commode, dans le couloir, il y avait une photo encadrée, représentant deux adultes en uniformes militaires – l'homme était particulièrement séduisant, et ressemblait un peu à Eric de la Fontaine.

« Voici ma chambre », dit ce dernier.

Elle était plus petite que l'autre, et on pouvait deviner qu'elle avait été rangée à la hâte. Une chaussette sale dépassait de sous le lit, dont la couette était froissée ; la poubelle près du bureau débordait. Dans un coin se trouvait une chaîne hi-fi avec un gros casque. Il y avait aussi deux étagères. L'une était remplie de livres et de classeurs, l'autre de cds impeccablement classés. Belin s'approcha pour les regarder. C'était de la grande musique... Il y avait d'ailleurs un diplôme du conservatoire accroché sur un mur, ainsi que différents posters. L'un d'entre eux représentait un homme aux longs cheveux bruns, qui posait avec un violon.

« C'est Magloire ! », expliqua Eric de la Fontaine. « Le grand compositeur. »

Il montra une autre affiche, sur laquelle on voyait un escrimeur, casque au bras. Il avait lui aussi de longs cheveux bruns, mais ceux-là étaient noués en chignon.

« Lui c'est Kano, l'ancien champion d'escrime ! »

Belin comprit soudain pourquoi Eric de la Fontaine s'était laissé poussé les cheveux aussi longs. Il voulait simplement ressembler à ses idoles.

« J'en fais, de l'escrime », ajouta Eric. « Mon entraîneur c'est Laurent Findel. Vous le connaissez peut-être ? Il est très connu ! »

« Oh non je n'vois point. »

« Vous faites quoi comme sport ? »

Belin réfléchit.

« J'fais du vélo de temps en temps. »

Le visage d'Eric de la Fontaine se froissa, comme s'il ne comprenait pas. Belin sentit que la colocation lui échappait.

« Et vous jouez de quel instrument ? »

« J'sais jouer un peu d'accordéon. C'est mon tonton qui m'avait appris. »

Le visage d'Eric de la Fontaine ne s'arrangea pas.

« Je vais vous montrer le reste. »

La cuisine était équipée, avec une table pour y manger, et Belin s'imagina y faire des gâteaux. Quant au salon, il était large et lumineux, avec un sofa, une table basse, une télévision.

« Mme Leblond m'a dit que vous vous leviez tôt pour aller au travail. »

« Oui mais je n'fais pas d'bruit. »

« C'est embêtant. J'ai tendance à me lever tard... »

Belin sentit son estomac se contracter. Bah, de toute façon, il valait mieux continuer à habiter dans son studio et à faire tout ce trajet, que de vivre avec quelqu'un avec qui il ne s'entendrait pas !

Il s'approcha des fenêtres, qui donnaient sur la rue.

« Il y a du double-vitrage », dit Eric. Puis il ajouta : « Vous êtes à Paris depuis longtemps ? »

« Non, depuis un an seulement. »

« Et vous venez d'où ? »

« D'Auvergne. »

« Vos parents sont restés là-bas alors ? »

Belin baissa la tête.

« Ils sont décédés », dit-il. « Ma mère est morte de maladie quand j'étais p'tiot, et mon père il y a un an. Alors j'suis monté à Paris où il y'avait ma grand-tante qui tenait t'une boulangerie. »

Le visage d'Eric se transforma de manière indescriptible.

« Je... Les miens aussi ! »

Puis il se reprit.

« Excusez-moi. »

Puis il sembla réfléchir quelques instants, et alla chercher le portrait que Belin avait vu dans le couloir, pour lui montrer.

« Là c'est mon père. Il était amiral. Et là c'est ma mère. Elle était colonel dans les bérets verts. Ils sont morts dans un accident de voiture quand j'avais onze ans. »

« Et donc vous avez v'cu ici jusque là ? »

« Oh non. J'étais en pensionnat. Et pendant les grandes vacances j'étais en famille d'accueil. »

Le souvenir le fit grimacer.

« Mais j'ai pu venir habiter ici à ma majorité. »

« J'suis désolé », dit Belin. « J'voulais pas parler d'ça... »

« Non, c'est rien », répondit Eric.

Il alla reposer le portrait. Belin entendit sa voix qui l'appelait, du couloir.

« Venez, je vais vous montrer quelque chose ! »

Le boulanger s'exécuta. L'autre se tenait devant la porte de sa chambre. Quand il vit qu'il était là, il entra et s'accroupit devant son lit. Il en sortit une malette noire couverte d'autocollants et d'inscriptions sales faites au typex.

Il la posa sur le lit puis défit les lourds fermoirs. L'intérieur était tout différent de l'extérieur, immaculé et tapissé de velours rouge. Et sur ce velours reposait une grande flûte argentée, semblant plus précieuse qu'un bijou ou un objet sacerdotal.

« C'est ma flûte », dit Eric de la Fontaine en souriant.

Belin n'en croyait pas ses yeux. Elle n'avait rien à voir avec la flûte à bec en plastique avec laquelle il devait jouer en cours d'Education Musicale, quand il était au collège.

« J'n'savais point qu'il existait de flûte aussi grande », dit-il.

Eric sourit à nouveau.

Belin toucha la flûte du bout des doigts.

« Elle est bien belle. »

« Vous pouvez apporter vos affaires cet après-midi, si vous voulez », dit soudainement Eric.

« Quoi ? »

« Enfin, si vous êtes toujours intéressé par la colocation. »

« Mais vous n'aviez pas d'autres personnes à voir ? »

« Ce n'est pas la peine. Et puis, pour vous, ce sera plus pratique. Je me rappelle quand vous étiez malade, il n'y avait plus de pain complet. »

Belin se demanda brusquement si cette colocation était une bonne idée.

 

 

 


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