Maudits silmarils : maudit AU by Dilly

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La Manif pour Tous


La Manif pour Tous

 

Quand Belin Leblond entra dans l'appartement, une musique faite de chœurs, d'orgue et d'instruments à vents semblait comme planer au-dessus des murs. D'habitude, Eric écoutait ses disques au casque, dans sa chambre, mais parfois il faisait aussi fonctionner la chaîne du salon.

« C'est Jean-Sébastien », pensa Belin, qui commençait à connaître.

Il trouva Eric assis sur le canapé, l'air un peu hagard.

« C'est bien beau cette grande musique que tu écoutes encore », dit le jeune boulanger.

« La dernière fois tu as dit que tu n'aimais pas quand ça faisait hohoho », rappela l'autre.

« Mais là ils n'font pas hohoho. »

Belin s'en retourna finir d'ôter son manteau et ses gants dans le vestibule. Il y avait toujours là les mêmes photos : Feu M. et Mme de La Fontaine en uniformes militaires, Eric tout petit et radieux, brandissant un poisson pêché aux côtés de son père, Eric enfant en robe blanche dans une église, Eric adolescent sur une photo de classe.

Il alla ensuite se servir un verre d'eau dans la cuisine puis s'installa aux côtés de son colocataire. Une fois que l'air fut terminé, Eric se leva pour ranger le disque. Belin regarda autour de lui, et vit qu'il y avait un papier froissé sur la table. L'intitulé le fit frémir. Bientôt il aperçut un petit drapeau rose abandonné dans un coin de la pièce, sur lequel on devinait des silhouettes de femme et petite fille en jupes, d'homme et petit garçon en pantalons, tous quatre se tenant la main...

« Tu es allé à la Manif », constata Belin, sur un ton de reproche.

« Oui et alors? », répondit l'autre.

Il tenait maintenant dans sa main un cd dont la pochette arborait un Jésus crucifié.

« Je n'comprends pas pourquoi ils veulent pas laisser les gens s'marier », s'étonna Belin.

« Mais c'est pas que ça ! », s'indigna Eric.

Puis sa colère fut remplacée par une sorte d'expression de merlan frit : « Tu ne penses pas que c'est bien que tous les enfants aient le droit d'avoir un papa et une maman ? »

« Bien si mais... »

« L'aumônier qui m'avait aidé quand j'étais au lycée, il m'avait expliqué pourquoi c'est pas bien que les péd... les homos ils se marient et adoptent. »

« Et il y va aussi, aux manifs ? »

« Oui, il m'a même envoyé un mail hier pour que je n'oublie pas d'y aller. »

« Il fait ça exprès, pour qu'il y ait plus de personnes qui y aillent », dit Belin en élevant les mains.

« Ben bien sûr ! Mais il est vraiment sympa. Grâce à lui j'ai pu rester à l'internat au lycée, j'étais plus obligé de vivre tout le temps dans la famille d'accueil. »

« Mais tu m'avais dit que t'aimais pas l'lycée, et qu't'y avais point d'amis. »

« Oui mais c'était quand même moins pire. D'ailleurs j'écoutais souvent ça, à l'époque, quand j'étais dans la famille d'accueil. »

Belin hocha la tête. Quand Eric commençait à parler mécaniquement de la Famille d'Accueil, ça ne servait à rien d'insister… Il y eut quelques minutes de silence. Puis le fils de paysans osa formuler une question qui le taraudait depuis maintenant plusieurs mois :
« Pourquoi tu as voulu partir ? »

« D'où ? »

« De la famille d'accueil. »

« Parce que j'aimais pas. »

Il y eut à nouveau un silence. Un moineau vint se poser sur la balustrade noire en fer forgé, derrière la fenêtre.

« C'est le père », finit par dire Eric en un maugréement. « Il était bizarre avec moi... »

Le regard du jeune homme était souvent un peu fixe, et brillant. A ce moment-là il devint complètement fixe, et lointain, comme s'il voyait devant lui quelque chose qui était invisible aux autres.

« Il arrêtait pas de me regarder, et de dire que j'étais "joli", et des trucs sexuels. Il a même appelé le chat comme moi parce qu'il disait qu'on avait les mêmes yeux... Y'avait pas de poignée à la porte de la salle de bains, et une fois j'ai vu qu'il me regardait quand je prenais ma douche. »

« Mais la femme, elle n'disait rien ? »

« Non… Elle disait jamais rien. Elle m'a jamais défendu. Elle était alcoolique en plus… »

Il y eut soudain un bruit liquide bizarre, comme quand on retire la bonde d'un lavabo rempli d'eau.

Eric regarda à sa gauche ; c'était Belin qui avait fondu en larmes.

« Pauvr' 'ric », balbutiait le boulanger. « D'bord ses parents qu' meurent quand il est p'tiot, et après… Un pédophile ! »

« Mais vos parents aussi ils sont morts ! Et un pédophile ? Quel pédophile ? »

La réponse de Belin fut incompréhensible, noyée dans les larmes.

« Mais faut pas se mettre dans des états pareils pour si peu ! »

Voyant qu'il ne s'arrêtait pas, Eric lui tapota dans le dos du bout de la main, pour essayer de le réconforter.

« Ça va aller… »

Mais Belin continuait à pleurer toutes les larmes de son corps.

 


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