Maudits silmarils : maudit AU by Dilly

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Le philtre


Le philtre

 

Les deux colocataires étaient assis sur leur canapé, la télévision allumée. Ils mangeaient chacun un sandwich bagel, acheté dans une chaîne américaine.

« J'comprends pas pourquoi ça a du succès », marmonna Belin la bouche pleine, « le pain n'est même point bon, et en plus il a un trou. »

« Je suis d'accord », opina Eric, « on aurait dû prendre au Chicken, comme d'habitude. »

« Pourquoi il y a un trou ? », se demanda le boulanger à voix haute.

« Mais j'en sais rien, moi ! »

Belin se consola en regardant la télévision. Une publicité montrait un splendide éphèbe au cheveux blonds platine et aux abdominaux parfaits. On savait que ses abdominaux étaient parfaits car il descendit de sa voiture de luxe la chemise ouverte, dans la nuit étoilée de Paris. Il remonta l'avenue des Champs Elysées, sûr de lui, le regard incandescent, et toutes les femmes qu'il croisait tombaient instantanément sous son charme… Littéralement. Elles tombaient sur le sol, avec un soupir de pâmoison, ravagées par un seul de ses regards. Puis l'homme mystérieux à la chemise ouverte parvint à la Place de l'Etoile. La caméra prit de la hauteur. Le rayonnement des sept avenues autour de l'Arc de Triomphe prit la forme d'une étoile à huit branches, pour devenir l'emblème d'une célèbre marque : la maison de joaillerie Fëanor. Un titre s'afficha, concluant la réclame. Il fut lu par une voix on ne peut plus virile : « Destruction – le nouveau parfum – pour Hommes. »

« Est-ce que ça marche vraiment ? », se demanda cette fois Belin.

« A mon avis pas au point qu'elles tombent par terre », répondit sagement Eric en tentant de s'ôter un morceau de salade coincé entre deux dents.

Le boulanger semblait songeur. Il avait tellement peu de succès auprès des femmes, qu'il était prêt à tout pour qu'elles le regardent, ne serait-ce qu'un instant, comme elles regardaient cet homme-ci. Mais tout ce qu'il avait jamais obtenu jusqu'à présent était des rires dédaigneux ou des refus polis, même si parfois plein de gentillesse compatissante. La seule femme à qui il avait plu était la gantière, mais elle ne voulait plus le revoir.

Quelques jours plus tard, il se rendit dans une parfumerie pour acheter le précieux philtre. Il s'en aspergea copieusement au sortir de la boutique. Il avisa alors une première jeune fille.

« Bonjour... », commença-t-il, les joues rouges.

La demoiselle, pour toute réponse, enfonça davantage ses écouteurs dans ses oreilles.

Belin ne se démonta pas pour autant. Une deuxième, adossée à un mur couvert de graffitis, semblait attendre quelqu'un.

« Vous êtes bien belle. »

« J'te cause ? »

Les essais qui suivirent furent tout aussi infructueux. Toutes les femmes qu'il abordait accéléraient le pas, lui répondaient qu'elles étaient en couple, ou qu'elles aimeraient bien qu'on leur « foute la paix, au moins dix minutes dans une journée. » Belin revint chez lui très déprimé.

Son colocataire, curieux, vint pointer le nez dans le salon, tout en se séchant les cheveux avec une serviette.

« C'est quoi cette odeur ?! », demanda-t-il brutalement.

« C'est Destruction de Fëanor », expliqua Belin.

« Et c'est censé détruire quoi ? Mon sens olfactif ? »

« J'trouvais que ça sentait bon pourtant. »

Eric s'approcha et lui renifla le cou, près de sa barbe blonde qui faisait comme des paillettes d'or sur sa peau rose.

« Non ça sent bon », dit-il d'une voix légèrement tremblante, « c'est juste que tu en as trop mis. »

Belin leva les yeux. Son regard rencontra ceux de son colocataire, qui étaient devenus humides et brillants. Alors les yeux de Belin se mirent à briller aussi.

« Et ça marche ? Je veux dire… ça marche pas, j'en suis sûr », demanda Eric.

« Non, ça ne marche point », conclut Belin.

 


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