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Episode 22 : Le Chat Botté de Gondolin
Depuis que Belin était retourné dans son ancienne maison, il était intarissable sur ses aventures à l’étranger, les us et coutumes des Noldor, ainsi que son ancien employeur, le Chevalier de la Fontaine.
« Monseigneur Ecthelion il est si beau que quand on le regarde, c’est comme si on regardait le paradis », continuait d’expliquer Belin à ses frères, tout en mangeant sa gamelle de lentilles.
Eudes et Robert s’étaient arrêtés de manger et le regardaient d’un œil morne, la bouche ouverte.
« Et sa voix c’est comme de la musique. Des fois j’ferme juste les yeux et j’l’écoute parler. »
Les deux frères s’entre-regardèrent.
« Dis donc Robert, j’crois bien qu’notr’ frère est atteint d’elfophilie avancée pour ainsi dire. »
« C’n’est point vrai », dit Belin.
« Et le Grand Roy des Noldor, il ressemble-t’à quoi donc ? »
« Il ressemble un peu à notre roy Turgon, mais en plus jeune et en moins grand », répondit Belin.
Les deux frères hochèrent la tête.
« C’t’immortalité des elfes, ça fait d’drôles d’résultats », dit Robert. « Une fois Olwen d’la Ferme à Avoine elle m’présente son arrière-grand-mère… J’en suis ben resté sur les fesses tellement qu’elle était fraîche et bonne à voir ! »
« Mais ton seigneur Ecthelion », reprit Eudes. « Est-ce qu’il brille comme le roy Turgon et l’seigneur Glorfindel ? »
« Non point, car il n’a pas vécu sur l’île des Dieux. Il est né dans l’pays du Grand Roy. »
« Ah, d’accord… Et est-ce que tu sais comment qu’ils s’reproduisent, parce qu’on s’est toujours posé la question moi et Robert. On ne les voye jamais faire l’Acte ni en parler, alors on ne comprend point. »
« Je crois qu’ils font comme nous », répondit Belin. « Mais moins souvent. Par exemple Monseigneur Ecthelion il ne pense jamais à ça, et il a fait vœu de charité. »
« De quoi ? »
« De charité. Cela veut dire qu’on ne touche point les femmes. »
« Ah… »
Ces révélations laissèrent les deux frères songeurs, si bien qu’ils finirent leurs lentilles en silence.
* * *
Ecthelion reçut la lettre de démission de Belin tard dans l’après-midi, alors qu’il était occupé à la caserne.
L’elfe avait d’abord pensé que le retour de son écuyer avait été retardé pour une raison qu’il ignorait… Sa démission était bien la dernière chose à laquelle il pouvait s’attendre. Alors il repassa les derniers jours dans sa tête. Mais tout lui sembla normal. Son écuyer n’était plus bizuté, du moins à sa connaissance… Il avait l’air d’apprécier son travail.
L’affront venait-il de lui ? L’avait-il offensé sans s’en rendre compte, à cause de leurs différences culturelles ? Si c’était le cas, il s’excuserait. Ou alors, c’était ses frères qui l’avaient influencé…
L’esprit bouillant et confus, le chevalier rentra chez lui. A sa grande déception, il ne trouva personne dans le salon ou les chambres. « De toute façon, il va au moins revenir pour prendre ses affaires », se dit-il. Et il se laissa tomber sur le fauteuil qui se trouvait dans la chambre de Belin, le bout des mains appuyé sur son front.
Une demi heure passa. L’elfe avait le regard fixé sur le mur qui lui faisait face, où était accrochée une tapisserie représentant Yavanna. Il entendit la porte entrouverte glisser légèrement, puis quelques bruits de pattes molles sur le parquet.
C’était le chat de Belin qui venait se frotter contre ses jambes.
« Tu vois, ton maître t’a abandonné », dit Ecthelion.
Il baissa les yeux. Le chat le regardait avec ses iris mordorées et sa fraise de dentelle qui lui ceignait le cou.
« Il ne m’a pas abandonné », dit alors une voix.
La bouche du chat avait bougé. Ecthelion sursauta.
« Cette fois, je suis vraiment fou », dit l’elfe. « J’ai l’impression d’entendre le gros chat de Belin qui me parle. »
« Je vous en prie, taciturne créature, un peu de politesse ! Je ne suis pas si gros… Et vous n’êtes pas fou ! »
Ecthelion bondit hors du fauteuil.
« Varda ! …Eru ! »
« Miaouh ! Ce n’est pas la peine de jurer par tous les dieux ! Que faites-vous à rester ici à attendre, affalé dans mon fauteuil ? Vous devez aller chercher Belin pour qu’il revienne ici, à Gondolin ! »
« Les chats ne parlent pas ! », répliqua Ecthelion. « Et ils ne sont pas race créée par les Valar ! »
« Qu’importe qui m’a créé », répondit le chat. « Belin doit absolument revenir à Gondolin. Il en va de l’avenir de la Terre du Milieu. »
« Et comment un simple fils de meunier serait important pour la Terre du Milieu ? »
« Parce que je sais des choses que vous ne savez pas. »
« Lesquelles ? »
« Je ne peux pas vous le dire. »
Un rai de lumière traversa les yeux de l’elfe ; le chat n’eut pas le temps de réagir. En un éclair Ecthelion l’avait saisi. L’animal se démena en poussant des cris mélangés à des miaulements, les canines sorties, les yeux révulsés et le poil hérissé. L’elfe finit par le tenir par ses deux pattes arrières, lui maintenant ainsi la tête à l’envers.
« Parle, créature de Morgoth ! »
« Miaaaaaaouh ! », glapit le chat en se tortillant. « Je suis avec lui depuis qu’il est enfant car il a un grand destin à accomplir ! Je l’ai vu ! Dans mes visions ! »
« Tes visions ? »
« Oui ! J’y ai vu Belin à Gondolin, avec vous, le Seigneur de la Fontaine… Et je l’ai vu épouser la princesse aussi ! »
« Idril ? »
« Oui ! »
Ecthelion en avait gardé la bouche ouverte. Puis il fronça les sourcils et se mit à secouer le chat.
« Tu es sûr que c’était bien lui ?! »
« Oui, oui ! »
Mais le Chat n’en était plus si sûr… L’homme aux longs cheveux blonds et aux yeux bleus qu’il avait vu dans ses visions dépassait la princesse Idril en taille, alors que cette dernière, très grande, mesurait déjà près de deux mètres. Or, Belin, pour l’instant, était plus petit qu’Idril. De plus, il lui semblait que l’homme vu dans ses visions était beaucoup plus beau, avec des traits plus fins et un corps mieux bâti. Cela dit, ces visions étaient toujours un peu floues, et Belin n’avait pas complètement terminé sa croissance.
« Et quand tu as d’abord eu ces visions, tu vivais ici ? »
« Oui », mentit le Chat.
Ce n’était sans doute pas le moment de lui dire qu’il était l’un des chats magiciens de Sauron Tevildo, le Changeur de Forme et Prince des Chats. Il aurait pu essayer de lui expliquer qu’il avait fui la cruauté de son ancien maître et décidé de servir la cause du Bien et des Valar, mais comment aurait-il pu le croire ? C’était un coup à finir exécuté et cloué sur une porte.
« J’ai du mal à voir Belin marié à Ia fille du roi », dit Ecthelion. « Mais tu as raison en ceci que je dois aller lui parler et éclaircir la chose. »
« Vous saviez ce que vous vouliez ? Alors maintenant lâchez-moi ! », intima le Chat.
Ecthelion le lâcha, se dirigea vers la porte. Avant de sortir de la chambre, il se retourna et dit :
« Tu es tout de même drôlement coquet pour un chat. Entre la fraise et les petites chaussures… On devrait t’appeler le Chat Coquet. »
Cette étrange discussion close, l’elfe descendit à la caserne, fit seller son cheval par l’un des écuyers de permanence, revêtit son armure, et franchit bientôt la porte de la cité.
L’après-midi était à sa moitié, et la lumière commençait déjà à faiblir. Ecthelion passa la première ferme, puis la seconde. Une heure après son départ, il atteignait le moulin. Il y avait un chemin perpendiculaire à la route. Il l’emprunta pour gagner la ferme qui se trouvait un peu plus loin.
* * *
Eudes et Robert étaient assis sur la grosse pierre rectangulaire posée à gauche de leur porte, se partageant une miche de pain trempée dans du vin, quand un chevalier monté sur un blanc destrier se présenta à la lisière de la cour de leur ferme.
Ce n’était pas le type d’elfe qu’ils avaient coutume de voir ici au fond de la vallée. Cet elfe-là, qui était à tous les coups un des Noldor, était revêtu de pied en cap d’une armure d’argent au plastron artistement décoré. De longs cheveux noirs contrastant avec l’argent s’échappaient en grandes bandes lisses hors du bas de son heaume, qui était surmonté d’une pointe dont le bout était en diamant. Sa cape enfin, était de gris-bleu foncé, chatoyant comme de l’eau.
Le visiteur descendit de son cheval, auquel il adressa quelques mots en langue sindarine, puis ôta son casque.
Il avait un long visage, avec des pommettes hautes et marquées s’étirant en diagonale jusqu’à ses tempes, un front et un nez droits, une bouche large. S’il ne luisait pas comme certains autres elfes, sa peau très blanche possédait un éclat que n’avaient pas les peaux humaines, et un feu gris et violent était dans chacun de ses yeux.
« C’t’e doit être cet Ecthelion dont nous a tant parlé Belin », glissa Robert à son frère.
« J’somme point bougre », chuchota l’autre, « mais c’est vrai qu’il est bien beau ».
L’elfe s’approcha d’eux. Ils virent, non sans appréhension, qu’une grande épée était accrochée à sa ceinture.
« Bonsoir, bonnes gens », dit-il.
Sa voix était pure comme les torrents dévalant les montagnes, et déroulait ses mots en nobles inflexions.
« Je cherche Belin le Blond, mon ancien écuyer, pour lui parler. On m’a dit qu’il habitait ici. »
« C’t’e juste », dit Eudes. « J’sommes son frère aîné, Eudes fils d’Eric, et voici mon autre frère, Robert l’Roux. »
« Bien l’bonsoir, monseigneur », dit à son tour Robert, avec une pointe d’hostilité dans la voix.
« Est-il ici ? », reprit Ecthelion. « Puis-je le voir ? »
« On peut aller l’chercher messire, mais j’m’demande bien pourquoi vous voulez le voir, d’abord. »
« Pour lui parler. Pour savoir pourquoi il m’a envoyé une lettre de démission. »
« Il fait ben c’qu’il veut, et il n’a point à s’justifier d’vant vous. »
« Peut-être, mais il n’empêche que je souhaiterais m’entretenir avec lui, et que s’il n’y voit pas d’objection, il me semble que vous n’y verrez pas d’objections non plus. »
Les deux frères semblèrent ne pas comprendre ce qu’il disait.
« Demandez-lui donc s’il veut bien me parler », traduisit Ecthelion.
« J’allons l’chercher », dit Robert.
Il se dirigea vers la grange à fourrage.
Eudes gardait les yeux baissés.
« Ainsi vous êtes son frère aîné ? », demanda Ecthelion.
« Oui. Et j’m’étions occupé d’lui depuis qu’notr’mère Jehanne est morte quand il était p’tiot. Alors vous comprenez, j’voulons pas qu’il lui arrive du mal. »
Ecthelion le dévisageait avec des yeux si perçants qu’ils étaient insoutenables. Puis il dirigea son regard brillant vers la masure des fermiers, une petite maison en bois et torchis collée à une étable, d’où l’on entendait parfois mugir des vaches. Alors il vit Robert passer devant la maison, et venir vers eux, accompagné d’un adolescent plus grand que lui, la tête couverte d’une sorte de calotte paysanne.
De longs cheveux blonds, des yeux clairs, un menton volontaire pailleté d’or sous un nez qui rebique… C’était bien Belin.
Le visage de l’elfe s’éclaira et il sourit. Belin avait l’air gêné et il regardait Ecthelion par à-coups.
« Bonsoir messire. »
« Bonsoir… Vous allez bien ? »
« Oui messire, j’vais bien. »
« Laissez-nous », dit Ecthelion aux frères. « Je veux lui parler seul à seul. »
« Il n’en est point question », dit Robert. « Vous allez en profiter pour lui entortiller la tête. »
« Lui entortiller la tête de quoi ? », s’irrita soudain l’elfe. « Belin, pourquoi ne voulez-vous plus revenir ? »
Encadré par ses deux frères, Le jeune humain ne répondit pas.
« Est-ce quelque chose que j’ai fait ? Si c’est le cas… Si je vous ai offensé… Expliquez-moi. Et croyez bien que j’en suis désolé. »
Belin secoua la tête négativement.
« C’est quelqu’un d‘autre ? Un elfe vous a maltraité ? Dites-moi son nom et j’irai lui régler son compte. »
Eudes et Robert échangèrent un regard qui disait : « Le voici donc à l’œuvre, cet elfe fou. »
« Non c’est point ça messire… », dit enfin Belin. « Bien que ça ait un peu joué. »
« Joué ? Qui vous a insulté encore ? »
« Personne ces derniers jours, Messire. »
« Et la semaine dernière ? »
« La semaine dernière non plus… »
« Et la semaine d’avant ? »
« Ben j’marchais dans la rue, et j’avons r’çu des cacahuètes sur la tête. »
« Je vais en parler au roi », dit Ecthelion. « Mais vous ne devez pas abandonner, Belin. Vous devez leur montrer qui vous êtes, pour qu'ils changent d'avis au sujet des Humains. »
« Oh je sais messire, c’n’est point juste ça. J’n’serai jamais comme vous de toute façon. Ils n’ont point tort. »
« Puis surtout ils nous a dit ce qui était arrivé à votre ancien écuyer ! », s’exclama Robert. « J’voulons pas qu’Belin finisse le ventre ouvert avec les boyaux qui sortent ! »
Ecthelion pâlit et l’espace de quelques secondes, ses yeux eurent quelque chose d’effrayant, comme s’ils voyaient quelque chose que les autres ne voyaient pas. Sa main droite, gantée de fer, se crispa sur la garde de son épée.
« Mais il ne finira pas comme ça », dit-il. « Je le protégerai. »
« Vous avez drôlement bien protégé l’dernier ! »
« De toute façon, statistiquement, il a plus de chances de mourir en prenant une flèche perdue. »
« C’est censé être rassurant ? »
L’elfe ferma les yeux quelques instants et réussit à se reprendre.
« Il est vrai que c’est un métier dangereux, Belin. Mais ne m’aviez-vous pas dit que la vie de la ferme vous ennuyait ? Que vous vouliez découvrir les terres au-delà des montagnes de la vallée ? »
« Si messire », répondit l’adolescent. « Mais j’y avons réfléchi, et j’crois qu’j’suis point fait pour cette vie-là. J’suis point la personne qu’il vous faut. »
« Mais qu’est-ce que vous dites ? Vous êtes exactement la personne qu’il me faut. Vous êtes mon seul ami. »
« C’n’est point votre ami, c’est votr’ serviteur d‘abord », dit Robert.
« Ce n’est pas mon serviteur ! », corrigea l’elfe. « Belin, vous êtes aussi courageux, même plus, que beaucoup d’elfes que je connais… Vous êtes peut-être issu d’une famille de meuniers, mais vous êtes de la noble race des Halains, hardis cavaliers au-delà des Montagnes Bleues. Alors revenez avec moi. »
Belin secoua la tête, les yeux mouillés.
« Non messire, y’a une erreur sur la personne. Mon chat disait que j’allons sauver l’monde, mais moi j’savons bien qu’c’est point mon destin. »
« Qu’en savez-vous ? », dit Ecthelion. « Vous m’avez bien sauvé, moi. »
« Laissez-le, maintenant », dit Eudes. « Il vous a donné votre réponse. »
Le Noldo déglutit.
« Votre décision est prise ? »
« Oui messire. »
Les sourcils de l’elfe se détendirent, son visage devint froid. Il remit son casque.
« Alors bonne chance, dans ce cas », dit-il d’une voix à la clarté glaciale. « Je vous ferai envoyer vos affaires, comme cela vous n’aurez pas à revenir. »
Belin sentit son estomac lui faire mal.
« Merci monseigneur. »
Ecthelion fit demi-tour sans saluer Eudes et Robert, marcha jusqu’à son cheval puis disparut dans un éclat argenté.
De grosses larmes se mirent à couler sur les joues de Belin. Il se mit la main devant les yeux.
Eudes lui donna une tape dans le dos et dit :
« C’est mieux comme ça. »