Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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L'acculturation

Belin rend visite à ses frères, qui le trouvent changé...


Chapitre 21 : L'acculturation

 

Quand Eudes et Robert virent leur frère après de longs mois sans nouvelles, ils ne le reconnurent d'abord pas.

Il leur fallut attendre que le cavalier s'arrêtât devant leur porte, et qu'ils voient de près son visage.

« Par Dieu ! C'est toi Belin ? », demanda Eudes.

« Oui », fit Belin en baissant la tête.

Il avait demandé un jour en plus de son jour de chôme habituel pour aller rendre visite à ses frères, au moulin du fond de la vallée.

« C'te cheval gris, il est bien beau ! Il est à toi ? »

« Oui, c'est le seigneur Glorfindel qui me l'avait donné quand il m'avait embauché. »

« Glorfindel… N'est-ce point cestuy qui commande aux armées d'la ville ? »

« Si fait. »

« Entre, entre. »

Ils s'installèrent sur la grande table, devant la cheminée, et lui donnèrent à boire et à manger.

« T'as bonne mine et fière allure ! », dit Eudes.

« C't'e beaux vêtements, d'où ils viennent ? », demanda Robert.

« C'sont les vêtements des gens de ma Maison », répondit Belin.

« Ta maison ? »

« La Maison de la Fontaine, que dirige Ecthelion, le seigneur elfe dont je sommes escuyer. »

Il parle un peu bizarrement par moments, pensa Robert.

« T'es donc d'venu escuyer ! »

« Oui, j'm'occupons du cheval de mon seigneur, d'porter son écu lors des joutes et des fêtes, et j'l'accompagne dans ses voyages. »

Eudes regardait les cheveux de son frère depuis un certain temps. Il ne résista plus et les toucha du bout des doigts. Sous des tresses compliquées fixées au-dessus du crâne, ils tombaient lisses et doux comme de la soie de chaque côté de son visage.

« Qu'est-ce qu'il est donc arrivé à tes ch'veux ? »

« C'est l'seigneur Ecthelion qui m'coiffe et me fait mes tresses. Tout seul j'n'arrive point. »

« Et ta peau ? Elle est toute douce aussi. »

« C'sont ces savons elfiques. Ils mettent dedans des huiles, d'moult plantes différentes. »

« Et tes dents ? Elles sont toutes blanches céans ! »

« Mon seigneur Ecthelion m'a donné une p'tite brosse, avec laquelle on s'les frotte. J'allons vous la montrer ! »

Il alla ouvrir son sac pour en sortir une brosse à dents dont le manche en bois était artistement sculpté.

« Oh… », firent les frères en regardant l'objet avec étonnement.

« Il m'a aussi appris l'alphabet des elfes, comme ça bientôt j'pourrons lire des livres. »

« Lire des livres ? Mais pourquoi faire ? »

« Monseigneur Ecthelion dit qu'on peut y apprendre des choses, et lire des exploits guerriers. »

Monseigneur Ecthelion par ci, Monseigneur Ecthelion par là... Il n'a que ce mot à la bouche, décidément !, pensèrent les deux frères avec jalousie, craignant que le seigneur elfe ne leur confisque l'affection de leur frère.

« Belin, tu nous as vexés en partant », dit alors Eudes.

« Pourquoi donc ? », répondit l'adolescent en se cachant le visage derrière son bol de soupe.

« On nous a dit que t'avais raconté là-haut que not' père Eric ne t'avoit pas laissé d'héritage, et qu't'avons plus les moyens d'vivre. Comme si nous deux on était deux vilains qui t'auraient mis à la porte ! Alors qu'not' père avait décidé qu'nous restions tous les trois au moulin, sans qu'l'un soit avantagé par rapport aux deux autres. »

« C'est mon chat qui m'a conseillé de dire ça », se défendit Belin. « Il disait qu'j'aurais plus de chances qu'ils m'prennent comme ça. »

« Un chat ça parle point, Belin », répliqua l'aîné. « Alors essaye pas d'nous tromper. Tu voulois tellement vivre parmi eux qu't'étois prêt à mentir sur not' compte. C't'e félonie. »

« Mais non… »

« Qu'est-ce qui te gênes dans c'moulin ? », demanda alors l'autre. « On est point assez bien pour toi. Quand on t'voit on n'dirait plus homme, mais elfe ! »

« Et ton seigneur Ecthelion, il t'accepte point comme tu es ! »

« Tu t'rasois l'menton pour ressembler à un elfe, mais t'en es point un ! Et j'suis ben sûr qu'eux t'accept'ront point ! »

Belin baissa les yeux tristement.

« J'voulons pas… », commença-t-il.

« T'es point fait pour vivre parmi ces fées qui n'meurent point », le coupa Robert. « Tu n'es qu'simple homme. »

« D'ailleurs, comment qu'ça s'fait qu'ton seigneur t'a engagé ? Son ancien escuyer devoit pourtant ne point mourir de vieillesse. »

« Il est mort en combattant », bredouilla Belin.

Les deux frères se regardèrent.

« Comment ? »

« C't'un méchant orc qui lui donna un coup de sabre dans les entrailles. »

Eudes et Robert pâlirent et se regardèrent à nouveau, les yeux écarquillés.

« Tu dois r'venir ici ! », dirent-ils en chœur.

Le restant du séjour de Belin fut occupé à tenter de le convaincre d'abandonner sa charge d'écuyer et de revenir habiter au moulin. On réussit à tout lui faire dire : qu'il habitait avec son maître, un jeune elfe colérique et violent, parce qu'on le bizutait au dortoir de la caserne. Qu'il se faisait insulter régulièrement, traiter de singe, de chien, de créature inférieure, quand on ne soulignait pas une soi-disant ressemblance avec la race naine.

« Ils n'sont point tous comme ça », opposait-il. « La plupart sont bons et sages avec moi… Comme le roy, qu'est grand et gentil elfe. »

Mais les détails appris par Eudes et Robert avaient suffisamment conforté le malaise qu'ils avaient ressenti en voyant leur frère revenir ainsi changé. Ils avaient peur de ne plus le revoir, qu'il finisse par se détourner d'eux, qu'il lui arrive malheur, et se sentaient aussi blessés dans leur amour-propre d'humain et de simples meuniers. Et ils lui parlèrent tant et si bien et lui tournèrent l'esprit qu'il finit par se demander si ils n'avaient pas raison, si sa place n'était pas parmi eux, les humains, car les elfes ne le considéreraient jamais comme un pair.

Le soir du deuxième jour de son congé, ils lui montrèrent une lettre de démission qu'ils avaient dictée à l'un de leurs voisins sindar. Comme Belin savait maintenant écrire son nom, il signa.

Ecthelion l'attendit jusqu'à tard dans la nuit. Mais ni ce soir-là, ni le jour qui suivit, Belin ne se montra à Gondolin.


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