Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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La Caverne de la Fleur d'Or I

L'épisode de Noël, première partie.


Peut-être certains auront fait directement le rapport : le titre est un clin d'oeil aux célèbres téléfilms de contes de fées "La caverne de la rose d'or", avec marionnettes et objets/animaux parlants...


Chapitre 24 : La Caverne de la Fleur d’Or I

 

 

Turgon allait conclure la séance.

« N’oubliez pas qu’il y a la parade, demain matin », dit-il. « Ecthelion, je compte sur vous pour vous lever de bonne heure. »

Glorfindel regarda son jeune collègue avec inquiétude. Il vit que ses mains tremblaient.

« Ecthelion… Vous pourriez me répondre quand je vous parle », ajouta le roi.

« Oui », répondit le seigneur de la Fontaine. « J’y serai. »

« Très bien. La séance est donc close. »

Les chevaliers sortirent de la salle de réunion. Dans l’escalier, Glorfindel retint Ecthelion par l’épaule.

« Ecthelion, tout va bien ? »

« Oui. Pourquoi ? »

* * *

On fêtait la fin du Firith depuis deux jours, aussi les spectacles de saltimbanques s'étaient multipliés, et l'on avait installé des lumières un peu partout dans la ville, pour pallier à la trop rapide tombée de la nuit – une pratique contestée par les elfes sylvains, qui arguaient que cela perturbait la faune et la flore.

A l'heure où les chevaliers quittaient la Table Ronde, dans l'un des nombreux jardins de la cité, un marionnettiste haranguait le jeune public devant son théâtre de bois.

« Approchez, approchez, petits damoiseaux et petites damoiselles ! », clamait-il. « Car aujourd'hui je vais vous conter la plus belle histoire d'amitié qui existât jamais sur Arda Affligée ! Une histoire d'amour véritable... Celle de Fingon Astaldo et de son cousin Maedhros Maitimo ! »

Le spectacle avait déjà commencé lorsque Ecthelion tomba dessus alors qu'il rentrait chez lui, et il resta debout derrière les enfants assis, ses yeux bleus brillant sur son visage pâle comme deux fanaux.

Le théâtre était d'assez grande taille et les marionnettes, entièrement en bois. L'histoire en était à la résolution prise par Fingon d'aller délivrer son cousin retenu prisonnier par Morgoth.

« Je ne peux pas vivre sans Maitimo », dit la marionnette de Fingon, « car il est mon meilleur ami. Et si il souffre, je veux connaître sa souffrance, et faire tout ce que je peux pour le soulager. »

Le Narrateur reprit la parole : « Alors, Astaldo se mit en route pour aller délivrer… Qui ? »

« La princesse ! », s’écrièrent les enfants elfes.

« Mais non, son ami Maedhros ! », corrigea le saltimbanque. « Donc Astaldo se mit en route, et il se cacha dans la fumée pour échapper à la vue des méchants orcs. Mais il ne trouvait pas Maedhros. »

Le marionnette de Fingon s’assit sur une pierre du décor. Soudain, elle sursauta en entendant une voix aigue.

« Regarde-moi ! Regarde-moi ! », disait la voix.

Fingon regarda tout autour de lui, mais il ne vit rien.

« Dans ton dos. Pose ce qu’il y a sur ton dos ! »

Fingon se défit de son sac et de sa harpe.

Alors, une harpe dorée aussi grande que Fingon surgit du bas de la scène ; la harpe avait des yeux plein de cils et une bouche ourlée couverte d’or.

« Astaldo, écoute-moi bien ! C’est moi, ta harpe, qui t’a si bien servi par le passé, et dans des jours plus heureux ! »

La marionnette de l’elfe hocha la tête.

« Si tu veux trouver ton ami Maedhros, tu dois me prendre à nouveau dans tes mains, et faire vibrer mes cordes. »

« Pourquoi donc, ô ma harpe ? »

« Suis mes conseils sans te poser de questions. Joue une chanson ancienne, du temps que toi et Maedhros étiez encore amis. Fais-moi chanter, et chante toi aussi ! »

La harpe au visage redescendit derrière le bois du théâtre. Fingon tenait maintenant dans ses mains une harpe plus petite.

« Et il entonna une chanson, qui rappelait le temps où les Maisons de Fëanor et de Fingolfin n'étaient pas brouillées, et où Maedhros ne s'était pas encore détourné de lui par le fait des mensonges de Morgoth. »

Mais la marionnette s'arrêta au troisième couplet, car une autre voix chantait, une voix faible et brisée mais portée par l'écho.

Interloquée, la poupée de Fingon tourna la tête plusieurs fois, puis soudain, celle de Maedhros descendit à l'autre extrémité du théâtre, une main accrochée à un anneau. Elle portait pour tout vêtement une toge déchirée, et le bois blanc vernis de sa peau était couvert de lacérations rouges.

« Que t’ont-ils fait mon ami ? », gémit Astaldo.

Des larmes coulèrent sur les joues de bois de la marionnette.

« Il pleure ! », dit une petite fille elfe en le montrant du doigt.

« Tu ne pourras pas me délivrer, Fingon, alors tue-moi pour mettre fin à mon supplice », dit la marionnette de Maedhros.

« Oh mon dieu ! Il va le tuer ! », dirent certains enfants.

« Mais non, je connais cette histoire, ça se finit bien », dirent d’autres.

Un bambin se mit à pleurer en grands vagissements et à appeler sa mère.

« Soit. Je vais tirer cette flèche », dit la marionnette, avec de nouvelles larmes coulant sur ses joues. « Adieu, ô Maitimo, toi qui fus, de mes amis, le plus cher à mon cœur ! »

Les paupières mobiles de la poupée se fermèrent, elle banda son arc.

« Vise le soleil, Astaldo ! », enjoignit alors une voix mystérieuse.

La flèche partit vers le ciel, dans le décor.

Une marionnette d’aigle majestueux au visage très expressif avait fait son apparition par la droite, et son bec se tordait avec exagération, car il était doué de parole.

« Ne perds pas espoir, vaillant elfe ! Je suis Thorondor, le seigneur des aigles, et je vais te porter jusqu’à ton ami. »

La marionnette de Fingon monta sur le cou de l’aigle géant, qui avança sa tête couverte de plumes jusqu’à la marionnette de Maedhros. Dans cette version de l’histoire, étrangement, Fingon parvenait à défaire l’anneau de fer sans couper la main de Maedhros. L’aigle parlant les déposa sur la terre ferme.

« Prince Fingon, tu m’as sauvé ! », dit alors la marionnette du prisonnier en se tournant vers le héros. « Tu es bien le plus vaillant de tous les princes, et le plus aimé ! »

« Il va l’embrasser ! », dirent plusieurs enfants.

« Mais non », fit le marionnettiste.

« Si ! Il doit l’embrasser ! »

Le saltimbanque céda et la marionnette de Fingon prit dans ses bras la marionnette de Maedhros.

« Mais pas comme ça ! Avec un baiser », dit un des enfants du premier rang.

La marionnette de Fingon donna à celle de Maedhros un baiser sur la joue.

« Ce n’est pas un vrai baiser ! », protestèrent les enfants. 

« Oui il faut que ce soit sur la bouche ! »

« Oui, il doit l’embrasser sur la bouche ! »

« Bon, allez… », se dit le marionnettiste. « Si c’est pour leur faire plaisir… »

Il vérifia qu’il n’y avait pas de sergents du roi dans les parages. Ecthelion était déjà parti. La voie était libre. Alors la marionnette de Fingon prit le visage de la marionnette de Maedhros entre ses mains, et les bouches des deux têtes de bois se joignirent.

Les enfants poussèrent des acclamations, et arborèrent un grand sourire ravi.

« Et maintenant ils vont se marier ! »

« Non », répondit le Narrateur.

« Mais ils s’aiment tellement ! », protestèrent les enfants.

« Oui mais non. »


A SUIVRE


Le lendemain matin, de nombreuses jeunes femmes elfes s'étaient pressées au bord des rues pour voir défiler les chevaliers du roi Turgon, et elles distribuaient des fleurs à ceux qu'elles voulaient honorer.

La tête couverte de son heaume pointu, Ecthelion avait l'air perdu dans ses pensées, et aucune n'osait l'approcher. Du coin de l'œil, il finit pourtant par en voir une s'avancer vers lui. Il s'arrêta et se tourna vers elle, si bien qu'elle se retrouva face à lui. Et une fois qu'il l'eût vue, il ne put détacher son regard d'elle.

Elle était douce comme l'automne et fraîche comme le printemps gelé. Ses cheveux châtain foncé descendaient du haut de son front en longues ondulations comme des serpents sur le tissu doré de sa robe. Son front était grand et ses yeux fendus, gris avec des morceaux d'or ; ils brillaient comme s'ils avaient capté dans leur iris la lumière de Valinor. La peau de sa gorge était blanche comme la neige, et bleue. Sa bouche était rouge.

Dans ses bras, la jeune fille tenait un bassin d'eau sur lequel flottaient des fleurs coupées. Elle en prit une du bout de ses longs doigts, l'éleva, et la fit glisser sur le front d'Ecthelion.

« Noble chevalier », dit-elle, d'une voix qui semblait appartenir à un autre temps.

Ecthelion tendit la main à son tour, et sentit sous la pulpe de son majeur le lourd velours vert de sa robe.

« Blanche-Fleur… », murmura-t-il.

« A qui parles-tu ? », demanda Glorfindel.

Ecthelion sursauta, puis tourna la tête vers son collègue, qui avait déjà une guirlande entière de fleurs jaunes sur la tête, et des bracelets autour des poignets et de sa lance.

« A cette fille… »

Mais il eut à peine dit cela que la fille avait disparu.

« Tu l'as vue ? »

« Des filles, j'ai vu beaucoup de filles. Il y en a partout ici. Il y en a une qui t'a tapé dans l'œil ? »

« Non… », répondit son cadet, les sourcils froncés.

C'était la première fois que Glorfindel voyait Ecthelion s'intéresser à une fille. Comme quoi, tout finissait par arriver…

 


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