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Belin tombe malade...
Chapitre 27 : La fièvre
La vallée de Gondolin, bien que située assez au Nord, était bien abritée des vents par les montagnes encerclantes. Aussi le froid y était moins vif qu’en Dorthonion ou en d’autres semblables latitudes. Néanmoins, l’hiver était maintenant bien installé et la neige qui était tombée pendant quelques jours avait déposé une seconde couche blanche sur les bâtiments sans tâche. Ecthelion n’avait pas encore ressenti le besoin de faire du feu chez lui, étant beaucoup moins sensible au froid que les humains, comme les autres membres de son espèce.
Un soir, dans l’obscurité de la chambre de Belin, un premier éternuement se fit entendre, puis un deuxième. L’écuyer s’était couché depuis deux heures mais grelottait de froid. Il avait essayé de se mettre dans différentes positions, de se frotter les pieds, de se rouler en boule, mais rien n’y faisait. Son front commença à lui faire mal. Après plusieurs nouvelles tentatives d’emmitouflage, il abandonna, car ses draps eux-mêmes lui semblaient glacés.
Il se leva, prit son oreiller, sortit de sa chambre, puis frappa à la porte de celle de son seigneur. Il n’y eut aucune réponse. Alors il l’entrouvrit doucement. La lumière d’Isil qui filtrait à travers les vitraux éclairait légèrement la chambre. Dans son haut lit à baldaquin bleu, Ecthelion était couché et semblait dormir.
« Messire ? »
Belin entra et referma la porte derrière lui. Il gagna le chevet de l’elfe, dont les yeux étaient ouverts. L’humain passa une main au-dessus de ses yeux, mais ils ne bougèrent pas.
« Ça m’perturb’ra bien toujours, cette façon d’dormir les yeux ouverts… », pensa Belin.
Mais cela ne le perturba pas longtemps. Il fit le tour du lit, grimpa dessus, posa son oreiller sur la place libre, et ramena les couvertures jusqu’à son cou.
* * *
Ecthelion dormit étonnamment bien cette nuit-là. Mais quand il se réveilla et étendit le bras pour attraper son traversin, ce ne fut pas un traversin qu’il toucha, mais l’épaule d’un jeune homme blond qui dormait dans son lit. Il cria et tomba de son côté, entraînant avec lui la courtepointe matelassée, la couverture et le drap, ce qui réveilla Belin.
Il se frotta les yeux.
« Qu’est-ce que vous faites dans mon lit ?! », s’exclama l’elfe.
A l’évidence Belin n’était pas très réveillé, bien que d’habitude il ait le réveil plus prompt et frais que son maître.
« J’avions froid… »
« Et ? Que n’avez-vous fait du feu ? »
« Y’avoit pas d’bûche messire. J’voulions pas vous gêner, mais j’avais vraiment si froid. Chez nous tous les gens d’une maison dorment dans l’même lit pour s’tenir chaud. C’t’ainsi qu’j’avois dormi avec mes frères, ma mère, mon père et mon chat, depuis qu’j’avons été décroché. »
« Décroché ? »
« Du crochet sur où l’on suspend les p’tiots emmaillotés, messire. »
« Attendez…. Les humains emmaillotent les bébés et les suspendent ?! »
« C’est pour qu’l’corps n’se déforme point. »
« Hé bien, je comprends pourquoi vous êtes tous si petits », maugréa Ecthelion.
Il remit la garniture du lit en place et se recoucha, la tête cachée sous le drap. Belin se dit que comme il ne l’avait pas nommément expulsé pour aujourd’hui, et qu’il n’y avait toujours pas de feu, il pouvait rester encore un peu.
* * *
Quelques jours plus tard, vers la fin de l’après-midi, Belin se mit soudainement à avoir des courbatures et à tousser. Voyant qu’il tenait à peine sur ses jambes, qu’il tremblait et que ses joues étaient rouges, Ecthelion posa sa main sur son front.
« Vous êtes brûlant. »
« J’avons attrapé la mort », déclara Belin.
« Vous allez mourir ?! », s’affola Ecthelion.
Il le ramena chez lui aussitôt, l’installa dans son lit avec cinq couvertures, fit du feu, lui mit un linge froid sur le front, puis courut chez le guérisseur le plus proche.
* * *
« Alors ? Qu’est-ce qu’il a ? »
« Oh, moi les humains, j’connais pas trop ça », dit le médecin. « C’est le premier que je vois de toute ma carrière. D’ailleurs, ils ne sont pas censés être barbus comme les Nains ? »
« Celui-ci se rase la barbe. Tout à l’heure, il m’a dit qu’il avait attrapé la mort. Mais je ne comprends pas ce que cela veut dire. »
« VOUS VOULIEZ PEUT-ETRE DIRE QUE VOUS AVIEZ ATTRAPE UN MORT ? », demanda le médecin au malade en articulant et parlant plus fort comme si il s’adressait à un elfe sourd.
« Non j’avons attrapé la mort, mais c’t’une métaphore pour ainsi dire. »
« Une quoi ? », fit le médecin.
Ecthelion fut heureux de constater que ses cours de vocabulaire commençaient à porter leurs fruits.
« Une métaphore… », répondit faiblement Belin. « Cette expression, c’est quelqu’chose qu’on dit d’par chez nous, quand on attrape une peste du froid… parce qu’on en meurt souvent, hélas ! »
« Mouais. J’appellerais plutôt ça une métalepse », dit le médecin.
Il se mit alors à consulter son grimoire sur les humains, un remarquable traité rédigé par Curufin Fëanorion, à la suite de ses observations dans les Terres Sauvages.
« Je crois qu’ils sont plus vulnérables aux infections que nous », crut bon d’informer anxieusement Ecthelion. « Par exemple, il a souvent des boutons sur la peau. »
« Ah ? », fit le médecin avec intérêt. « De quelle couleur et aspect ? »
« Ce n’est pas le sujet pour l’instant », s’irrita Ecthelion.
« Oh, du calme… »
Mais le jeune chevalier commençait à s’impatienter, craignant de voir son écuyer se faire emporter par la mort d’une seconde à l’autre.
Belin se moucha bruyamment dans un large mouchoir de sa collection, qui ressemblait un peu à un torchon.
« Quelle est cet étrange liquide qui sort en quantité de ses narines ? », s’enquit Ecthelion. « Est-ce dangereux ? »
« C’est du mucus. Le même que le nôtre si j’en crois ce traité, mais porteur de germes. Ah ! Ce renard de Curufin ne fait pas les choses à moitié quand il s’y met… Il a fait des analyses… En tout cas je vois que celui de votre écuyer est presque transparent… Si j’en crois ce traité, et son chapitre Des épidémies ches les Edain, il doit s’agir d’un virus. Et les symptômes décrits par le malade correspondent à une maladie contagieuse appelée ici grippe. »
« Il va mourir… ? », lâcha Ecthelion, blanc comme un linge.
« Peut-être pas… »
« Peut-être ?! Que prescrivez-vous ? »
Le médecin elfe poussa un soupir.
« Le lit pendant au moins une semaine, beaucoup de boissons tièdes ou chaudes, de la chaleur, et quelques tisanes qui vont lui dégager le nez et combattre les microbes. L’alimentation doit être équilibrée, riche en fruits et légumes, mais pas trop abondante. »
« Merci docteur. »
Une fois que le guérisseur fut sorti, Ecthelion courut chez l’apothicaire se faire préparer les tisanes indiquées, puis fit venir cinq autres médecins, qui lui dirent tous la même chose malgré ses molestations.
* * *
Quand Belin se réveilla, après un long sommeil tourmenté, il vit à son grand étonnement qu’il était entouré de cierges et de statuettes représentant les Valar.
Il y avait aussi une corbeille de fruits sur la table basse, des brocs d’eau, de vin et de soupe, ainsi qu’une pile de mouchoirs brodés en coton blanc.
« Je n’pouvons pas m’moucher dans des mouchoirs aussi beaux… », pensa l’humain.
Il sentait qu’il pouvait se lever, sa tête ne lui tournait plus. Il avait faim. Les fruits ne lui faisant pas envie, il se rendit dans la cuisine pour se faire une tartine de fromage.
Il était en train d’étaler le beurre sur le pain quand il entendit Ecthelion arriver derrière lui.
« …Belin ? »
« Oh monseigneur, vous êtes là ? J’avons pas soufflé les bougies dans la chambre, car j’pensais que vous lisiez. »
« Hein ? »
Le visage de l’elfe était encore plus pâle qu’habituellement, ses traits étaient tirés.
« Je suis allé dormir quelques heures », expliqua Ecthelion, comme pour se justifier. « Mais vous avez eu la force de vous lever ? »
« Oui je me sens mieux. »
L’elfe eut un soupir aigu, de soulagement.
« Vous êtes resté au lit pendant trois jours », dit-il alors.
« Si longtemps ? »
Il ne se souvenait plus. Il avait eu l’impression de dormir seulement une nuit.
Ecthelion lui toucha le front.
« La fièvre est tombée… Pourtant le médecin m’avait dit que cela durerait trois semaines… Par Varda ! Eru a exaucé mes prières ! »
Il serra l’humain malade dans ses bras.
« Seigneur Ecthelion… Vous m’serrez trop fort… »
Il eut une quinte de toux. L’elfe le lâcha.
Un mois plus tard.
Ecthelion venait de se coucher depuis dix minutes, et il était en train de lire un poème épique sur la Dagor-nuin-Giliath, la Bataille sous les Etoiles.
Il était arrivé au moment où il était question de la grande taille des épées des soldats fëanoriens, quand il y eut deux petits coups frappés à la porte.
« Oui ? »
C’était Belin en habit et bonnet de nuit.
« Non », se contenta de répondre l’elfe.
Le front de l’humain se plissa.
« Non, et ne me regardez pas avec cet air de chien battu, il faut que vous habituiez à dormir tout seul ! »