Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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Le meunier de Gondolin


Chapitre 1 : Le meunier de Gondolin

 

 

Le roi assis sur le trône de la plus haute tour de la Cité Cachée portait une somptueuse robe ressemblant à celles que l'on revêt pour se coucher, ainsi qu'un visage dur et morose. Ses yeux, gris et brillants, étaient comme la pluie transpercée par les rayons du soleil, et ses cheveux bruns encadraient un visage régulier comme sculpté dans la pierre. Un cercle d'or blanc était posés sur eux, mais ils atteignaient presque la ceinture qui serrait de plusieurs tours sa taille, car il était de coutume pour les elfes mâles de cette lignée de laisser pousser sa chevelure le plus qu'il était possible, en signe de vigueur et de virilité – ce qui suscitait toutes sortes de plaisanteries douteuses de la part des fils de Fëanor.

Mais ce jour-là, Turgon, second fils de Fingolfin, était plutôt de bonne humeur. Il avait presque réussi à convaincre sa fille de porter des chaussures quand elle sortait dehors, ce qui allait éviter beaucoup de larmes et de chirurgie. Il avait aussi mesuré une croissance de dix centimètres de l'arbre blanc qu'il avait planté sur la colline. Il avait pensé à sa femme morte une seule fois, à son réveil, quand il avait ouvert les yeux.

« Mon Roi », déclara alors le Maire du Palais, interrompant une malheureuse deuxième fois, « un être humain vous demande audience. »

« Un mortel ? Fais-le entrer. »

L'humain qui pénétrait dans la salle, quelques minutes plus tard, était d'un âge indéfinissable. Ses cheveux châtains bouclaient au niveau de sa mâchoire, et son menton portait la barbe. Il était vêtu très simplement.

« Monsieur... Erik, demande audience à sa majesté Turgon ! », proclama le Maire.

L'homme se prosterna, puis il posa sur le roi un regard curieux et étonné comme seuls les mortels en sont capables. Il n'était plus si jeune, mais ses yeux étaient verts comme la première herbe qui suit l'hiver humide.

« Erik ? », répéta le roi avec intérêt. « De quelle Maison ? »

Oh, les humains étaient souvent comme d'attendrissants petits écureuils. Pleins de poils, avec une courte espérance de vie.

« D'la maison derrière l'moulin, M'ssire. »

Turgon haussa un sourcil pointu.

« C'est le meunier de Gondolin, mon roi », expliqua le Maire.

« Depuis quand entre-t-on dans cette vallée comme dans un moulin ? »

Turgon réalisa que ceci expliquait peut-être cela, mais Erik tint à répondre :

« Mon pèr' avons v'cu ici, et le père d' mon père M'ssire. Notre famille vous avons s'vi dansc'te vallée magique, pour cultiver. »

« D'accord... Et quelle est la raison de votre visite, ô meunier ? »

« C'le pain, m'ssire, il rend vot' gente malade ! L'avons vu des taches noires sur l'blé, mais l'ont quand même voulu qu'je le broye ! Car l'ont prétendu qu'les elfes n'tomboient point malades ! »

« Ce qui est vrai. Mais poursuis ton récit. Qui a consommé ce blé ? Quels en furent les effets ? Je crains quelque sombre invention de Morgoth. »

« Les elfes de la troisième ferme avant l'ville, m'ssire. Sont devenus comme fols. Ils s'mirent'à danser et à rire sans pouvoir s'arrester ! A sauter dans l's'arbres et à chanter des chants qu'sortoient tout faits d'leur tête ! L'inventoient des rimes sur ma barbe et sur la forme des pains, comme ça ! Et l'étoient tant énervés que dormoient les yeux ouverts ! »

« Non, mon bon Erik », conclut le roi, « ils ne sont pas malades... Ils sont justes normaux. »

 


 

« Qui enterre-t-on, Penlodh ? Je ne suis au courant de rien », se plaignit le roi Turgon.

« Personne de bien important, Majesté », répondit le Maire. « Il s'agit d'un meunier humain. Il était très apprécié dans la vallée, bien qu'il s'exprimât d'une façon étrange. »

« Un meunier humain... Vous voulez dire, Erik le meunier ? »

« Oui majesté. »

« Mais de quoi a-t-il péri ? Il était si jeune ! Je l'ai rencontré il y a peu de temps, il venait me parler d'une maladie du blé... »

« Si jeune ? Il avait dépassé les 60 ans mon roi, ce qui est un âge vénérable pour un être humain. »

« Donc cela fait dix... vingt... trente ans ! Par Eru, il lui a fallu seulement trente ans pour mourir ? »

« Une de mes connaissances, majesté, me fit un jour part de ce trait d'esprit : les êtres humains sont comme les poissons rouges – un jour, vous revenez chez vous et ils sont morts, sans même que vous sachiez pourquoi. Il suffit de détourner la tête un instant et de penser à autre chose. Une brise d'air un peu trop fraîche ou un peu trop chaude, une cuillère d'aliments en trop ou en moins, et PAF ! Ils sont morts. »

Le visage de Turgon se referma. Pour la sixième fois de la journée, il venait de repenser au gros iceberg qui avait tué sa femme.


Chapter End Notes

à suivre


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