Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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Les droits des femmes


Chapitre 3 : Les droits des femmes

 

 

Turgon n'était pas elfe à rester passif face à l'adversité. La vie était en lui comme une flamme, bleue et constante, mais toujours brûlante. Si un problème se présentait à lui, c'était donc qu'il devait le résoudre.

Aussi se rendit-il dans les appartements de sa fille ce matin-là, bien résolu à en finir avec un certain problème. La jeune Idril se trouvait dans son salon personnel, une grande pièce très lumineuse dont le sol avait été recouvert d'une moquette verte épaisse ressemblant à s'y méprendre à de l'herbe. Il avait fallu le travail de trois Noldor très savants pendant plusieurs années afin de parvenir à ce résultat – les elfes avaient parfois de drôles d'idées. Quant à Idril, elle possédait les mêmes cheveux dorés que sa mère, une Vanya, mais tenait de son père les pommettes hautes et le long regard mélancolique.

« Bonjour, Atar. De quoi s'agit-il ? »

« Un cadeau pour toi, ma fille », répondit le roi Turgon.

Il fit ouvrir plusieurs boîtes, dont le contenu fut déposé sur une gondole de marbre bleuté.

« De magnifiques souliers, faits par le meilleur bottier de la ville. Et ces boucles qui les ornent, ont été ciselées à ma demande par Enerdhil lui-même. Allons, va les admirer. Je les ai faites faire à partir d'un moulage de ton pied. Elles sont à ta taille, du 44. »

La jeune fille s'approcha à petit pas prudents des chaussures, comme si celles-ci possédaient une âme et risquaient de l'attaquer.

« Quelle est cette matière ? », demanda-t-elle en touchant celle qui était couleur taupe et ornée d'or.

« Du vair. Ne sont-elles pas adorables ?»

« Père, vous connaissez mon aversion pour les chaussures. Elles me donnent l'impression d'être prisonnière. En outre, elles engendrent toutes sortes d'autres maux comme les cors et les durillons. »

« Ce ne pourra jamais être pire que d'avoir une corne d'un centimètre sous les pieds », s'irrita Turgon. « Sais-tu comment on t'appelle dans la ville ? Idril Pied-d'Acier. Car ils disent que la plante de tes pieds est si épaisse qu'elle pourrait arrêter une flèche d'orc. Et avec de tels pieds, aucun prince elfe ne voudra jamais t'épouser. Tu as beau avoir des cheveux d'or et une voix des plus mélodieuses, nous les elfes ne supportons pas qu'une femme n'ait pas de délicats petits pieds ! De beaux cheveux brillants, une voix mélodieuse, un long cou, une petite poitrine, de grosses cuisses, de petits pieds, voilà le canon de beauté noldorin. »

La princesse fondit en larme.

« Pourquoi ? Pourquoi n'aurais-je pas le droit de me promener pieds nus comme une femme libre ? Ma tante... »

« Et ne commence pas à évoquer l'exemple de ta tante. D'ailleurs, tu remarqueras qu'elle non plus n'est toujours pas mariée. Aller pieds nus, c'est une pratique d'Avari. Et encore, eux au moins ont le bon sens de mettre des bottes pour marcher dans le gravier. Pourquoi crois-tu que Celegorm ne l'a pas demandée en mariage ? Parce qu'il est comme tous les autres, il se réserve pour une femme avec de longs cheveux, de petits pieds, et une voix de rossignol. Ces derniers temps, ta tante ressemble plus à une poissonnière teleri qu'autre chose. »

« Mon père, vous devenez sinistre ces derniers temps ! »

« Je ne suis pas sinistre. Je suis lucide. »

 

* * *

Au même moment, dans la taverne de la caserne, les bottes pleines de boue de la Blanche Dame des Noldor étaient posées sur une table basse. Celle-ci, vêtue de blancs pantalons, était en train de raconter l'un de ses souvenirs d'enfance aux soldats qui l'entouraient, un grand verre de liqueur à la main.

« Et c'est comme ça que je me suis vengée. Je suis entrée dans sa chambre de nuit, et j'ai coupé ses belles petites tresses noires nouées avec des rubans. Je peux vous dire qu'au réveil le Vaillant Fingon n'en menait pas large. »

« Aredhel ! Tu es la meilleure ! »

Ils trinquèrent tous.

* * *

« Non mais sais-tu ce qu'elle a osé demander à notre père ? », s'exclama Turgon. « Qu'il intègre les femmes dans la succession ! Et quoi encore ? »

 

* * *

« C'est vrai, je ne vois pas pourquoi seuls les hommes pourraient devenir roi. Nous les femmes avons les mêmes compétences qu'eux. Mon frère le roi ne s'en vante pas, mais quand nous étions à Valinor, Galadriel le battait toujours aux joutes athlétiques. »

Les soldats acquiescèrent.

* * *

« Tu imagines ta tante, reine ? On n'aurait pas fini d'avoir des ennuis, avec ses goûts déplorables en matière de compagnie masculine. »

 

* * *

« Et là il m'a dit : toi, reine ? Pour que tu donnes le trône à l'un des fils de Fëanor ? Et je lui ai répondu : si je suis reine, même si je me marie, je garderai le trône pour moi seule. Et je botterai les fesses de Morgoth. »

Les soldats hochèrent la tête farouchement.

* * *

« Et là elle me dit qu'elle bottera les fesses de Morgoth. Alors j'ai eu mon premier fou rire depuis dix ans. »

 

* * *

« Et alors là mon frère se met à rire. Et il me dit que de toute façon, si la succession intègre les femmes, si il mourait le trône ne passerait pas à moi, mais à sa fille. »

« Et que lui avez-vous répondu ? »

« Que je retirais ma demande », répondit la soeur du roi.

Elle but d'un trait ce qui restait de son verre de liqueur.

...Etre une femme était une chose, se promener partout pieds nus en était une autre.

 

 


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