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Episode 8 : Le Chevalier de la Fontaine
Le roi Turgon était descendu au dernier étage de la muraille blanche qui entourait sa cité de Gondolin. Il tenait une feuille de papier dans les mains.
« Duilin, ouvrez-moi la poterne. »
L’archer s’exécuta. A son grand étonnement, il put alors voir alors le roi s’accroupir, ramper jusqu’au bord de la porte minuscule dans sa grande robe qui lui descendait jusqu’aux pieds. Bientôt, il ne vit plus que les semelles de ses savates dorées.
« Sire ? »
De ses yeux gris perçants, Turgon regardait l’immense surface lisse et noire que constituait le rocher poli par ses ouvriers pendant des années et des années. Il ne ressemblait plus à de la pierre, mais à du verre. Le Noldo ramassa alors sa feuille de papier, qu’il tint des deux mains, entre le pouce et l’index. Il la cala contre la pierre polie de la colline, juste à l’endroit où s’arrêtait la muraille. Puis il la lâcha, et la regarda glisser parfaitement jusqu’en bas, sur la pelouse verte.
« Je ne m’en lasserai jamais », dit-il.
« Dites-moi, Glorfindel », fit le roi de sa belle voix grave, « on m’a dit que vous étiez en Nevrast, il y a trois jours, pour voir vos parents. La capitale est-elle toujours aussi belle ? »
« Toujours aussi belle, majesté », répondit Glorfindel, le cou ceint d’un collier de coquillages. « Et l’air marin y est fort vivifiant. D’ailleurs, j’y ai vu votre tante Lalwen, et elle vous passe le bonjour. »
« Bien. Vous n’avez rien révélé au sujet de l’emplacement de Gondolin, j’espère ? Même aux membres de ma famille ? »
« Rien, majesté. »
« Ni même à mon cousin Angrod ? »
« Angrod ? Mais je ne me suis pas rendu en Dorthonion… »
« Vous êtes bien allé délivrer son fils Orodreth, pendant votre absence ? »
Le grand connétable se racla la gorge.
« En fait, le seigneur de la Fontaine m’a demandé l’autorisation de remplir cette mission… Et j’ai pensé qu’une telle expérience lui serait profitable. »
« Mais vous n’êtes pas bien ! Vous avez envoyé ce morveux d’Ecthelion délivrer Orodreth ?! Il a déjà du mal à attacher ses lacets ! Rassurez-moi : dites-moi qu’il est accompagné d’une compagnie composée de guerriers, de mages et de rangers triés sur le volet ! »
« Non sire, il est parti seul… Avec son écuyer humain. »
« Par Eru ! Avec un humain, en plus ! Et depuis quand les humains sont écuyers ? »
« Il s’agit de Belin le Blond, l’un des fils de Feu le meunier Eric, majesté. Comme il n’a pas eu d’héritage, il se trouvait sans emploi… »
« Et donc vous l’avez refilé au bras cassé de service, en vous disant que ça équilibrerait les choses. »
« D’un autre côté, majesté, il ne s’agit que de trolls et de vampiresses près du lac Helevorn… Et non de réitérer l’exploit de votre frère. »
Turgon haussa les épaules.
« Oh, vous savez, le Thangorodrim, mon frère n’est jamais rentré dedans… Il ne trouvait pas l’entrée… Des trolls et des vampiresses, vous dites ? »
Deux hommes marchaient dans le tunnel sombre. L’un, à l’armure d’argent et aux longs cheveux noirs pleins de reflets violets était très grand et très beau. L’autre, celui qui tenait la torche, était plus petit, avait une barbe de sept jours, des vêtements élimés lessivés par les intempéries et l’air accablé par le sort.
« Mon pauvre ami », dit Ecthelion, « vous avez vraiment l’air misérable. Pourquoi les humains ont toujours l’air aussi misérables ? On dirait toujours des espèces de pauvres chiens mouillés… »
« Pardon, M’ssire. J’le faisons pas exprès j’vous jure. »
« Je sais, je sais… Et puis inutile d’élever la torche comme cela, je n’en ai pas besoin pour voir. Les elfes voient dans l’obscurité. Par Tulkas, mais comment est-ce possible d’être si petit ? »
« Sommes pourtant le plus grand d’ma famille, vin dieu ! »
« Hé bien, je n’ose pas imaginer comment sont les autres… Et puis, si vous pouviez arrêter de faire des fautes de grammaire toutes les cinq minutes… »
Il s’arrêta, posa son épée contre la paroi, puis sortit une carte de son sac.
« Bon, d’après la carte que nous a donnée Caranthir, l’antre des Vampires devrait se trouver au bout de ce labyrinthe. C’est-à-dire gauche droite gauche gauche à partir d’ici. »
* * *
« Je crois que nous sommes perdus », lâcha Ecthelion en s’asseyant sur une grosse pierre.
« On aurait p’t’être dû semer des cailloux, messire. »
« Hum, voyons… Qu’aurait fait Fingon Fingolfinion, mon Modèle, en de telles circonstances ? »
« Qui ça, messire ? »
« Le plus vaillant des Noldor. Qu’aurait-il fait ? »
Le jeune Ecthelion se récita mentalement le Lay de la Folle Quête d’Hildor à la Voix Pure.
Perdu, désespéré,
En proie à grande détresse,
Il défaisait ses tresses,
Déplorant l'être aimé
Non, ce passage ne lui apprenait rien… Voyons plus loin…
Alors il prit sa harpe
Dans ses mains fortes et claires
Et entonna un air
Connu à Valimar
Quand ils étaient heureux
Oui, c’était ça !
Il sortit sa grande flûte argentée de son sac. Alors, Belin ouvrit des yeux ronds comme des assiettes quand il vit l’elfe commencer à jouer, dans ces tunnels souterrains, au milieu des ténèbres. Un air de bonheur, un air tout simple d’enfance…
Et aussi incroyable que cela soit, une voix répondit dans le noir.
A la claire fontaine
M’en allons promener
J’ai trouvé l’eau si belle
Que je m’y suis baigné
Il y a longtemps que je t’aime
Jamais je ne t’oublierai
Le visage d’Ecthelion s’illumina, d’abord. Puis l’utilisation de la première personne du pluriel dans le deuxième vers le fit sourciller ; il se tourna vers son écuyer et vit que c’était lui qui chantait.
« Mais vous êtes complètement stupide ou quoi ?? »
« Mais messire, j’pouvons pas m’en empêcher… Cet air qu’j’connais si bien et qu’est si joli… »
« QUE MANWË ME VIENNE EN AIDE, OU JE CROIS QUE JE VAIS L’ETRIPER ! »
« Oh, mais c’est quoi ce boucan ? »
C’était une voix féminine qui venait de se faire entendre.
« William, va voir s’il n’y a pas encore des Nains qui sont venus fureter dans le coin… Si c’en est, tu auras le droit de les manger. Hi hi hi hi. »
« La Vampiresse ! », siffla Ecthelion.
Il rangea sa flûte et saisit sa grande épée, prêt à en découdre.
Le combat ne dura pas longtemps. Et après avoir tué silencieusement le troll William, les deux aventuriers n’eurent qu’à suivre l’empreinte de ses pas dans la poussière, et ne tardèrent pas à déboucher sur un couloir plus étroit, qui ouvrait lui-même sur une arche décorée des emblèmes odieux de Morgoth. Mais là, dans la grande halle d’où était venue la voix féminine, ce fut un spectacle plus qu’inattendu qui leur fut servi.
Dans le fond de la salle, un jeune elfe aux cheveux blonds coupés au carré était étendu sur un amas de coussins, entouré de vampiresses à demi nues qui le flattaient lascivement de leurs mains griffues et lui prodiguaient des baisers en gémissant. Dans un autre coin de la pièce, des trolls jouaient aux cartes en buvant du vin.
« Orodreth ? », lâcha Ecthelion.
« Hi hi hi », fit une des vampiresses – celle qui avait les formes les plus avantageuses -, en empêchant d’une main les trolls de se lever. « Voilà que nous avons de la visite. »
« J’adore la livraison à domicile ! », s’exclama un des trolls.
« Non non non, ceux-là sont bien trop beaux pour être mangés. »
Elle se leva, vêtue d’une seule jupe vaporeuse et de bijoux noirs qui ressortaient sur sa peau pâle. Et elle fixait des yeux Ecthelion, qui baissa lentement son épée, sous le regard incrédule de Belin.
« Messire… ? », s’étonna Belin le Blond, laissé de côté par les autres succubes car jugé trop galeux pour être désirable.
La Vampiresse posa sa main sur la joue du jeune Noldo, puis fit glisser l’ongle long et rouge de son index sur son cou imberbe et éclatant, jusqu’à la cotte de mailles.
« Laisse-toi faire, la Fontaine », enjoignit alors Orodreth d’une voix vaseuse. « Elle connaît des choses… des choses que je n’aurais jamais imaginées… Si tu savais… »
« Il a raison », susurra le démon femelle en appuyant sa poitrine contre celle de l’elfe brun. « Je sais comment te débarasser de ton surplus de sang… Avec ma bouche. »
« Messire, ne l’écoutez pas ! »
Mais les yeux d’Ecthelion, assombris, ne semblaient pu voir que la vampiresse en tenue légère, qui parlait maintenant de faire des choses à une épée restée trop longtemps dans son fourreau, ou quelque autres activités en rapport avec le forage.
« Messire ! », cria Belin au désespoir. « Pensez à Fingonfinion ! »
Soudain, l’enchantement sembla se briser, et les pupilles d’Ecthelion redevinrent normales, et son regard, lumineux comme du radium.
« A MORT, CATIN ! », hurla-t-il.
Un mois plus tard, les trois jeunes gens étaient de retour à Gondolin, et Ecthelion fit son rapport à Turgon, dans la salle du trône.
« Et c’est là qu’elle s’est transformée en une espèce de pieuvre, me saisissant tous les membres et m’empêchant de bouger. Mais comme j’avais mon heaume à pointe, je lui ai donné un coup de tête. Je suis sûr qu’en de telles circonstances, Fingon Fingolfinion aurait fait de même. Le sang a giclé sur Belin, mon fidèle écuyer, mais il ne s’est pas laissé démonter. Il a ramassé une masse de troll qui se trouvait par là, et il a commencé à frapper la pieuvre, jusqu’à ce qu’elle me lâche. »
Hildor le barde semblait boire du petit lait. Mais ce n’était pas le cas du roi.
« Et le moment où vous avez assommé Orodreth, celui que vous deviez sauver, c’était quand ? », demanda-t-il froidement.
« Après que nous eussions tué tout le monde, Sire. Il ne voulait pas nous suivre et désirait attendre le retour de Thuringwethil. Alors je l’ai assommé et je l’ai chargé sur mon dos. »
« Et c’est donc pour ça qu’il a une commotion cérébrale et que d’après les docteurs ses capacités cognitives et décisionnelles sont irrémédiablement diminuées ?! » rugit Turgon.
Le fier Ecthelion eut l’air sceptique.
« Personnellement, majesté, entre avant et après, je n’ai pas vraiment vu la différence. »
Belin écoutait Ecthelion avec un air sidéré, un air sidéré de pauvre chien mouillé.
« Et quand j’aurai fini de t’apprendre à parler correctement, on te trouvera de nouveaux vêtements… Et je t’apprendrai à tresser tes cheveux, à tracer des lettres, à chanter justement et à jouer de la flûte traversière. La Civilisation, quoi. »
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