Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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Le jeune homme et la mer

Les Jeunes sont de sortie.


Chapitre 11 : Le jeune homme et la mer

Ce midi-là, dans une taverne de Vinyamar, l’ambiance était chaude et les esprits joyeux malgré la bruine qui tombait sans discontinuer depuis le matin.

L’aubergiste, un elfe gris au long nez, vint vite demander aux deux derniers arrivants – un grand chevalier aux cheveux noirs et son jeune frère blond flanqué d’une allergie au visage – ce qu’ils désiraient commander.

« Bonjour à toi aussi, l’Aubergiste », dit Ecthelion. « Nous prendrons deux laits de chèvre et votre plat du jour, si il est à base de poisson de mer. »

« C’est du bar aux légumes, Noble Sire », répondit le Sinda.

« Très bien. Avez-vous des crevettes ? »

« Sûrement mon seigneur, de belles et grandes crevettes roses. »

« Apportez nous-en aussi. »

Quand l’aubergiste fut reparti, Belin déclara qu’il avait l’impression que les gens le dévisageaient. Depuis qu’il avait adopté l’habit et la coiffure des elfes, il s’était relativement fondu dans la masse. Mais cela avait changé en quelques heures. La peau d’Ecthelion était toujours parfaite, bien qu’il ne s’en occupât jamais. Ce n’était pas le cas de celle de Belin. Ce jour-là, il avait une poussée d’acné sur le front, des points noirs sur le nez, et des coupures de rasage sur le menton.

« Comme le disait mon père, il faut laisser parler les parleurs », dit le seigneur de la Fontaine. « Vous faites de grands progrès dans le maniement des armes, et c’est là le principal. Pour ce qui est des chevaux, c’est un domaine que vous maîtrisiez déjà, mais vous avez appris à utiliser nos outils au lieu des vôtres. »

« J’avons toujours aimé les ch’vaux, messire, depuis qu’sommes p'tiot. J’savons pas leur parler comme vous, mais c’est un peu comme si moi et eux n’avions pas besoin du même langage pour nous comprendre. »

Ecthelion hocha la tête, pensif.

« Les deux laits de chèvre ! », annonça l’aubergiste en posant le contenu de son plateau sur la table. « Et les crevettes, bien chaudes ! »

Belin ouvrit de grands yeux en voyant l’assiette de crustacés.

« Ce sont des bêtes qui sont vraiment dans la mer, messire ? »

« Oui. Il y en a même en grande quantité. Euh, non, il ne faut pas manger la tête. »

« C’est bon ! Merci, gentil seigneur. »

Un demi-sourire se dessina sur le visage impitoyable et fier du seigneur elfe.

« I-LU-VA-TAR ! », s’exclama soudain une voix à sa droite. « Mais qui je retrouve là ! »

Ecthelion se tourna avec horreur. 

« Orodreth ?!! »

Orodreth n’avait pas changé depuis la dernière fois qu’ils l’avaient vu. Il était toujours aussi blond, les cheveux coupés au carré à la mode de Nargothrond, avec une frange qui soulignait ses ronds yeux bleus. Cependant, il ne portait plus la livrée de Finrod, mais celle de Fingolfin.

« Qu’est-ce que vous faites là ? », demanda Ecthelion.

« Hé bien, en ce moment je suis en apprentissage chez mon grand oncle Fingolfin, à Barad Eithel. Et je l’ai suivi ici pour quelques jours. Je n’avais jamais vu Vinyamar. Ainsi vous avez suivi le roi Turgon ? »

« Comme vous le voyez. »

Orodreth prit place en face de lui, à côté de Belin, qui était occupé à manger ses crevettes.

« Bonjour », dit-il à l’humain. « Vous êtes un compagnon d’Ecthelion ? Oh, par Eru, mais vous avez attrapé une sacrée allergie ! »

« Vous m’reconnaissez point, bon sire ? »

« C’est mon écuyer humain, vous ne vous souvenez pas de lui ? » 

« Quoi ? Mon dieu ! Non, je ne l’avais pas reconnu… Comme il a changé ! Ah, c’est à cause de la barbe, sûrement… Mais cette allergie ? »

« Ce n’est point d’allergie, messire », répondit Belin. « C’sont boutons d'jouvanceau, qu’mes frères aînés avoient aussi à mon âge. »

« Oh. Quel âge avez-vous, si ce n’est pas indiscret ? »

« Dix-sept printemps monseigneur. »

Orodreth eut l’air terrifié.

« Ils grandissent plus vite que nous », expliqua Ecthelion.

« Vous m’avez fait peur ! »

Belin proposa alors à Orodreth de partager ses crevettes. Quand elles furent terminées, une serveuse vint les reprendre, et ne tarda pas à déposer le reste du repas sur la table.

« Voilà vos poissons, jeunes gens », dit-elle.

« J’ai l’air si jeune que ça ? », murmura Orodreth avec un air déçu.

Mais Belin regardait la serveuse avec une sorte d’étonnement nostalgique, et ce faisant, il avait à nouveau l’air misérable.

« Elle vous plaît ? », demanda le fils d’Angrod.

« Oh, j’regardais juste parce qu’elle n’est point laide, et semble gentille. »

« Il paraît que les Sindar sont moins revêches que les Noldor », dit Orodreth avec un air canaille. « Vous devriez en profiter, Ecthelion. Surtout que j’ai entendu dire que vous aviez beaucoup de succès. »

« Non merci. »

« Moi, à Barad Eithel… Il y a une dame noldo qui me plaît bien. Mais elle est plus froide et distante qu’un iceberg de l’Helcaraxë », gémit l’elfe blond.

Ecthelion avait l’air aussi passionné par cette conversation qu’un Vala à qui l’on parle contraception.

« Limwen, qu’elle s’appelle… Mon cœur saigne chaque fois qu’elle parle à un autre. Et vous Belin, y’a-t-il une dame dans votre cœur ? »

« Oh non, messire. Il n’y a plus d’humaines dans la vallée de Gondolin depuis dix ans. »

Un Espion de Morgoth, qui se trouvait par là, tendit l’oreille.

« La dernière qui est morte, c’était ma tante. Et juste avant, ma mère. »

« C’est triste… »

« Du coup, il reste plus qu’moi, mes frères, et deux d’mes cousins. J’avons pas d’cousine. Mes frères Eudes et Robert n’ont point pu s’marier. Ce n’est point facile pour eux, car au moulin, ils travaillent avec des elfes femmes, et elles sont toujours bien faites, et agréables ! Mais elles n’veulent point d’eux pour époux. Pour moi, c’est dur aussi, et j’avons jamais connu d’femme. Alors j’devons m’occuper de moi-même tout seul. »

« On en est tous là », dit Orodreth.

« Quoi, on en est tous là ? », demanda Ecthelion.

« Hé bien, vous voyez… A nous soulager par nos propres moyens. »

« Mais non… », démentit Ecthelion.

« Vous ne le faites jamais ? »

« Y’a point d’honte, monseigneur », dit Belin.

L’Espion de Morgoth se demanda soudain pourquoi il avait commencé à écouter cette conversation. Quant à Ecthelion, il eut un haut-le-corps.

« Puisque je vous dis que non. Et depuis ma mésaventure avec la vampiresse, j’ai fait vœu de chasteté. »

« Vous êtes courageux », dit Orodreth. « Il paraît que mon oncle Fingon a fait vœu de chasteté également. Cela fait des siècles qu’il refuse de se marier. »

 

* * *

Une demi-heure plus tard, les deux elfes et l’humain étaient sur la plage, avec des bouteilles de vin et de cidre qu’Orodreth avait achetées à l’auberge. Lui et Ecthelion étaient assis sur le sable. La bruine avait cessé, et le ciel s’était dégagé. Plus loin, Belin avait les deux pieds dans l’eau, et il touchait la crête des vagues avec émerveillement.

Orodreth déboucha une bouteille de cidre et la tendit à Ecthelion.

« Il a l’air de s’amuser… »

« Il n’avait jamais vu la mer… »

Tuor n’avait pas été le premier, contrairement à ce que dira la légende. Mais de Belin le fils du meunier, peu se souviennent aujourd’hui, et tous vivent en Valinor, au paradis des fées.

« Venez messire ! », cria-t-il, après s’être déshabillé. « Elle est fraîche, mais point mauvaise. »

Orodreth et Ecthelion posèrent leur bouteille et allèrent le rejoindre. Ils furent surpris de constater que Belin savait nager.

« C’est bien l’plus grand lac que j’avons jamais vu, mes seigneurs ! Et l’eau en est salée… Qu’y a-t-il, de l’autre côté ? »

« Valinor », répondit Ecthelion.

« Vous y êtes allé ? »

« Non. »

« Moi non plus », dit Orodreth. « Je suis né ici. »

Ils se turent tous les trois, songeurs. Puis Orodreth commença à asperger ses compagnons, et la baignade dégénéra en lutte puis concours de nage.

Un peu plus tard, Belin, qui avait disparu, revint avec une épuisette qu’il avait fabriquée avec trois bouts de bois et un morceau de tissu.

« Qu’allez-vous faire avec ça ? », demanda Ecthelion.

« Attraper des crevettes, messire. »


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