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Chapitre 14 : Prison break
« Alors si j'ai bien compris, Ecthelion est toujours en prison ! »
« Pour deux semaines », dit le roi en continuant d'examiner les échantillons de tissus que lui montrait Egalmoth.
« Je me disais encore… », fit ce dernier. « En venant j'ai croisé son écuyer, le petit blond là, qui errait sur la place comme une âme en peine… avec un panier dans la main. »
« Ouais ben il ferait mieux d'arrêter de lui amener de la nourriture », répondit Turgon, « parce que figurez-vous qu'il s'en sert pour assaisonner les gardes ! Pas plus tard qu'hier l'un d'entre eux s'est plaint d'un bleu à la carotide par la suite d'un jet de saucisson. Du coup il s'est encore fait prolonger d'une semaine.»
« Pff… Ah la jeunesse d'aujourd'hui », soupira Egalmoth. « Ça a à peine 100 ans, ça n'a jamais vu Telperion, et ça veut jouer dans la cour des grands ! »
« Je l'avais dit à Glorfindel, qu'Ecthelion n'était qu'un bon à rien », ronchonna le roi. « Le jour où il sera utile à cette cité… les serpents voleront dans les airs. »
Le roi sursauta en poussant un grand cri. Il y avait une grande forme sombre qui dépassait des portes-fenêtres ouvrant sur le balcon de sa chambre, et qui semblait bouger.
« N'ayez crainte, Roi Turgon, fils de Fingolfin », dit l'ombre. « Ce n'est que moi, Thorondor. »
Turgon poussa un soupir de soulagement. Il s'approcha de l'ombre, pour réaliser qu'il s'agissait de sa gigantesque tête, qu'il avait passée par la fenêtre.
« Vous m'avez fait peur ! Alors, des nouvelles du guet ? »
« Rien à signaler », répondit Thorondor de sa majestueuse voix grave. « Nous continuons notre garde et nos patrouilles. »
« Bien, bien… Manwë soit loué de vous avoir adressés à moi ! »
« Il ne vous a pas oubliés. »
« Vous avez mangé ? », demanda alors Turgon.
« Oui. »
« C'est dommage. Je vous aurais bien offert quelque chose avant que vous repartiez… Oh, mais je sais ! »
Il alla fouiller dans le coffre où étaient rangés tous ses sceptres surmontés d'une main. Il prit celui dont la main avait l'index et le majeur crochus, et se mit à gratter le haut de la tête de l'aigle au moyen de ce royal outil. Thorondor poussa un long grognement de contentement.
« Ho-ho-ho, ça c'est un gentil nainaigle… », susurrait Turgon en brossant les plumes à contresens.
« Hum… Merci, je n'arrive jamais à atteindre cette partie moi-même. »
Un jour, alors qu'il allait apporter une galette à son maître, vêtu de son manteau rouge à capuche parce que l'hiver était tombé, Belin surprit une conversation entre deux elfes et l'un des geôliers. Il ne le savait pas, mais les deux elfes étaient le frère et l'oncle de Barandîr, le capitaine qu'Ecthelion avait tondu.
« Mais débrouillez-vous », dit l'oncle, « on vous paye assez pour ça ! Insultez sa mère, ou son chien, que sais-je encore ! »
« Mon imagination commence à se tarir… »
« Voilà qui devrait l'aider à se remettre en route. »
L'elfe glissa un Fingolfin d'or dans la grande main du garde.
Furieux, Belin fit demi-tour et se dirigea vers la maison de Glorfindel. Celle-ci était située dans le quartier Sud-Ouest, non loin de la Porte d'Ingwë. Elle venait tout juste d'être terminée et la peinture était encore fraîche sur les murs blancs et les ferronneries vertes.
« Voilà une bien belle villa », pensa l'humain.
Il frappa trois coups de heurtoir.
« Les raclures d'égout ! », s'exclama Ecthelion quand Belin lui eut appris le complot qui se tramait contre lui.
« Chut, messire ! On pourroit vous entendre… »
« Vous avez raison », répondit-il à voix basse. « J'aurais dû tuer ce chien de Barandîr quand j'en avais l'occasion. Ou pire, l'émasculer. »
Belin fronça les sourcils. La logique des propos de son maître lui échappait.
« N'ayez crainte, mon sieur ! », dit-il alors. « J'avons prévenu Glorfindel Lauredindil… Vous s'rez libéré, sous peu. »
« Encore faudrait-il que le roi y consente ! Il ne m'aime pas. »
« Le roy n'vous aime point ? Mais si il aime Glorfindel, et que Glorfindel vous aime bien… »
« C'est vrai… », murmura Ecthelion. « Heureusement que vous êtes là. Encore une fois, vous me sauvez la vie. Je suis votre débiteur. »
« Tenez mon sire », se contenta de répondre Belin en retirant le torchon de son panier, « j'vous avons porté une galette au beurre qu'j'avons faite, selon la recette de ma mère Jehanne, qui les faisoit tout pareil. Mais 'ne faut point la lancer. »
« Merci mon bon. Je vais la manger tout de suite. Vous aurez une prime dès que je sortirai d'ici. »
Et il mordit dans la galette à belles dents, car il était jeune et mangeait comme quatre.
Ecthelion fut libéré le lendemain, sous les pressions de Glorfindel. L'opinion du roi à son encontre n'avait toutefois pas changée. Depuis qu'il était devenu le chef de sa maison, le jeune elfe ne s'était avéré qu'être une source d'ennuis en tout genre.
« Dites-moi, Thorondor, tant que je vous ai sous la main… », demanda le roi à l'aigle géant, car il ne l'avait pas vu depuis son départ pour Vinyamar.
« Oui ? », répondit la majestueuse créature.
« Quand vous aviez ramené mon frère Fingon, et Maedhros, du Thangorodrim… Ils ne se faisaient pas des bisous, ou des trucs comme ça ? »
« Non… Pourquoi ? »
« Oh, pour rien… On a parfois de ces idées farfelues qui nous passent par la tête. »
Il fit descendre machinalement le bout du sceptre dans le cou de l'aigle.
« Juste là… Oh, oui oui oui… », fit l'oiseau.