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Episode 15 : Riche comme Egalmoth
Les membres de la Maison de l'Arc-en-Ciel étaient riches, très riches. Ils étaient si riches que la splendeur de leurs vêtements et de leurs demeures rappelait la Tirion d'antan. La tour de leur maison était recouverte d'une mosaïque de pierres semi-précieuses, avait dix portes et cent fenêtres. Si les membres de la Maison de la Fontaine, par un choix à la fois esthétique et moral, préféraient l'argent et les diamants, toutes les couleurs et tous les types de gemmes étaient plébiscités par ceux de l'Arche Céleste.
Simples négociants, chevaliers, orfèvres ou drapiers, les elfes de la Maison de l'Arc-en-Ciel étaient donc tous riches. Mais le plus riche d'entre tous étaient leur seigneur, Egalmoth le Fortuné, qui portait deux bagues sur chaque doigt, un manteau de velours bleu à la lisière incrustée d'opales et au grelot constitué d'un unique diamant si grand qu'il envoyait des reflets irisés tout autour de lui.
Ses tuniques étaient faites de tissu d'écarlate, ses bottes du meilleur cuir du pays. Il écrivait avec une plume de paon. Il buvait dans des coupes en or. Il mettait des cornalines dans sa baignoire en même temps que des boules de bain. Et ses boules de bain renfermaient de l'essence de parfum, et l'intérieur de sa baignoire était en nacre.
Sa richesse était si grande qu'elle était devenue proverbiale. Quand on voulait dire de quelqu'un qu'il était riche, on disait « riche comme Egalmoth ».
D'ailleurs, il n'avait jamais été pauvre, étant issu d'une famille noble de Tirion. Mais c'était à Vinyamar puis Gondolin qu'il avait développé sa fortune et ses entreprises. Car le savoir-faire de sa Maison résidait dans la construction de machines. Ils avaient débuté en Nevrast, avec les métiers à tisser. Puis les Elfes Irisés avaient commencé à concevoir des machines de guerre : catapultes, trébuchets, balistes… Naturellement, à Gondolin, ils s'étaient retrouvés en charge de la construction et gestion de ces engins postés sur les murailles. Bientôt, ils se mirent à construire également des instruments de musique jouant tout seul, et toutes sortes d'automates, notamment pour les enfants.
« On a même vendu une main mécanique à Maedhros… Comme ça il peut passer le balai ! »
Ce jour-là, Egalmoth se faisait peindre en portrait par Cenedril, le maître artiste de la ville.
« Ah, Maedhros… », dit le peintre, tout en restant concentré sur son travail. « Je l'avais peint quand il vivait à Tirion. C'était le plus beau jeune homme de la cité, et le meilleur parti de tout le peuple des Noldor… Je l'ai vu récemment. On dirait un palais magnifique… tombé en ruines, ou saccagé par des sauvages. Grisâtre, avec des fissures, des parties manquantes… »
« C'est un peu cela », dit Egalmoth.
Le marchand avait quant à lui le teint beige, les sourcils noirs et bien plantés, les yeux verts, avec des morceaux d'ambre dans l'iris, et des cheveux bruns ondulés, partagés sur le côté gauche, qui reposaient sur le sommet de son pourpoint arc-en-ciel brodé de fils d'or et de gemmes. A sa ceinture pendait un sabre recourbé, car c'était aussi un habile bretteur, bien qu'il préféra l'arc.
« Quelle tristesse… », murmura Cenedril.
« Vous aviez choisi un sujet mythologique ? historique ? »
« Non… Je l'avais juste peint nu… enfin avec une feuille de vigne. Attention, ne bougez pas… »
« Euh, vous me laissez mes vêtements, hein ? J'ai pas envie de me retrouver à oilpé avec une pomme de pin sur les noix. C'est pour suspendre dans ma salle à manger, ce tableau. Et je suis père de famille. »
« Non, ne craignez rien monseigneur. J'avais peint Maedhros nu car son corps était un vrai cadeau pour un artiste. »
« Et le mien ne l'est pas ? »
« Pas vraiment », répondit Cenedril. « Enfin il est… correct. Mais Maedhros, comment dire… C'était un autre niveau. D'ailleurs il fallait voir dans quel état il mettait la gente féminine. »
« Et pas que la gente féminine ! Il y en a encore pour combien de temps ? »
« Je pense qu'il faudrait que vous reveniez une heure chaque soir jusqu'à la fin de la semaine. Ensuite je m'occuperai des finitions et je n'aurai plus besoin de vous. »
Une demi-heure plus tard, Egalmoth quittait l'atelier du peintre, qui habitait dans le quartier nord, la partie de la cité la plus cosmopolite. Il dut d'ailleurs passer dans une ruelle peuplée de Nandor, les elfes sylvains, et quand il atteignit le portail de son hôtel particulier, il manquait deux opales à la bordure de son manteau.
« Ah les chiens ! Ils m'ont chourré deux pierres… C'est vraiment des racailles ces forestiers… La prochaine fois, je rentre en chaise à porteurs. »
Dans le hall, deux de ses cinq filles vinrent l'accueillir avec une coupe de boisson.
« Bonsoir, Père. Avez-vous eu une bonne journée ? »
« Avez-vous fait du profit ? »
« Plein de profits, mes amours. Et vous, vous profitez en beauté. »
« Merci Père. »
Elles firent la révérence. Celles-ci n'étaient pas encore mariées, et il y avait aussi la petite, qui devait être à son cours de calcul.
« Nous vous avons fait préparer votre collation. Elle vous attend dans le Petit Salon. »
Le riche négociant monta les marches d'un escalier à double hélice en marbre rose. Dans le salon, sur une table en bois noble aux fioritures recouvertes de feuilles d'or, les domestiques avaient posé un plateau d'argent contenant des amuse-bouches au faisan. Sur un autre plateau, il y avait aussi son courrier.
Egalmoth se laissa tomber dans son fauteuil matelassé en poussant un bâillement d'auto-satisfaction. C'était une journée comme il les aimait. Pas de ces abrutissantes réunions au Palais, pas d'obligations militaires… Juste les affaires.
Il grignota une bouchée puis commença à ouvrir son courrier. Le premier était une lettre de sa femme, qui se trouvait actuellement en voyage dans l'un de leurs comptoirs, à Eglarest. Cette dernière lui donnait un certain nombre de détails d'ordre professionnel, puis lui expliquait à quel point il lui manquait le soir venu, ce qui lui échauffa quelque peu le sang. Mais la deuxième lettre fit retomber d'un coup cette montée de libido. Elle venait de l'administration, et plus précisément des services du Trésor, gérés par Penlodh. Egalmoth ne comprit pas quand il avisa la provenance de l'enveloppe. Il avait déjà payé ses impôts sur le revenu ainsi que les différentes taxes en lien avec l'immobilier, le mobilier et même l'immobilisme. De quoi pouvait-il s'agir ? Ce fut donc les sourcils froncés qu'il décacheta la lettre. Pour y découvrir un intitulé nouveau pour lui (et pour d'autres)…
IMPÔT SUR LES GRANDES FORTUNES
Un flux de rage colora son visage d'homme riche. Quoi, un nouvel impôt ? Réservé aux plus riches ?!
« Trop, c'est trop, Penlodh », siffla-t-il. « Cette fois-ci, c'est la Guerre. »
à suivre
Quelques siècles plus tôt, en Valinor.
« Fëanor », dit Fingolfin avec humeur, « tu étais obligé d'accrocher un tableau de ton fils à demi-nu en plein milieu du palais de notre père ? »
« Cela te dérange-t-il mon frère ? », répondit âprement Fëanor. « Il m'a semblé naturel que tous puissent profiter de cette merveille. »
« Mais c'est indécent ! », s'exclama Fingolfin.
« Tu trouves cela indécent parce que tu es jaloux », répondit l'autre avec un sourire de plaisir.
« Jaloux ? Mais de quoi ? »
« Jaloux que mon fils aîné soit plus beau que le tiens. »
« Mon fils n'est encore qu'un enfant je te rappelle. »
« Cela n'empêche… Rien de particulier ne ressort de son apparence. A son âge, mon fils avait déjà donné, de par ses cheveux, son nom à une couleur : le rouge Russandol. Tout ce qu'on dit du tiens, pour l'instant, c'est qu'il aime escalader des buffets et porter des robes ! »
« C'est très difficile d'escalader un buffet en portant une robe, je te signale ! Mon fils est un vaillant petit ! »
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