Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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Le duel


Episode 13 : Le duel

 

« Du favoritisme, encore du favoritisme ! », s'exclama Egalmoth quand il eut appris la nouvelle. « C'est toujours les gars de ma maison qui se font épingler par le roi… Et pourquoi ? Parce que Monsieur Penlodh ne m'aime pas. »

 

« D'après ce que j'ai cru comprendre, c'est le beau-frère de la sœur de son ex-femme. »

 

« Donc c'est son beau- beau-frère », dit songeusement Egalmoth. « Ce népotisme, ça me dégoûte. »

 


La veille.

 

Nul trouble n'agitait les traits du visage de Penlodh, l'intendant du roi, tandis qu'il taillait et arrangeait avec art un bouquet de fleurs à la symbolique et la disposition soigneusement réfléchies. Dans la même pièce, sa harpiste d'élection, une jeune femme aux longs cheveux bouclés d'un blond foncé tirant sur le bronze, chantait un cantique à la gloire d'Iluvatar, dans leur langue maternelle, le Quenya.

 

Mais la sérénité de ce tableau devait être interrompue par Glorfindel, qui frappa sur le côté de l'une des arches pour signaler sa présence, endommageant au passage le marbre d'un léger creux. La harpiste cessa de chanter.

 

« Penlodh ? Je peux vous parler quelques instants. »

 

« Qu'y a-t-il ? »

 

Le connétable du royaume vint chuchoter à l'oreille de l'intendant.

 

« Il y a un problème avec le seigneur de la Fontaine… »

 

« Ecthelion ? »

 

« Il a provoqué en duel un membre de la maison de l'Arc-en-Ciel… Barandîr, qui commande un régiment de fantassins. »

 

« Oui, je vois de qui il s'agit… Quel est le motif du conflit ? »

 

« Hé bien, Barandîr aurait insulté l'écuyer humain d'Ecthelion… Le duel est prévu pour ce soir à dix-huit heures… C'est un duel à mort. Je n'ai pas réussi à trouver le roi tout de suite, donc j'ai pensé qu'il valait mieux vous prévenir. »

 

« Vous avez bien fait ! Les duels privés sont interdits par la loi… Nous allons faire convoquer les deux partis immédiatement. Je me charge de prévenir le roi. »

 

« Très bien. »

 

Glorfindel se dirigea vers l'une des sorties. Mais ce faisant, il sentit le regard de la musicienne blonde braqué sur lui. Ses joues devinrent roses et il faillit rater une marche.

 

 

 


 

« Alors, c'est quoi cette histoire de duel ? », demanda Turgon sur son trône, en regardant tour à tour Ecthelion, droit comme un pique, et Barandîr, non moins droit mais moins austère.

 

« Mon écuyer a été gravement insulté, majesté », expliqua Ecthelion, les yeux brillants de colère. « Il est de mon devoir de laver son honneur. »

 

« Son honneur… Ou le vôtre ? », demanda le roi.

 

Barandîr rit.

 

« Bon… Que c'est-il passé, exactement ? »

 

« J'étais de venue dans la caserne avec Belin le Blond, mon fidèle écuyer, qui est comme vous le savez de race humaine. Or quand le seigneur Barandîr – si je peux encore utiliser un titre de noblesse pour un être aussi vil et répugnant – nous a vus, il m'a demandé si j'étais venu avec ma guenon. »

 

« Ce n'était qu'une plaisanterie, majesté », se défendit l'autre.

 

« Il suffit ! Je ne tolérerai pas que les Humains soient insultés dans ma cité. Seigneur Barandîr, vous serez condamné à payer une amende dont le montant sera déterminé ultérieurement, et vous devrez présenter vos excuses à l'écuyer d'Ecthelion. »

 

« C'est tout ? », s'exclama Ecthelion. « Comment… »

 

« Je précise, même si cela va de soit, que les duels étant interdits, si j'entends quoi que ce soit à ce sujet, vous finirez tous les deux en prison. »

 

« Mais… »

 

« J'ai parlé. Déguerpissez. »

 

 


 

« Moi j'avons rien d'mandé », expliquait l'écuyer à Penlodh, sur la Grande Place.

 

« Je comprends bien… »

 

Le Maire du Palais et l'humain virent alors les deux prévenus sortir de la Tour du Roi, où Turgon venait de rendre justice. Ecthelion marchait deux mètres derrière Barandîr. Puis soudain, il l'attrapa par les cheveux, qu'il avait très longs, et le tira en arrière jusqu'à lui. Il avait fait cela de sa main gauche. Dans la droite, il tenait son épée nue, et qu'il plaça sous la gorge de l'autre elfe.

 

« Non… », murmura Barandîr.

 

« Chien… », répondit Ecthelion. « Crois-tu que tu mérites ma pitié ? »

 

Penlodh et Belin n'eurent le temps de rien faire, non plus que les autres elfes qui se trouvaient là Ecthelion s'apprêtait à priver Barandîr de l'une des parties de son corps, celle qui pour un elfe était la plus importante, et faisait de lui un mâle.

 

D'un mouvement de lame, devant la grande fontaine de l'esplanade, tous virent Ecthelion trancher, à ras, la chevelure de son prisonnier. Barandîr, qui n'était plus retenu par la tête, tomba en avant. Alors, avec un geste méprisant, l'autre laissa retomber les cheveux bruns sur la tête tondue, comme une poignée de sable qu'on offre au vent.

 

« Que cela te serve de leçon. »

 


 

« Argh, mais pourquoi faut-il toujours qu'il fasse des choses comme ça ! », s'exclama Turgon. « On dirait qu'il est incapable de la moindre modération… Je n'aime pas ça Penlodh, cela m'angoisse… Cela me rappelle l'Autre Taré. »

 

« L'autre taré ? »

 

« Vous savez… Fëanor. »

 

« Ne vous inquiétez pas trop pour cela. Je pense que le jeune Ecthelion aura le temps de méditer sur ses actions là où il se trouve en ce moment. »

 

Et effectivement, là où il se trouvait, il n'y avait pas grand-chose d'autres à faire.

 

Les geôles de Gondolin étaient confortables si on les comparait à des prisons naines ou humaines. Mais elles restaient des geôles, et offraient peu d'intimité. Le taux de criminalité étant peu élevé, la plupart étaient utilisées comme cellule de dégrisement pour Sindar ayant abusé de boisson (un pléonasme, diraient certains Noldor).

 

Le premier jour, Belin vint rendre visite à son maître, et lui fit passer un sac à travers les barreaux.

 

« Il y a des vêtements de rechange, gentil seigneur, votre brosse à cheveux, votre shampoing, et des oranges que j'ai achetées au marché. »

 

« Merci. »

 

« Je n'arrive pas à le croire ! », s'exclama alors un garde en remarquant les oreilles rondes de l'écuyer. « C'est un humain ? »

 

« Oui, c'est ce que je sommes », répondit Belin avec ingénuité.

 

De l'autre côté des barreaux, Ecthelion se contenta de faire la grimace.

 

« Il parle toujours comme ça ? Il paraît qu'ils n'arrivent pas à prononcer tous les sons… C'est vrai ça ? »

 

Le seigneur elfe ne répondit pas.

 

« Comment qu'vous voulez dire, que j'prononce point tous les sons ? », demanda Belin.

 

« Oh la la ! Il est gratiné dis donc… Je suis sûr que vous l'avez pris parce qu'il vous revenait moins cher qu'un vrai écuyer elfe. Hé ! Entre nous, le roi aura beau dire ce qu'il veut, les humains ne sont pas comme nous. Il paraît que l'intelligence d'un adulte ne dépasse pas celle d'un enfant elfe de dix ans, et que certains de nos chiens sont plus intelligents qu'eux… D'ailleurs je m'étonne qu'il ne vous ait pas plutôt apporté des ban… »

 

Il ne put continuer son discours, car une rafale d'oranges s'abattit sur lui.

 

La détention d'Ecthelion fut prolongée d'une semaine pour « coups et blessures infligés à l'aide d'aliments ».

 


 

 

Belin le Blond venait visiter son maître tous les jours, et ce dernier remarqua avec tristesse qu'il cachait maintenant le haut de ses oreilles sous ses cheveux.

 

« Il y a une question que j'aimerois vous poser, m'ssire. Sauf vot' respect… »

 

« Faites. »

 

« Qu'est devenu mon préd'cesseur ? »

 

« Votre quoi ? »

 

« Mon préd'cesseur, l'elfe qui était votre écuyer avant moi. »

 

« Ah ! Lui ! Pas grand-chose. Un capitaine orque l'a attrapé une fois… Et il l'a éventré juste au-dessus de ma tête. »

 

Belin devint plus blanc qu'une feuille de papier.

 

« C'est la vérité, messire ? »

 

« Bien sûr que c'est la vérité. »


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