Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

| | |

Mon frère, ce héros


Chapitre 10 : Mon frère, ce héros

 

Fingon Fingolfinion était en train de prendre l’air dans la cour du château, et les chaînes d’or dans ses grandes tresses faisaient tout un tintamarre martial quand il marchait.

Belin et Ecthelion l’observaient silencieusement, derrière une botte de paille.

« I’s’ressemblent vraiment beaucoup m’ssire, l’grand roy des Noldors et Fingonminion. C’est un peu comme quand on fait une bouture. On coupe une branche de l’arbuste et on la plante dans la terre. Après, ça r’fait le même arbuste tout pareil. C’t’un peu la même chose pour ces deux. »

« Belin aux Cheveux d’Or », précisa alors Ecthelion, « aussi audacieux que soit Fingolfin Finwion, personne n’a su égaler la vaillance de son fils Fingon jusqu’à aujourd’hui. Il est un modèle pour nous tous, une sorte d’idéal. Cela dit… » 

« Oui ? »

« Je n’aurais jamais pensé être plus grand que lui. »

« Du coup vous êtes un peu déçu. »

Le Seigneur de la Fontaine regarda son écuyer avec interrogation.


Plus tard dans la soirée, le roi Turgon était installé à la table des festivités, une collerette de plâtre autour du cou. Fingon, son frère aîné, était assis juste à côté de lui. Il avait quitté son armure et ses vêtements de voyage pour revêtir une tunique bleu de Prusse dont la nuance lui seyait fort bien. L’expression sévère et déterminée qui était habituellement sur son visage s’était provisoirement en allée. A ce moment-là, il avait seulement l’air… gentil. 

« Tiens, mais quel magnifique collier ! », remarqua alors Turgon.

« Lequel ? »

« Le troisième en argent, avec le rubis.»

« Ah, celui-là… C’est un présent de Maedhros. »

« Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne pas », grommela Turgon pour lui-même.

« J’avoue que je n’avais pas eu l’occasion de le porter jusqu’à aujourd’hui », précisa son frère. « Mais je crois qu’il s’agit de mithril, et non d’argent. »

« Je peux le regarder ? », demanda Turgon, engoncé dans son plâtre.

Comme ses cousins Finrod et Curufin, les arts de la joaillerie l’intéressaient énormément. Fingon le détacha et le déposa dans la paume de sa main. Turgon se mit à l’observer, les yeux brillants.

« En effet, c’est bien du mithril… Et ce rubis… Par Aulë ! Ce n’est pas un rubis, c’est un diamant rouge ! »

« Quelle est la différence ? »

« Tu ne connais pas la différence ? Les diamants rouges sont les plus rares parmi tous les types de diamants ! Ton collier doit valoir le quart de mes réserves en or et…des pierres comme ça, il doit y en avoir trois maximum dans toute la Terre du Milieu ! Je n’arrive pas à croire que Nelyo t’ait offert ça ! »

« Des Naugrim ont dû lui donner… Et comme il n’est pas très bijoux… »

Turgon eut une moue sceptique. Il Iui redonna le collier et attaqua une assiette de charcuterie pour se consoler.

 


« Je suis si content de te voir, petit frère », avoua Fingon avec un regard en biais, juste avant l’arrivée des rôtis et venaisons. « Mon petit frère que je n’avais pas vu depuis si longtemps…. parce qu’il avait disparu dans la nature et que personne ne savait où il était. »

« Mais je fais ce que je veux, à la fin ! Est-ce qu’il y a une loi qui dit que je dois te tenir au courant de tous mes faits et gestes ? Je prenais l’air dans un endroit calme et isolé, et par Ulmo, je ne parlerai pas, même sous la torture. »

« Par Varda, je voulais simplement savoir où tu étais. Et je me souviens de Vinyamar, lors de ma dernière visite. A présent, la moitié des maisons semble déserte. Où sont passés tous ces gens ? On dirait une sorte de phénomène surnaturel. »

« C’est la période des vacances, en Nevrast. »

Le regard de Turgon tomba sur l’avant-bras gauche de son frère, qui était encore plus musclé que la dernière fois qu’il l’avait vu, et qui semblait dur comme de la pierre. Il le toucha du bout du doigt.

« Mais qu’est-ce que tu fais ? »

« Rien… Je me demandais si ils étaient comme ceux de Glorfindel. »


Deux heures plus tard, les desserts furent apportés sur la table. Turgon avait déjà bu plus que de raison, et il dit rêveusement à Fingon : 

« Une fois, je m’étais endormi là-bas, sur la pelouse. Et j’ai fait un rêve prophétique. »

« Encore ? »

« J’ai rêvé que tu te mariais et avais un enfant… Il s’appelait Galahad. Gil-Galahad. »

« Mais bien sûr… Je ne vais pas me marier pour te faire plaisir. »

« Tu devrais y penser, pourtant. On commence à jaser. »

« Jaser ? »

« Certains s’imaginent des choses. On ne te voit toujours qu’avec des hommes. »

« C’est une accusation vraiment stupide », répliqua Fingon. « J’ai déjà dû répéter au moins dix fois à Maedhros que je n'avais pour les Hommes que de la curiosité. Il s’imaginait des choses. »

« Je ne parlais pas de ces hommes-là ! Mais puisque on en vient à parler de Maedhros… C’est quoi cette relation bizarre entre vous, au juste ? »

« Cela s’appelle l’amitié, mon frère. »

« Amitié ? Je ne suis pas né sous Arien. Il n’arrête pas de t’envoyer des cadeaux tous plus rares et chers les uns que les autres. Et je vois bien comment il te regarde. Il y a un petit brasier ardent qui s’allume dans chacun de ses yeux quand il les pose sur toi. On dirait son père, tiens ! »

« C’est ridicule. Il n’y a jamais eu de flammes dans les yeux de Maedhros. »

Hildor le ménestrel s’infiltra dans la conversation : « En revanche, dans sa chevelure… »

« Oh vous, ne commencez pas », ordonna Turgon avec sévérité.

« Tu m’ennuies au sujet de mon collier, mais ce bracelet sur ton poignet, ne t’avait-il pas été offert par Finrod ? »

« C’est un simple bracelet en or qu’il m’avait fabriqué pour mon anniversaire. Cela n’a rien à voir avec un diamant rouge. »

« Bah ! On m’a dit que tu partageais tes appartements avec ton intendant. »

« Bien sûr, pour que la communication soit plus rapide entre nous, et que je l’aie toujours sous la main. »

« Toujours sous la main, tu dis ? »

Le visage de Turgon devint rouge écrevisse.

« Oserais-tu insinuer que moi et Penlodh… ?? », s’indigna-t-il. « Deux personnes aussi respectables et…. »

La fin de sa défense se perdit dans l’indistinction.

« Je n’insinue rien, mon frère, je n’insinue rien… Je constate juste… »

 


C’était le moment des fruits et des pâtes d’amande. L’échanson remplit à nouveau la coupe de Turgon d’un vin sombre et épais.

« Dis-moi, parce que j’essaye d’affiner le truc, là… Est-ce que Maedhros te touche les cheveux, parfois ? »

« Hein ? Pourquoi cette question ? »

« Parce que s’il te touche les cheveux, c’est une preuve qu’il ressent beaucoup plus que de l’amitié pour toi. Elenwë me touchait souvent les cheveux. Et moi aussi… »

Fingon eut l’air gêné.

« Pourquoi tu remets ça sur le tapis ? Non, Maedhros ne me touche pas les cheveux. »

« Bon, c’est déjà ça. Et est-ce qu’il a un petit chien ? »

« Un petit chien ? »

« Oui. Un tout petit chien. Les elfes aux goûts invertis ont souvent un petit chien. »

Fingon fronça ses sourcils taillés en pointes, et une expression fingolfinienne de mépris se dessina sur son visage. 

« Mais c’est ridicule ! Maedhros n’a pas de petit chien… Et je ne vois pas quel est le rapport entre le fait d’avoir un petit chien et le fait d’être homosexuel ! »

« Bien sûr, ce n’est pas une vérité établie », concéda Turgon. « Mais c’est un fait statistique.. »

« Bon sang. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi stupide… », répondit Fingon avec un rire froid.

« Pourquoi tu t’énerves comme ça », dit Turgon en vidant son verre.

« Parce que c’est une assertion totalement stigmatisante. »

« Stigmatisante de quoi ? »

« C’est absurde… Et je n’aurais jamais pensé que tu croyais à ce genre de lieux communs… »

« Lieux communs, lieux communs… »

Fingon se leva brusquement de table.

« J’ai un petit chien ! », s’exclama-t-il en jetant sa serviette sur l’assiette de Turgon. « Et je ne suis pas homosexuel ! »

Il quitta la salle.

Turgon avait l’air catastrophé.

« Par Eru et tous les Valar… », murmura-t-il. « C’est lui la femme du couple ! »

 

 


Chapter End Notes

Au sujet des cadeaux de Maedhros, vous pouvez voir le one-shot "Le seigneur des présents" dans la même série.


Table of Contents | Leave a Comment