Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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Episode bonus : L'intrus


Chapitre bonus : L'intrus

 

Ce matin-là, Nieninquë traversait l'un des halls du palais royal pour rejoindre son ami Hildor, le ménestrel de Turgon. Et ce faisant, elle fut agréablement surprise de croiser le seigneur de la Fleur d'or, auquel elle adressa un regard séducteur.

Mais ce dernier détourna la tête froidement, puis demeura immobile comme une statue, et ne la salua même pas.

La soeur de Penlodh fronça les sourcils, et poursuivit sa route. Quand elle retrouva Hildor, elle ne put s'empêcher de lui dire :

« Je crois que le seigneur Glorfindel ne m'apprécie pas. »

« Pourquoi dis-tu cela ? »

« Ces derniers temps, à chaque fois que je le vois, il m'ignore ostensiblement. Pourtant je ne lui ai rien fait… Je ne comprends pas… »

« Il a peut-être eu un différend avec ton frère. »

« Ce n'est pas une raison. »


 

« Ma vie est devenue insupportable », se lamenta Glorfindel en posant son verre sur la table de la taverne. « Il ne se passe maintenant pas une journée sans que je pense à Elle. »

« Elle ? Qui ça elle ? », demanda Ecthelion.

« Hé bien…  Elle. »

« Je ne suis pas télépathe ! »

« Mais… la Dame de mes Pensées voyons. »

Ecthelion se toucha le front.  Oh non…

« Je l'ai croisée aujourd'hui… Et j'ai essayé d'avoir l'air impassible mais… »

« Mais pourquoi ? »

« Pourquoi quoi ? »

« Pourquoi vous avez essayé d'avoir l'air impassible ? Je croyais que vous vouliez être avec elle ? »

« Mais parce que sinon elle va se douter de quelque chose… »

Ecthelion fronça les sourcils.

« Mais est-ce que ce n'est pas le but ? »

« Non ! Déjà que je soupçonne qu'elle a des soupçons. Oh, je suis sûr qu'elle a compris que je l'aimais ! Et maintenant elle me méprise, ou elle me prend pour une sorte d'elfe bizarre, ou… »

« Mais comment pourrait-elle se douter de quelque chose puisque vous ne lui adressez jamais la parole ? »

« Hé bien… », répondit Glorfindel. « Il est parfois des regards et des attitudes qui trahissent de tendres sentiments… »

« Bla bla bla… Je ne vous comprends vraiment pas. Vous n'avez jamais discuté avec elle, vous ne la connaissez même pas. »

« Et alors ? »

« Et alors quoi ? »

« Pourquoi cela vous étonne autant ? Dans toutes les chansons et dans tous les poèmes, on parle de cela… »

« De quoi ? »

« De ces Flèches Ardentes qui vous transpercent le cœur, quand pour la première fois, vous apercevez Celle que la Destinée… »

Les yeux d'Ecthelion s'étaient écarquillés avant que le connétable n'ait eu le temps de finir sa phrase.

« Ça, c'est juste parce que tous les gens qui ont écrit ces chansons étaient faits sur le même modèle que vous ! »

« Alors vous prétendez que l'Amour n'a pas d'importance », s'indigna Glorfindel.

« Non. C'est juste qu'il y a différentes sortes d'amour. Quand j'étais à l'université, une fois, j'ai assisté à un cours là-dessus. C'était avec Penlodh. »

Glorfindel frissonna.

« Oui », poursuivit Ecthelion. « Il prouvait que de toutes les sortes d'amour, l'Amitié était la plus intense. Car l'Amitié est “l'amour en tant qu'amour”. »

« Quoi ? »

« L'Amitié est la forme d'amour la plus noble. Comme entre moi et Belin. »

L'elfe blond arbora un air sceptique.

« D'ailleurs, Belin et moi avons échangé notre sang hier. »

«  Qu'entendez-vous par là, exactement ? », demanda Glorfindel en buvant une nouvelle gorgée de vin.

« On s'est fait une petite ouverture au bout de notre index, puis on les a frottés l'un contre l'autre. Comme ça, il y a une partie de moi en lui, et j'ai une partie de lui en moi. »

Le vin jaillit de la bouche du connétable comme un geyser. Quand il eut reprit contenance, ce fut pour voir qu'Ecthelion le toisait avec dégoût et incompréhension, mais aussi qu'Elemmakil était là, l'air essoufflé.

« Seigneur Glorfindel… Il faut que vous veniez. Il s'est passé quelque chose dans les thermes. »


 

Un peu moins d'une heure plus tôt, tout pimpant et sa serviette sous le bras, Belin gagnait l'entrée du grand bâtiment des nouveaux thermes.

Mais un écriteau couvert de signes bizarres – des runes de Daeron, utilisées par les Noldor pour consigner les horaires – avait été placé devant l'entrée, suscitant son étonnement.

« Je n'ai point t'appris à lire ces signes bizarres », déclara l'humain en passant le doigt le long de l'hermétique texte. « On dirait comme plein d'petits bâtons ! »

C'était la première fois qu'il venait là seul, fier de se rendre aux thermes de manière autonome. Il ne pouvait pas se laisser décourager pour si peu. Il passa donc l'entrée.

A l'accueil, le réceptionniste tenait un luth sur ses genoux, et un stylet de verre dans la main droite, avec lequel il prenait des notes sur une partition.

« Monsieur ? », commença timidement Belin.

Mais l'elfe était tellement absorbé par son travail de création qu'il ne semblait pas l'entendre. Pour toute réponse, il se mit à chanter :

Belle qui tiens ma vie,

captive dans tes yeux

Qui m'a l'âme ravie, d'un sourire gracieux

 

« Monsieur ? », répéta Belin.

« Argh, mais vous ne voyez pas que je suis occupé ! »

« Ils sont fous ces Noldor », murmura Belin en se tapotant le côté de la tête avec son index.

Puis il entra dans le vestiaire des hommes où il se mit en tenue de bain, utilisant sa serviette comme un pagne. Il se dirigea ensuite vers la salle des bains individuels, déserte, où il se nettoya en chantonnant, malgré lui…

Bel(le) elfe qui capture ma vie

D'un regard gracilleux…

Une fois lavé, comme il avait l'habitude de le faire avec messire Ecthelion, il se dirigea vers le grand bain, où il s'immergea jusqu'à la taille, s'adossant contre le muret de la piscine.

Et il ferma les yeux, bienheureux, se disant juste que les elfes autour de lui avaient l'air encore plus efféminés que d'habitude.

Il y eut d'abord un cri aigu… Puis d'autres.

 


 

Quand Glorfindel arriva dans le hall d'accueil des thermes, ce fut pour trouver un réceptionniste et des soldats paniqués.

« Alors, où est le primate ? », s'enquit-il d'une voix impérieuse.

« Quelque part à l'intérieur… », répondit le réceptionniste en tremblant. « C'est un horrible animal couvert de poils et… »

« Je vais m'en charger. Il n'est pas dit que je laisserai cette bête attenter à la pudeur et à la sérénité des vierges des Eldar. »

« Elles ne sont pas toutes vierges, monseigneur », répondit le réceptionniste. « Il y a de nombreuses femmes mariées qui viennent à cette heure-là. »

« C'est encore pire. Je ne laisserai pas cet animal velu et lubrique attenter à la fidélité et à la retenue des épouses des Eldar. »

« Très bien. »

Glorfindel rentra dans le complexe thermal tambour battant.

Les petits bains étaient déserts. Mais le spectacle qui l'attendait dans la vaste salle de la piscine était des plus déconcertants.

Une vingtaine de femmes-elfes entièrement nues étaient regroupées à gauche de la salle, l'air inquiet. Seules quelques unes étaient restées dans l'eau.

A la vue de ces femmes nues, Glorfindel prit un air important.

« N'ayez crainte, mesdames, je suis venu m'occuper de déloger l'importun qui a troublé vos ablutions. A quoi ressemble-t-il ? »

« Il est tout poilu ! », s'exclama une jeune fille. « Et il a une chose bizarre entre les jambes ! »

« Et il est venu se tremper dans le bain à côté de nous ! J'ai eu la peur de ma vie. »

« Mais c'est ridicule », commença la fille de Duilin. « Ce n'est pas un animal, c'est… »

« Et où est-il, maintenant ? », coupa Glorfindel.

« On ne sait pas. Il s'est enfui par là ! »

Glorfindel tourna ses beaux yeux couleur d'hortensia dans la direction indiquée. Mais tout ce qu'il vit fut Nieninquë, encore immergée dans le bain jusqu'au cou. Le fixant avec un regard qui semblait furieux. Il eut un choc de la voir là, tressauta légèrement, et comme il s'était mis en mouvement, il ne vit pas que sa botte en métal s'appuyait sur une savonnette trempée. Sa jambe gauche partit en avant et le reste suivit, et il tomba dans la piscine.

« Seigneur Glorfindel ! »

« Oh mon dieu Seigneur Glorfindel, vous n'êtes pas blessé ? »

Les femmes le hissèrent hors de l'eau, et commencèrent à lui enlever son armure.

« Mais… »

« Il faut l'enlever sinon elle va rouiller. »

Après avoir ôté son armure, les nombreuses mains commencèrent à défaire ses vêtements.

« Mais… »

« N'ayez crainte, nous allons vous sécher, seigneur Glorfindel. »

Il y eut des petits rires, tandis que les femmes se mirent à découvrir de ses habits le corps musclé du soldat… N'ayant pas la force de protester, le connétable se laissa faire. Son regard vagabonda et retomba sur Nieninquë, qui était toujours dans la piscine, ne montrant que sa tête et ses épaules.

« Quel beau visage… Si pur… Elle est sans doute toute entière tournée vers l'Idéal, comme son frère. »

Mais la sœur de Penlodh pensait : « Oh… Je n'aurais jamais cru que sa musculature était si parfaite… »

Glorfindel se trouvait maintenant en sous-vêtements, et se demanda comment il en était arrivé là. La mère d'Elemmakil (une jeune femme de deux-cent ans très jolie) avait poussé les autres pour le sécher elle-même.

« Vous avez vraiment un corps d'athlète, seigneur Glorfindel… Je suis sûr que vous devez être très endurant. »

« Hein ? »

 


 

Belin avait réussi à rejoindre la porte de derrière, et il se retrouva dans la rue, dans le plus simple appareil… vêtu de ses seuls poils (qu'il n'avait pas faits épiler depuis longtemps, pour plaire à Ecthelion) et de ses deux mains, posées sur son entrejambe.

« Si j'avions su ! », pensa-t-il. « J'aurions jamais essayé d'venir tout seul. Il y a des gens qui n'veulent point d'moi dans cette ville. »

 

 

fin

 


Chapter End Notes

a. « "Belle qui tiens ma vie" est une pavane, une danse de cour lente dansée au xvie siècle, près du sol et par des couples disposés en cortège. Elle fut décrite par Thoinot Arbeau (1520-1595), chanoine de Langres, dans son traité de danse l'Orchésographie paru en 1589. »
Source : Wikipedia
C'est bien sûr un clin d'oeil à la série Kaamelott, où la chanson est chantée plusieurs fois.

b. Pour les autres bonus, voir le recueil « Maudits bonus », ainsi que les ficlets « Le seigneur des présents », « Maedhros de Bergerac » et « L'ocarina ».


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