Maudits silmarils, livre 2 by Dilly

| | |

L'ombre d'Angband


Chapitre 3 : L'ombre d'Angband

 

« Majesté », commença le seigneur de l'Arche Céleste, assis à la Table Ronde, « quand vous nous déclarez que c'est le Dieu des Eaux qui vous a suggéré de faire construire cette table et cette cité… Il vous est apparu comment, au juste ? Quand vous étiez dans votre bain ? »

« Non. Au bord d'un fleuve… » répondit noblement Turgon. « Au bord du Sirion, plus précisément. J'étais avec Finrod et... »

« C'est lequel, déjà, Finrod ? », chuchota Galdor à son voisin noldo.

« C'en est un de sa tripotée de cousins », répondit Egalmoth . « Ah mais cherchez pas, j'étais comme vous au début… J'ai dû me faire des fiches avec son arbre généalogique… J'm'y retrouvais pas ! »

Turgon poursuivait : « Moi et Finrod voyagions ensemble. Cette nuit-là, nous dormions à la belle étoile et... »

« Si c'est son cousin, il va pas y avoir un truc louche, là ? » demanda Galdor à Egalmoth.

« Non, les trucs louches c'est entre son frère et les cousins de l'autre demi-frère de son père. »

« Parce qu'il y a plusieurs demi-frères ? » s'étonna le Sinda.

« Oui… »

« Hum, vous pouvez me rappeler leur nom déjà ? »

« En sindarin ou quenya, vous voulez dire ? Et celui choisi par le père, ou celui donné par la mère ? »

« J'abandonne », conclut Galdor.

 


 

Au même moment, dans le campement d'Ard-Galen, Ecthelion entra brutalement dans sa tente. Belin était étendu sur son matelas, le regard dans le vague.

« Belin venez-voir ! Le prince Fingon m'a offert un cadeau ! »

L'humain n'avait pas l'air très intéressé.

« Allez, levez-vous ! » insista l'elfe.

Une fois dehors, il montrait à son écuyer une lance toute neuve, de très grande taille, à la hampe magnifiquement ouvragée. C'était un superbe travail des forgerons noldor, issu des ateliers de Barad-Eithel, creusés à flanc de montagne.

« Il m'a offert cette lance ! », expliqua l'elfe. « Regardez comme elle est belle ! »

Belin ne fut guère ébloui.

« Vous n'savez point vous servir d'une lance messire », rappela-t-il. « Ça ne va point vous servir à rien. »

« Mais il a dit qu'il allait m'apprendre ! Il m'a déjà un peu montré, avec la sienne. »

« Pourquoi il veut donc vous apprendre toutes ces choses, messire ? », s'enquit Belin, soupçonneux.

« Je ne sais pas… », avoua soudain Ecthelion, l'air songeur. Puis il redressa la tête : « Il m'a dit qu'on était amis ! Vous vous rendez compte ? Et il va me signer un autographe sur le livre que m'a donné son lieutenant… Vous voulez un autographe aussi ? »

« Je ne vois point tout ce que tout le monde lui trouve, j'avouons », répondit Belin, en baissant les yeux.

« A qui ? Au seigneur des Hauts Pins ? »

« Non, au prince Fingon messire. »

« Vous êtes bien acariâtre, tout à coup. Si tout le monde aime Fingon, c'est parce qu'il est le plus vaillant des elfes, et le plus doué pour les arts de la guerre. Et vous savez que je ne juge pas les gens sur leur beauté, mais il est magnifiquement beau. »

« Je ne le trouve point si beau. J'préférons notre bon roy Turgon. »

« Vous n'avez pas les yeux en face des trous ! »

« Je ne sais point messire, en face de quels trous j'ai les yeux. Mais j'trouvons le prince Fingon un peu trop coquet pour un homme. Ça ne se fait point. »

« Mais n'importe quoi ! Il est bien plus viril que vous j'vous signale ! »

Sur ces mots, le seigneur de la Fontaine quitta les lieux avec sa lance. Belin était pâle. Il regarda le camp autour de lui, ce camp qu'il avait fini par détester. Et les trois sommets du Thangorodrim au loin, rougeoyant... Il se toucha le front, comme s'il avait mal au crâne.

 

Le soir venu, Fingon invitait Ecthelion à venir festoyer dans sa tente. Le jeune chevalier chanta et joua de la flûte, puis Fingon, sous le charme de cette voix, l'accompagna à la harpe. Les quelques seigneurs qui accompagnaient la réunion partirent après le dîner, les laissant seuls. Au bout de quelques verres de cordial, Ecthelion, laissé seul avec son héros, commença à lui exposer sa vision du monde.

« Je n'aime pas les femmes. Elles sont toutes flasques et... bizarres. »

« C'est amusant », répondit Fingon. « Je ressens la même chose... Enfin, quand elles sont habillées, je les trouve gracieuses et magnifiques. Mais sinon... »

« Nous avons encore un point commun ! », s'exclama Ecthelion. « Mais à vrai dire, même habillées, elles m'énervent. Excepté votre sœur. »

Fingon rit. Puis il sembla réfléchir.

« Elles ne sont pas impressionnantes aussi, souvent... », ajouta le prince noldo. « Pourquoi sont-elles toujours si petites ? »

« Ça cela ne me gêne pas par contre », répondit Ecthelion. « Mais cette manie d'avoir la peau toute lisse et épilée... »

Ils discutèrent encore de longues heures, savourant cette complicité inattendue. La nuit était bien avancée, mais Ecthelion ne rentrait pas. Belin, resté seul, tournait en rond dans sa tente, dans le camp. Quand il passa devant celle de Fingon, il entendit les rires du Prince et de son maître... Ses yeux s'animèrent d'une lueur douloureuse. Allait-il perdre Messire, son unique ami ? Il eut l'impression soudain d'avoir la fièvre, un vent glacial venu du nord, des hautes montagnes de Morgoth.

Les heures passant, la tristesse se changea en colère, le prenant aux tripes, l'étouffant.

Il n'y en avait plus que pour Lui. Messire Ecthelion ne le regardait plus. Lui parlait à peine. Ne lui touchait plus les cheveux, comme avant. A présent, c'était les muscles et les longues tresses de Fingon qu'Ecthelion regardait. Ces nattes étaient couvertes d'or véritable, elles. Fingon était devenu le soleil, et messire Ecthelion un tournesol. Toutes ses paroles, ses gestes, étaient tournés vers ce Prince, qu'il contemplait avec émerveillement... 

L'amitié du fils de Fingolfin était universelle. Et qui ne pouvait pas l'aimer ?

Pourtant, le matin suivant, en chaussant ses royales bottes, Fingon se rendit compte qu'elles étaient remplies de crottin de cheval.

 

 


 

 

A Gondolin, un autre grand guerrier se posait lui aussi des questions existentielles.

« Je n'arrive pas à comprendre », dit Glorfindel au ménestrel du roi. « Comment faites-vous pour... être attiré par les hommes? »

Hildor le regarda avec étonnement.

« Je ne vous juge pas, entendons-nous bien », précisa le seigneur de la Fleur d'Or. « C'est juste que je ne comprends pas comment c'est possible. »

« Pourquoi vous ne comprenez pas pourquoi c'est possible ? »

« Hé bien, parce que les hommes ne sont pas attirants. »

« Pour vous, peut-être... Mais ce n'est pas le cas de tout le monde... »

« Allons ! Ils ont de grosses épaules carrées, et... de gros os sur le visage... »

Hildor haussa un sourcil sceptique.

« Hé bien oui ! », poursuivit Glorfindel. « Ils n'ont pas ce visage... fin et ciselé, qu'on a envie d'embrasser. Ces lèvres pulpeuses... Ces yeux charmeurs... Ces formes arrondies et cette peau si douce qu'en la touchant vous vous trouvez emporté dans un tourbillon de sensations et... »

« Et là c'est comme si vous étiez aspiré par des sables mouvants ? », s'enquit Hildor.

« Hein ? Pourquoi des sables mouvants ? »

« C'est un ami qui m'a raconté ça. »

« Bref. Les femmes sont bien plus attirantes que les hommes. »

« Je ne suis pas convaincu... »

Constatant qu'il n'avait pas rallié le barde inverti à son opinion, Glorfindel se souvint de ces séances de débat philosophique qu'il subissait auprès de Turgon et Penlodh.

« J'ai d'autres arguments ! », lança-t-il.

« Lesquels ? »

« Une femme a des seins. »

« Et ? »

« Hé bien, c'est évident. Tout est toujours mieux avec des seins. »

« Je pourrais utiliser la même formule pour autre chose. »

Glorfindel fronça les sourcils. A quoi le ménestrel faisait-il allusion ? Mais une autre idée surgit dans l'esprit du connétable.

« Il y a aussi tous ces poils qu'ont les hommes », reprit-il, « sous les aisselles et aux mollets... Ne me dites pas que vous êtes attiré par cela. »

« Mais les femmes aussi ont des poils à ces endroits », répliqua Hildor.

« Bien sûr que non. Je n'en ai jamais vue aucune être poilue de cette manière. »

« Mais parce qu'elles s'épilent. »

« Quoi ? »

« Oui, avec des cendres, du sucre, ou de la cire, des pinces... »

« C'est très drôle. »

« Je ne plaisante pas. Vous croyiez qu'elles étaient comme ça naturellement ? »

« Oui... », gémit Glorfindel.

Hildor lui donna une tape consolatrice sur l'épaule.

 

 


Table of Contents | Leave a Comment