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Chapitre 7 : Le roi de fer
- "Le roi de fer" était le surnom donné au roi de France Philippe IV le Bel.
- Chanson utilisée à la fin du chapitre : Tourdion, « Quand je bois du vin clairet », chant traditionnel de la Renaissance.
- Le petit chien de Fingon est l'équivalent de notre moderne "Welsh Corgi".
I
Le roi de Gondolin, occupé à superviser la préparation de ses bagages pour son voyage à Eithel Sirion, se disputait à nouveau avec sa sœur.
« Puisque je t'ennuie tant que ça, tu n'auras qu'à rester avec Fingon, le roi des activités de plein air », maugréa-t-il.
« J'adore Fingon », dit alors sérieusement Aredhel, « mais je dois t'avouer que ne me sens pas tout à fait confortable avec lui. Je préfère encore être avec toi. »
« Et c'est parce que tu préfères ma compagnie que tu passes ton temps à m'asticoter ? »
Aredhel fit la moue.
« Toi, tu es souvent désagréable... Et parfois tu fais ton espèce de tête-là, ton visage de marbre... Mais tu es honnête. Tu dis toujours ce que tu penses vraiment. Même si souvent tu ne devrais pas. Fingon, il n'est pas comme toi. C'est comme s'il était un peu hypocrite. »
« Comme Père ? »
« Non, pas exactement... J'ai du mal à l'expliquer. Comme si malgré ses apparences franches et bonnes, il y avait une partie de lui... qui vous glissait entre les doigts. »
« Comme une sorte de poisson. »
« Un poisson qui a peur qu'on l'attrape. »
« Mais pourquoi aurait-il peur qu'on l'attrape ? »
II
En ce jour de printemps, c'était Turgon qui venait au Grand Roi des Noldor, et non l'inverse.
« Mon fils ! » s'exclama Fingolfin en ouvrant les bras. « Ta venue est un tel plaisir. »
Turgon accepta avec soulagement une accolade cette fois traditionnelle, se souvenant du mauvais coup qu'il avait pris lors de sa dernière visite. Puis Fingolfin s'écarta. Son regard le balaya des pieds à la tête. « Tu portes encore du blanc. Pourquoi n'essayes-tu pas le bleu ? »
Le roi de Gondolin leva les yeux au ciel. La Blanche Dame des Noldor s'avança à son tour vers son père, et lui fit une révérence.
« Aredhel... » Fingolfin posa une main sur son épaule quand elle se redressa. « Tu es resplendissante. Et je vois que Turukáno t'influence toujours dans tes choix vestimentaires... »
« C'est mon propre choix ! » protesta la femme elfe. « Et j'aimerais qu'on me considère autrement que comme une sœur ou une fille, dont la première fonction est d'être jolie ! »
Pour toute réponse, Fingolfin lui tapa à nouveau sur l'épaule.
« Où est Findekáno ? » demanda alors Aredhel, agacée.
« Fingon ? » répondit son père. « Il accueille les arrivants d'Himlad. »
Car Turgon et Aredhel n'étaient pas les seuls à avoir fait long voyage pour la fête. Il y avait toute une délégation de Fëanoriens, à l'autre bout du champ des festivités, où des tribunes avaient déjà été montées.
« Tyelkormo ! » s'exclama Aredhel.
Elle s'élança vers son cousin.
« Surveille ta soeur », glissa Fingolfin à Turgon. « Il ne manquerait plus qu'elle et lui... »
Celegorm était accompagné d'un énorme chien gris, de la race des Chasseurs de Loups de Valinor. À côté de lui, le petit chien de Fingon faisait pâle figure.
« Que lui est-il arrivé ? » s'enquit le Fëanorien avec un sourire ironique. « On lui a coupé les pattes ? »
Le prince de Dor-Lómin fronça les sourcils.
« Bien sûr que non… » répondit-il. « C'est sa race, ils sont tous comme cela. »
Les deux elfes se retournèrent brusquement à l'arrivée d'Aredhel.
« Cousine ! » s'exclama Celegorm. « Je ne pensais pas te voir ici. Cela fait si longtemps… »
« Sœur... » dit Fingon.
« Frère... » répondit Aredhel. Puis elle avisa le petit chien fidèlement posté à la hauteur de ses mollets. « Mais qu'est-ce que c'est ? »
« C'est mon chien », expliqua Fingon.
« On peut chasser avec ? »
« Non. C'est un chien de berger. »
« Mais il est minuscule. Les moutons le mangeraient. »
Fingon était vexé.
« Comment va Maedhros ? » demanda-t-il tout de même.
« Oh, tu n'es pas au courant ? » dit Celegorm. « Il est venu avec moi... Il ne va pas tarder d'ailleurs. Ses gens s'étaient arrêtés au bord d'un bois. »
Le visage du fils de Fingolfin changea totalement d'expression.
« Vraiment ? Je pensais que tu venais avec Maglor... » dit-il, la voix voilée.
« Non, Nelyo a insisté pour le remplacer. Quand il a entendu dire que tu étais blessé... »
Le regard de Fingon se détourna des contreforts de Barad-Eithel, dévala la colline, se porta vers le sud du fleuve Sirion. Un groupe d'elfes aux étendards rouges marqués d'une étoile à huit branches longeait le fleuve.
De la neige mêlée à de la pluie commença à tomber – ce n'était pas rare à cette latitude, même au printemps.
Turgon avait essayé de se rapprocher discrètement, escorté de tout un bataillon de gardes et serviteurs – Penlodh était resté à Gondolin pour s'occuper des affaires courantes.
« Le petit chien ! » réalisa-t-il avec terreur, se souvenant de la conversation qu'il avait eue à Vinyamar avec son frère aîné, quelques années plus tôt.
Il n'aimait pas non plus la proximité physique qui s'était installée entre sa sœur et Celegorm. Elle était encore adolescente, en Valinor, qu'il l'emmenait avec lui dans ses chasses interminables, avec Curufin, Angrod et Aegnor. Quelle mauvaise influence.
« Turukáno ! » cria brusquement Fingon, qui l'avait repéré.
« Bon, il faut que j'aille me rafraîchir, mais pas sous cette pluie », déclara Celegorm.
« Oui, allons au château ! » s'exclama Aredhel.
Deux heures plus tard, ils étaient tous dans la grande salle de banquet du palais, se reposant après leur voyage.
« Il y a toujours autant de myrtilles au menu », observa Turgon.
« J'ai essayé de faire pousser des coings, au Dor-Lόmin, mais ça n'a pas marché », soupira Fingon.
« Quel est le problème avec les myrtilles ? » fit soudain la voix de Fingolfin.
Il venait d'entrer dans le hall, accompagné d'un nouvel arrivant : un elfe de très haute taille aux longs cheveux auburn, qui ressortaient sur ses fourrures et sa grande cape de voyage grise, trempée par de la neige fondue. Fingolfin le tenait par l'épaule, paternellement.
Fingon allait répondre quelque chose sur les myrtilles, mais il se tut en voyant Maedhros. Turgon le regarda. Les yeux de son frère aîné brillaient d'une lumière palpitante et comme retenue. On aurait dit qu'elle venait de loin, d'un très lointain endroit caché.
« Nelyo ! » s'exclama Celegorm, tandis qu'Huan accourait vers le fils aîné, la queue remuante. « Tu en as mis du temps… Tu t'es arrêté dans ce petit bois pour te soulager ? »
Maedhros rit, tout en flattant l'énorme chien de sa main gauche.
« Moi je ne fais pas semblant de prendre des bains pour ça. Passée est la pureté du fleuve Sirion... »
Celegorm parut bien prendre la moquerie. Fingolfin fronça les sourcils.
« Cela fait longtemps que nous ne nous étions pas vus », dit-il. « Combien d'années déjà ? »
« Une cinquantaine... » hasarda Maedhros.
Il se tourna vers Fingon. Le prince touchait nerveusement son gobelet métallique.
« Findekáno... » dit Maedhros, prononçant ce nom avec une grande douceur. « On m'a dit que tu étais blessé... »
« Je vais mieux », répondit Fingon. « Ne t'inquiète pas… »
« Turukáno, Irissë, mes plus secrets cousins ! » salua Maedhros.
Sa cousine lui fit signe d'approcher, et le fit asseoir à côté d'elle et Celegorm. Fingolfin s'en alla, après avoir précisé que Lalwen était actuellement en voyage aux Falas.
« Comment va ta main ? » demanda alors Aredhel à Maedhros.
« Hé bien, elle n'a toujours pas repoussé... » répondit l'elfe aux cheveux roux. « Mais j'ai une nouvelle prothèse, améliorée par Curufin. »
Il se tourna vers Fingon, qui se tenait de l'autre côté de la table. Ce dernier fixait des yeux la main en bois de son cousin, le regard vide.
« Je suis content de te revoir, mon ami », dit Maedhros.
Fingon redressa la tête, et ses pupilles se dilatèrent, quand son regard croisa celui de Maedhros.
« Moi aussi... »
« Il est bien plus énergique, d'habitude », pensa Turgon. « Qu'est-ce qui lui arrive ? » Le roi de Gondolin et de Nevrast osa poser la question : « Ta blessure est cicatrisée ? »
« Non, pas tout à fait... » avoua Fingon.
Deux échansons vinrent apporter du vin et de la liqueur de myrtilles. Les cousins se mirent à discuter de de leurs royaumes respectifs, et Aredhel partit faire le tour du château. Petit à petit, Fingon semblait se détendre. Une heure plus tard, Maedhros était venu s'asseoir à côté de lui.
Les deux amis discutaient gaiement, et Maedhros en vint à aborder la question de sa blessure. Il tenait à s'assurer que Fingon se reposait correctement.
« Mais non, ce n'est rien », répéta Fingon, tout guilleret, en posant sa liqueur de myrtilles. Il défit son surcot bleu et déboutonna sa belle tunique mauve : sous ses pectoraux sculptés, le bas de son abdomen était couvert par des bandages, qui cachaient une partie de ses muscles abdominaux. Maedhros balbutia quelque chose d'incompréhensible. Puis il regarda le bandage de plus près, les yeux soudain assombris.
« Cela te fait mal ? » demanda-t-il.
« Uniquement si je bouge... » répondit l'autre, l'air vaseux.
Turgon et Celegorm observaient la scène, mortifiés.
« Oh, j'ai oublié de te donner ton cadeau... » se souvint Maedhros.
« Merci pour la patte d'ours, au fait », dit Fingon en se reboutonnant.
Maedhros quitta la salle, puis revint quelques minutes plus tard, un grand paquet sous le bras.
« Qu'est-ce que c'est ? » demanda Fingon.
Le fils aîné de Fëanor défit le paquet.
« C'est un sanglier géant que j'ai tué lors d'une chasse… Il avait des défenses énormes. Je t'en ai ramené une... »
Lorsque Fingolfin revint dans le hall, il comprit qu'il s'était absenté trop longtemps. À la lumière des flambeaux, la silhouette de son neveu se dessinait en ombre chinoise sur l'un des murs du palais, pointant vers celle de son fils aîné une gigantesque protubérance.
« Prince Findekáno ! » s'exclama le roi. « Nos invités doivent se reposer pour les festivités. Irissë est déjà couchée. Va donc montrer leurs chambres à Tyelkormo et Turukáno. Je m'occupe de montrer la sienne à Nelyo. »
Les festivités débutèrent le lendemain matin.
III
En l'honneur des combattants qui avait repoussé l'attaque surprise de Morgoth sur Ard-Galen, le Grand Roi des Noldor fit donner, le jour suivant, un grand tournoi à Barad-Eithel, introduction à deux semaines de diverses réjouissances.
C'était une fête comme on en voyait peu, quand elle n'était pas organisée par le prince. Il y avait de la musique, des jongleurs, du vin et de la bonne chère. Le monarque lui-même avait revêtu ses habits de fête ; il était de bleu vêtu, comme souvent, mais de nombreux bijoux ornaient les vagues de ses cheveux sombres.
« L'Grand Roy Fingolfin, il a l'air plus jeune que l'roy Turgon son fils », fit à nouveau remarquer Belin, tandis qu'il roulait son maître à travers le champ des festivités.
« A chaque fois vous me le répétez ! » se plaignit Ecthelion.
« C'est parce qu'j'n'arrivons point t'à l'croire, Messire », répondit Belin.
Il était vrai que le visage de Fingolfin était sans rides, et ses joues encore pleines, tandis qu'un sillon s'était tracé entre les sourcils de son fils Turgon, après l'Helcaraxë, accompagné de fines lignes sur son front… Et ses joues avaient maigri, faisant saillir ses hautes pommettes.
« Père est comme la coque d'un navire peint au goudron », confia ce dernier à son frère aîné, dans la tribune officielle. « On dirait que tout glisse sur lui sans l'atteindre... »
Fingon sourit. Il avait précisément le même visage que son père, excepté que ses yeux étaient bleus seulement, et non bleu-gris. Les dorures qui ornaient ses grandes tresses faisaient encore davantage ressortir le bleu de ses iris, joyeux en comparaison de la teinte grise de celles de son père.
« Et ce regard… » poursuivit Turgon. « On dirait qu'il est impossible de le percer à jour. Mais lui, il ne vous rate pas. »
« C'est vrai... »
« D'ailleurs, je ne l'ai jamais vu pleurer. Je crois qu'il n'a jamais dû pleurer de toute sa vie... »
Il le regarda, le Grand Roi de tous les Noldor, fils de Finwë et d'Indis, assis à quelques mètres d'eux, sur un grand siège de bois. Une couronne de fleurs reposait maintenant sur les vagues de ses longs cheveux bruns, en raison des festivités, mais elles ne mettaient pas en péril sa prestance. Sur Fingolfin, même une fleur avait l'air virile.
« Je l'ai vu pleurer, une fois », dit alors Fingon. « En tout cas, il y avait de l'eau sur ses joues... »
« Quand Melkor a tué Grand-Père ? »
« Non, il pensait qu'il serait réincarné… C'était après que Mère lui ait dit qu'elle ne viendrait pas avec nous. »
« Ah ? »
« Oui, je crois qu'il ne s'attendait pas à ce que je me trouve là… Et… On aurait vraiment dit des larmes. »
Le visage de Turgon s'assombrit. Aurait-il dû rester lui aussi, ce soir ? Il serait près d'Anairë sa mère, avec Elenwë… Mais il avait été emporté par la curiosité et l'orgueil… Elenwë aussi.
« Il est peut-être plus sensible qu'il n'y paraît », ajouta Fingon. « Il écrit de la poésie, tu le savais ? »
« Lui ? Je n'ose pas imaginer ce que ça donne. »
Les ménestrels (et surtout son ménestrel, Hildor) aimaient à dire de Fingon qu'il était « fort comme les collines de pierres ». Si Fingon était fort comme les collines de pierres, Fingolfin, lui, l'était comme les montagnes. Il lui avait toujours fait cette impression, depuis qu'il était enfant : une montagne inaccessible. Mais son esprit, surtout, était semblable à une montagne : haut et impossible à briser, des fondations capables de soutenir tout un pays, tout un peuple. Combien de fois Fëanor avait-il été ébranlé, jusqu'à voir son esprit se fêler, se fendre, éclater ? Jamais rien n'avait entamé la force et la solidité de Fingolfin. Il les avait guidés dans la nuit et le froid, pendant des années, à travers le désert gelé, la glace broyeuse. Il avait survécu. Ils avaient survécu, nombreux, grâce à lui. Puis il avait fondé des nations, unis des peuples… par la seule force de son esprit. Tout ce qui existait autour d'eux en ce moment, y compris cette fête, n'aurait été sans lui et sa force morale, le roi plus fort que l'acier. Y'avait-il encore en lui une once d'humanité ?
IV
Après le concours de course du matin, et les agapes du midi, les membres de la famille royale regagnèrent la tribune, du moins presque tous. Fingon, son petit chien dans les bras, était assis entre son père et son frère cadet. Le spectacle de début d'après-midi serait une joute équestre.
« Pourquoi tu ne participes pas ? » s'étonna Turgon, qui savait à quel point son frère était bon cavalier.
« J'y ai participé, autrefois », avoua Fingon. « Mais je gagnais toujours, alors j'ai décidé de laisser ma place à d'autres. »
Le roi de Gondolin le soupçonna de se vanter sous couvert de modestie. À moins que cela soit sa blessure…. Il s'aperçut en le regardant qu'il y avait un problème avec son costume ; une manche de son élégant surcot en soie avait été comme décousue.
« Tu t'es accroché à un clou... » fit remarquer Turgon. Fingon ne sembla pas comprendre. Mais ils n'eurent pas le temps d'échanger davantage ; les trompettes avaient retenti. Arborant un air sévère et digne rappelant celui de leur père, les deux frères braquèrent leurs yeux sur le champ où allaient s'affronter les chevaliers.
Belin, de son côté, fut surpris par la violence des affrontements, comment les écus de bois étaient pulvérisés par les lances, et certains combattants jetés à terre par les chocs.
« Des fois il y a des morts », lui expliqua Ecthelion, ce qui ne contribua pas à rassurer Belin, qui était inhabituellement pâle.
Le chevalier le plus grand et le plus fort de tous montait un gigantesque chevalier gris, et dissimulait son visage sous un masque d'argent. Il se faisait appeler « Le Chevalier à la Main Gauche », car il tenait sa lance par cette main.
« Il est ambigu », commenta Belin.
« Ah bon ? C'est vrai qu'il cache son visage. »
Belin se gratta le menton.
« Non, je voulais dire qu'il sait se servir de ses deux mains, Messire. »
Ecthelion fronça les sourcils, et considéra son écuyer avec incompréhension.
« Hourra ! » cria le public autour d'eux.
Un par un, le Chevalier à la Main Gauche désarçonnait ses adversaires. Et à chaque victoire, il faisait un tour de champ, une étoffe de soie bleu clair accrochée à la hampe de sa lance, pour recueillir les applaudissements de la foule.
« Je me demande qui est ce mystérieux Chevalier à la Main Gauche », dit Fingon.
« Evidemment », déclara Fingolfin d'une voix glaciale. « Rassure-moi, ce n'est pas ta manche qui flotte au bout de sa lance ? »
Fingon sourit.
« Il me l'avait demandée… Je ne pouvais pas lui refuser... »
Bientôt, le mystérieux Chevalier à la Main-Gauche fut déclaré vainqueur. Il mit pied à terre, flatta son cheval, et s'avança vers la tribune. Fingolfin se leva, solennel, tandis que des enfants venaient donner fleurs et argent au vainqueur.
« Chevalier, vous avez remporté le prix. Que les Puissances de la Terre et du Destin continuent à vous être favorables. Y a-t-il une dame ici présente que vous souhaiteriez favoriser ? »
Un frisson de murmures féminins parcourut l'assistance. Le chevalier anonyme releva la partie inférieure de son masque, qui était amovible, dévoilant une mâchoire légèrement piquetée de taches de rousseur.
« Aucune dame, Majesté, mais je souhaiterais honorer le plus grand héros du Beleriand, qui m'aurait sûrement vaincu si j'avais dû l'affronter. »
Il désignait Fingon. Le vaillant prince sembla à la fois surpris et touché. Le chevalier mystérieux s'approcha de lui, et lui tendit la gerbe de fleurs.
« Quel beau geste », approuva Ecthelion en hochant la tête. « Ça aurait été un gâchis de la donner à une fille. »
A la joute succéda un tournoi ; une trentaine de chevaliers se battaient les uns contre les autres, sans monture. Le Chevalier à la Main Gauche ne participait pas, cette fois. Mais il y avait la Dame de la Source.
« Quel dommage que je ne puisse pas participer, avec mes jambes ! », soupira Ecthelion.
« J'ai parié sur votr' tante, Messire », dit Belin.
A la tribune royale, Celegorm, qui ne participait pas non plus, observait la scène, fier comme un lévrier. Il fut bientôt rejoint par son frère aîné.
« Heureusement que tu as gagné », dit Celegorm à Maedhros. « Caranthir m'avait demandé de miser trois mille fingolfins d'or sur toi. Il serait mort de rage s'il les avait perdus. »
Maedhros rit, puis il jeta un regard discret vers sa gauche : à la tribune, après son frère, et Fingolfin, il y avait Fingon, puis Turgon et Aredhel. Il sourit à Fingon. Fingon répondit à son sourire, le bouquet de fleurs toujours entre ses mains.
Les combattants blessés et ne pouvant plus se battre étaient évacués du champ de bataille figuré. Au bout de trois quarts d'heure, ils n'étaient plus que dix. Maica, dont l'écu était orné d'un symbole de fontaine, était parmi eux. Il y avait aussi Mîrdolen, seigneur de la Tulipe Ecarlate, Hérahesto des Hauts-Pins, qui avait perdu contre le Chevalier à la Main Gauche, et le Sinda Gildin, tout de gris vêtu, dont le blason était un épervier. Hérahesto et Mîrdolen furent vaincus par un autre seigneur elfe, tandis que Maica désarma Gildin d'un coup d 'épée, avant de manifestement lui casser un bras.
« Quelle femme puissante ! » s'exclama Aredhel en applaudissant.
Fingolfin eut l'air agacé. L'arène continua à s'éclaircir. A la fin, il n'y eut plus que la Dame de la Source et Ivren Sombre-Étoile.
Les deux combattants restants se firent face dans l'arène, femme et homme, au milieu des débris laissés par les vaincus. Le seigneur de Sombre-Étoile était un elfe pâle, aux cheveux noirs et aux yeux cernés de khôl. Il était mince mais robuste. Son arme était une flamberge à l'éclat froid.
Aredhel se toucha la joue.
« Il est intéressant, ce chevalier de Sombre-Étoile », dit-elle.
Turgon se pencha vers Fingon et lui chuchota : « Je crois qu'elle aime ce type d'elfes... »
Le prince de Dor-Lómin ne put réprimer un sourire.
« Messire, cela ne me dit rien », déclara Belin, les yeux rivés sur la lame dentelée de Sombre-Étoile.
« Ne vous inquiétez pas », répondit Ecthelion, « elle n'est pas aiguisée. Et elle ne peut pas traverser l'armure. »
Belin n'avait pas l'air convaincu.
Maica avait toujours son casque, ce qui n'était pas le cas de son adversaire. Elle était rapide et ses coups étaient précis. Pour autant, elle ne négligeait pas la parade.
« Elle a un jeu équilibré », commenta Ecthelion.
« Oui Messire », constata aussi Belin.
Mais Ivren était plus fort, et contrer ses coups la fatiguait.
« Elle les pare au lieu de les éviter », dit Turgon à Fingon.
« Elle n'arrive pas à les éviter », corrigea Fingon. « Il est vraiment redoutable. »
On sentait qu'Aredhel était partagée, elle ne savait pas qui soutenir, entre la guerrière et le beau chevalier ténébreux.
La dite guerrière était tombée à genoux, reprenant son souffle. Le seigneur de Sombre-Étoile frappa un coup sur la protection en métal de son dos, avec sa flamberge.
« Faute ! » s'écria Ecthelion.
« Pourquoi est-ce que l'arbitre ne dit rien ? » grogna Belin.
Ils n'étaient pas les seuls à protester.
« Elle devrait en profiter pour lui mettre un coup où je pense », dit Ecthelion.
Sa tante se releva, et elle tenta de frapper Sombre-Étoile à l'épaule, mais ce dernier esquiva l'attaque.
« Quand il se bat, on dirait qu'il danse », déclara Belin, qui se souvenait de certains guerriers elfes qu'il avait vu combattre aux portes d'Angband.
Maica s'écroula ; Ivren semblait lui avoir porté un coup invisible, lorsqu'il avait paré son attaque.
« Elle a perdu... » soupira Ecthelion.
Sombre-Étoile brandit sa flamberge, triomphant. Des soigneurs vinrent s'occuper de son ancienne adversaire, et l'aidèrent à se relever. Une fois debout, elle jeta son épée à terre, et s'inclina devant le vainqueur.
« On devrait faire des tournois à Gondolin, aussi », déclara Ecthelion. « Je vais en parler au roi. »
« Il est là messire, dans la tribune. »
« Hein ?! »
De l'autre côté du champ, Turgon se dit qu'il avait une hallucination. Un instant, il avait cru voir Ecthelion et son écuyer… Alors qu'il y avait juste un jeune elfe aux longs cheveux noirs comme il y en a tant parmi les Noldor, assis à côté d'un elfe blond plus petit avec de la fourrure sur les joues… et qui lui faisait des signes ?!
« Mais arrêtez ! » dit Ecthelion à l'humain, qui s'était levé pour faire de grands coucous.
« Oui vous avez raison Messire, c'est le roy, c't'inapproprié. Mais j'estois tellement content de l'voir ici parmi nous, après tout c'temps qui est passé. »
Ce n'était pas le cas du roi de Gondolin...
« C'est pas vrai », pensa Turgon horrifié. « Moi qui étais si tranquille jusqu'ici… Dieu sait ce qu'ils sont capables de faire, encore ! »
Maica, qui était à peine passée derrière la barrière de bois, et avait ôté son heaume, avait la bouche grande ouverte.
Le Grand Roi des Noldor était descendu dans la lice, sans autre armure que ses vêtements d'apparat. L'un de ses serviteurs lui apporta Ringil, son épée.
« Qu'est-ce qu'il va faire ? » demanda Aredhel.
« Il va affronter le vainqueur », expliqua Fingon.
« Je vois… Il faut toujours qu'il trouve un moyen de montrer ses gros muscles », soupira Turgon.
« Il a bien raison ! », approuva Aredhel.
« Je suis content que Maica n'ait pas gagné, finalement », ajouta Fingon. « Ce pauvre Ivren, ce fut un plaisir de le connaître. »
« Qui est cette Maica ? » demanda Turgon, curieux.
« C'est son amoureuse », dit Aredhel.
« N'importe quoi… C'est juste une… collègue », répondit Fingon.
« C'est précisément ce que tu dirais si c'était ton amoureuse. »
« Ne l'écoute pas », dit Turgon à Fingon. « Elle, elle a un faible pour les elfes un peu louches. »
De l'autre côté du champ, Belin ne comprenait plus rien à rien.
« Messire, le Grand Roy est devenu fol, il veut s'battre sans armure ! »
Ils comprirent vite pourquoi. Sombre-Étoile avait beau attaquer Fingolfin encore et encore, le roi esquivait chacun de ses coups. Belin crut revoir Fingon sur le champ de bataille, mais sans nattes. La foule était en délire. Et alors que le pauvre Ivren commençait à fatiguer, et que son khôl coulait autour de ses yeux, Fingolfin brisa son bouclier en un seul coup d'épée, et plaça la pointe glacée de Ringil juste sous son menton. Le vainqueur était vaincu. Fingolfin rengaina son épée, releva son chevalier, puis jeta un rapide coup d'oeil à Celegorm, qui dans la tribune, était pâle et en sueur.
V
Le bon vin nous a rendu gais,
Chantons oublions nos peines, chantons !
En mangeant du gras jambon,
A ce flacon, faisons la guerre !
Quand je bois du vin clairet,
Ami tout tourne,
tourne, tourne, tourne...
Aussi désormais je bois
Lindon ou Vertbois.
Chantons et buvons :
À ce flacon faisons la guerre !
Chantons et buvons
Mes amis ; buvons donc !
Le deuxième jour, un banquet eut lieu dans toute la citadelle et sur le champ des festivités. Jusqu'à tôt le matin, et jusqu'à tard le soir, on festoya gaiement, de vin, de victuailles, et de chansons.
Se déplaçant seul, le Grand Roi allait d'un convive à l'autre. Ainsi, il félicita le jeune chevalier de la Fontaine d'Argent, alors cloué en fauteuil roulant, et roulé ici et là devant les différentes tables du banquet par son écuyer humain.
« Soyez remercié pour votre service, Seigneur de la Fontaine. Et cela s'applique également à votre écuyer, Belin le Brave. »
Ecthelion était plus fier qu'il ne l'avait jamais été ; quand à Belin, il était rouge de timidité, devant le Grand Roi.
« Ses cheveux sont très beaux », dit alors Fingolfin à Ecthelion.
« Vous trouvez aussi ? » répondit Ecthelion, l'air heureux.
« Il semble également de bon secours au combat », chuchota ensuite le fils de Finwë. « J'ai entendu dire qu'on trouvait ses semblables à l'Est… J'ai lu des livres à ce sujet… Mais je n'en avais jamais vu devant moi en chair et en os. »
Il se permit de toucher le bout rond de l'oreille de l'humain.
« Intéressant. »
Belin baissait les yeux. Fingolfin partit, sa longue cape bleue flottant dans la brise de printemps.
« C't'un bien beau roi », commenta l'humain.
Ecthelion avait pris un air solennel. Mais cela ne dura pas.
« Oh, regardez, un cordier ! »
Il se dirigea vers l'étal de l'artisan, qui vendait toutes sortes de cordes, présentées séparément, ou en amas. Belin se mit la main dans la bouche.
« Vous allez bien ? »
Mais l'humain pleurait.
« Belin ! »
Fingolfin était déjà loin. Après avoir félicité le Chevalier de la Fontaine et son fidèle écuyer, le roi des Noldor se dirigea vers la Dame de la Source, qui n'était plus en armure, mais était reconnaissable de loin à ses cheveux argentés et à la dague qu'elle portait toujours à la ceinture.
« Seigneur de la Source », dit Fingolfin.
La femme-elfe se prosterna. Le roi demeura immobile, et impassible.
« Une fois encore, nous devons vous féliciter pour votre bravoure au combat. Et bien plus qu'à ce tournoi : sur le véritable champ de bataille. »
« Je n'ai fait que mon devoir, Majesté », répondit la femme-elfe, les yeux rivés au sol.
« Et votre devoir a été fort bien fait. »
La femme se releva, mais il y eut comme un éclat blanc près de son genou. Quelque chose était tombé sur le sol. Les sourcils du roi se froncèrent. Il se baissa pour ramasser l'objet. C'était un oiseau de papier. Ou plutôt un oiseau peint sur un papier, très réaliste.
« Qu'est-ce que…? Est-ce à vous ? »
« Oui. Il a dû tomber quand je me suis baissée. »
Fingolfin lui redonna ; elle le rangea dans la poche intérieure de son surcot.
« Je dois confesser ma curiosité... », dit le roi.
« C'est un souvenir », dit Maica. « Ou plutôt, un rappel. »
Elle s'assura que personne ne les écoutait avant de poursuivre.
« Quand j'ai intégré l'armée… J'étais jeune, tendre et faible. Alors j'ai fait fabriquer plusieurs de ces cibles, avec lesquelles je m'entraînais au tir à l'arc. Mais ce n'était qu'une première étape. J'étais consciente que ce n'était pas suffisant. Je suis allée voir les paysans et les bouchers, pour les aider à découper les bêtes mortes. »
Au milieu de son visage sans émotion et sans âge, les yeux bleus du roi luire un bref instant.
« Ensuite, j'ai chassé : des oiseaux vivants, des cerfs, des daims. Je leur ôtai la vie pour les rapporter aux tentes communes. Puis j'ai connu mes premiers combats, et les batailles. J'ai toujours gardé cet oiseau sur moi, pour me rappeler… Pour me rappeler que lorsque le moment advenait, je devais faire ce qui devait être fait. »
Comme par réflexe inconscient, le regard de Fingolfin se tourna vers son fils Fingon, qui était en train de discuter avec Maedhros.
« Un tel récit inspire sans doute la moquerie », dit alors la femme-elfe.
« Non, pas du tout. J'ai en horreur la violence et le sang. Mais la sagesse nous intime parfois d'être dur et sans pitié. »