New Challenge: Potluck Bingo
Sit down to a delicious selection of prompts served on bingo boards, created by the SWG community.
Le retour de bal fut difficile pour Orodreth.
« Je n'existe pas, pour elle », geignit le fils d'Angrod. « Je ne suis qu'une oreille bonne à entendre le récit de son amour pour le Prince Fingon. »
« Pourquoi vous plaignez-vous à moi ? » répondit Ecthelion avec agacement. « Je vous avais pourtant prévenu de ne pas vous engager dans cette affaire, et de vous consacrer à la pratique des armes. Si vous n'aviez pas laissé cette situation exécrable s'installer dès le départ, vous n'en seriez pas là où vous en êtes aujourd'hui : une loque elfique, réduite à écouter les lamentos d'une midinette. »
« D'accord », rétorqua Orodreth, vexé. « Ma situation est peut-être difficile... Mais elle pourrait être pire. Par exemple, je pourrais être amoureux de mon écuyer. »
« Qui est amoureux de son écuyer ? » demanda Ecthelion.
* * *
Les jours suivants virent encore se dérouler des concours : concours musicaux (les plus importants de tous), concours d'art et d'artisanat divers, concours hippiques (on décernait le prix non au cavalier ou au propriétaire, mais au cheval lui-même). On disait que le plus rapide destrier était celui du roi, Rochallor, mais il ne le faisait pas concourir. Ecthelion tenta le concours de chant masculin et remporta le prix.
« J'aurais au moins pu faire celui-là ! » dit-il.
« Messire, vous allez être célèbre », dit Belin.
Le roi de Gondolin semblait moins agacé contre son chevalier, maintenant qu'il avait remporté le prestigieux grand prix de chant.
« Vous avez-vu, Père ? Mon chevalier de la Fontaine a remporté le prestigieux grand prix de chant. »
« Oui… ça ne m'étonne pas. Son père était un grand musicien, ici à Barad Eithel. Il a dû le former durant son enfance. »
Turgon demeura silencieux et immobile. Le Grand Roi des Noldor se tourna vers lui, fronçant ses sourcils pointus.
« Quoi ? J'ai encore dit quelque chose… ? »
« Non, rien. »
Son serviteur gondolinien lui tendit une tasse de tisane.
* * *
Trois jours plus tard, à l'aube, Maica faisait des exercices physiques à l'extérieur, quand elle vit passer Fingon, vêtu d'une simple veste verte et dorée par-dessus sa chemise de nuit, et d'un pantalon de couleur unie. Ses cheveux n'étaient pas tressés, sans nul ornement, et à peine peignés.
« Oh, mais tu es tout beau ce matin », ne put-elle s'empêcher de faire remarquer, sans ironie.
Il avait l'air de mauvaise humeur, ou mal réveillé, et ne lui répondit pas.
Elle vit qu'il rejoignait le bas de la route, là où était postées depuis quelques moments les deux délégations venues d'Himring et d'Himlad.
« Tu aurais pu me prévenir à l'avance », dit Fingon, quand il arriva sur les lieux.
« Je l'ai fait », dit Maedhros.
« Personne ne m'a rien dit pourtant. »
Maedhros eut l'air surpris.
« C'est étrange... »
« Et pourquoi pars-tu maintenant ? Je pensais que tu resterais au moins un mois ! »
« Je venais pour assister à la fête, et m'assurer que tu allais bien… J'ai l'impression que l'Elessar fait effet, n'est-ce-pas ? »
« Oui, mais… »
« Je ne peux pas laisser Maglor gérer la Brèche et Himring seul trop longtemps… »
« Un mois de plus, ça n'est pas grand chose », insista Fingon.
« Mais comme ça, tu seras obligé de venir me visiter chez moi... »
Fingon hocha la tête.
« J'ai vraiment été heureux d'avoir pu te revoir », ajouta Maedhros, les yeux mouillés. « Au revoir, mon cousin. »
Il le serra dans ses bras, puis l'embrassa juste au coin de la bouche, avant de s'éloigner. Fingon demeura immobile, se touchant l'endroit où Maedhros l'avait embrassé du bout des doigts.
Quand Maica vit repasser Fingon, elle aurait juré qu'il pleurait.
* * *
Fingon était résolu à visiter son cousin à son tour, les mois suivants, mais Fingolfin lui donnait toujours une nouvelle tâche à accomplir. L'hiver fut ensuite trop rude pour qu'il voyage. Au printemps suivant, il ne retourna pas au camp d'Ard-Galen, bien qu'il fût guéri, car cette charge avait été confiée à Mîrdolen. Il y avait de plus des problèmes dans ses propres terres, qu'il dut régler, et cela prit des mois. Puis Fingolfin l'envoya dans Ered Wethrin vérifier tous les bastions qui s'y trouvait. Et ainsi il fit tout le tour du carré d'Hithlum.
Il ne revit pas Maedhros avant de nombreuses années.
* * *
Les festivités terminées, Ecthelion et Belin devaient quitter leurs appartements au château. La Dame de la Source vint alors les haranguer, un cercle d'argent seigneurial ceignant le haut de sa tête et son interminable chevelure.
« Ecthelion, tu ne retourneras pas aux maisons de guérison », déclara la femme-elfe avec morgue. « Je vous invite à séjourner dans mon manoir. C'est à une trentaine de miles d'ici. Mettons-nous en route ! »
Quelques minutes plus tard, Ecthelion chuchotait dans l'oreille de Belin : « Pourquoi elle a un manoir et pas moi ? »
Elle fit embarquer Ecthelion dans une charrette, avec tout son équipement et ses bagages. Belin montait à cheval, ainsi que l'écuyer de Maica. Le cheval d'Ecthelion les suivait. Ils passèrent la porte Est de la ville à l'aube. La route était pavée de carrés hexagonaux, mais elle devint bientôt de la simple terre battue. Au bout d'une heure, ils passèrent un col, qui débouchait sur la grande plaine d'Hithlum. Elle était couverte d'herbe, comme Ard-Galen, mais aussi de fleurs. À leur gauche, ils pouvaient voir le grand lac Mithrim, au bord duquel avait été édifiée une ville, Ost-Mithrim.
« Comme c'est beau », dit Belin.
« Vous voyez ces montagnes, en face ? » dit la femme-elfe. « Derrière, il y a une autre plaine, le Dor-Lómin. C'est le fief du prince Fingon. »
« Je me souviens de ce paysage », dit Ecthelion.
Belin ne dit rien, mais il savait déjà tout cela, depuis qu'il avait appris à lire.
« Habituellement, il y a beaucoup de brouillard le matin, mais vous avez de la chance aujourd'hui. Cette ville, édifiée sur le bord nord, n'a pas toujours été là. Ce fut d'abord un campement, Fëanoriens d'un côté, et Fingolfiniens de l'autre. J'ai vécu dans ces tentes, durant mon adolescence. Maintenant, la plupart des Fëanoriens sont partis. »
Ils poursuivirent leur chemin vers la droite, sur la route du nord qui longeait les Montagnes Ombreuses. Belin remarqua qu'il semblait avoir gelé pendant la nuit. La pause méridienne passa, puis la moitié de l'après-midi.
« On arrive bientôt ? » demandèrent Belin et Ecthelion à la femme-elfe.
« Ce soir, si tout va bien... »
Elle se mit à chanter. Sa voix était toujours étonnamment aiguë.
Ce que j'aime par-dessus tout
C'est galoper dans les plaines
Mère, je ne veux pas d'époux
Pour étancher ma peine
Ce que j'aime par-dessus tout
C'est la caresse du vent
Mère, je ne veux pas d'amant...
Seulement le souffle du vent
Dans sa charrette, Ecthelion s'était emmitouflé dans une couverture. Il ferma les yeux.
« Elle chante bien », commenta Belin. « Mais pas aussi bien que vous, Messire. »
« J'entends tout ! »
* * *
Les heures passèrent. Il faisait de plus en plus froid. La nuit tombée, ils parvinrent à un carrefour.
« C'est à droite », indiqua la Dame de la Source.
« Oui, je connais cet endroit », pensa à nouveau Ecthelion.
Mais dans sa mémoire, il n'y avait pas de corbeaux – ni ce qui servait de panneau indicateur : un grand poteau de bois auquel était fixée une poutre, en équerre. Une corde était attachée à la poutre. Au bout de cette corde, quelque chose de volumineux se balançait.
« Qu'est-ce que c'est ? » demanda Belin.
« Un gibet », répondit Maica, en poursuivant sur la route montante.
Sans descendre de son cheval, Belin s'approcha du gibet. Un orque en armure y était pendu, son corps déjà en parti pourri. Ses orbites étaient vides. L'humain détourna les yeux, comme si cette vue le blessait. Des corbeaux vinrent se poser en haut de la potence, croassant.
Ecthelion regardait la construction en fronçant les sourcils.
Ils montèrent la route, qui menait à un petit château, possédant néanmoins des défenses imposantes. On devinait qu'il devait pouvoir servir de fortin de repli en cas de prise de Barad-Eithel.
« C'est ma maison ! » s'exclama Ecthelion. « C'est là que j'ai grandi... »
« Hé bien oui », répondit sa tante. « Où voulais-tu que cela soit ? »
Ecthelion eut l'air plus ému encore, quand il pénétra dans le hall. Des domestiques s'avancèrent, mais il ne reconnut pas le régisseur, qui était une femme.
« L'ancien régisseur est parti vivre à Tol-Sirion », expliqua Maica, buvant la coupe que lui tendait la régisseuse, qui s'avança ensuite vers Ecthelion.
Belin s'arrêta devant le portrait d'un homme qui ressemblait beaucoup à son maître. Il y avait aussi une grande tapisserie, qui représentait Fëanor, entouré d'elfes tenant des flambeaux, et tendant le poing. Une autre représentait Fingolfin menant un cortège arrivant en Beleriand ; le soleil nouveau brillait au-dessus de sa tête et des fleurs éclosaient sous ses pieds.
« Guidez mon neveu Ecthelion de la Fontaine vers sa chambre. Il a été blessé au combat et ne peut plus se servir de ses jambes pour le moment. »
Belin décida de l'accompagner. La chambre était à l'étage, deux serviteurs le portèrent, tandis que l'écuyer s'occupait de la chaise roulante.
Quand Ecthelion entra dans la chambre, il ne put s'empêcher de pousser un cri. Tout était semblable à celle qu'il occupait étant enfant : le lit, les meubles, les rideaux, les tapis…
« C'est ma chambre… Quand j'étais petit... »
« Vraiment Messire ? » répondit Belin.
L'humain se permit d'aller regarder dans le coffre à vêtements ; il en sortit une petite tunique blanche à motifs floraux.
« Oh Messire », dit-il en riant, « c'était votre habit, quand vous n'étiez qu'un tout p'tit p'tiot ! »
« Oui, elle était déjà trop petite quand je suis parti », se souvint Ecthelion.
« C'est mignon... » dit Belin. Il sortit ensuite une petite chaussure en cuir, qu'il observa.
L'elfe ouvrit la boîte qui se trouvait sur un guéridon. Elle était remplie de figurines. Il en saisit une : elle représentait un guerrier roux. Il lui manquait une partie de son armure argentée, et sa main dévissable. Ecthelion prit les autres parties de l'armure, dont le métal brillant était si attirant à un œil d'enfant, et les refixa. Mais il ne trouva pas la main. Il prit ensuite la figurine représentant Fingon, la plus musclée.
« Regardez, Belin ! »
« On dirait une poupée du prince Fingon, Messire. »
« Ce n'est pas une poupée, c'est un soldat articulé. »
« Les nattes sont bien peintes », apprécia Belin.
Ecthelion rangea les figurines. Il roula jusqu'au lit, en toucha l'édredon si familier. Il eut l'impression qu'il se jetait à nouveau dessus, qu'il ressentait toutes les impressions de ce moment, comme si il était à nouveau cet enfant, il y a cinquante ans de cela. Une larme coula sur sa joue.
« Messire... »
Belin posa une main sur son dos.
« Pourquoi... » commença Ecthelion. Mais il ne finit pas sa phrase.
* * *
Le dîner eut lieu dans la grande salle de réception, à la table du seigneur. Il y avait une vingtaine de plats, des venaisons surtout, accommodées de baies des montagnes, du canard, du hareng fumé, des tourtes aux asperges et aux pommes de terre. Un ménestrel jouait de la harpe, à la mode de Valinor.
« Au moins elle sait recevoir », glissa Ecthelion à l'oreille de Belin.
Mais à peine le premier entremet était-il passé, que Maica semblait clairement ivre. Elle brandit son cuissot de chevreuil.
« Elles me méprisent, toutes ces belles dames parfumées, mais si je n'étais pas là, qui protégerait leurs blanches fesses ? »
Belin avala sa bouchée de hareng de travers. Ecthelion lui tapa dans le dos.
« Les miennes sont usées par le cheval… » poursuivit-elle. « Et endurcies par l'exercice. »
« Vous avez raison ma tante ! » s'exclama Ecthelion. « Une femme doit être aussi entraînée qu'un homme ! »
« Mais faut bien que quelqu'un fasse les p'tits petiots, Messire », opposa Belin.
« Cela n'empêche rien, regardez ma mère ! » répondit Ecthelion.
« Ta mère était la meilleure femme qui existe ! » tonna Maica. Elle avait terminé son cuissot de chevreuil. Elle se tourna vers l'elfe qui se trouvait debout, en fin de table, un pichet à la main.
« Échanson, un autre verre ! »
Aussitôt servi, aussitôt bu. L'échanson remplit une deuxième fois le gobelet de métal.
« Donnes-en aussi à mon neveu et à son fidèle écuyer, Belin le Brave. C'est un bon vin. Il vient d'Ossiriand. Nous y ajoutons du miel et des épices. »
Elle but une nouvelle gorgée. Le ménestrel avait changé de chanson.
« Ce ménestrel... » commença Maica. « C'est un ancien élève de ton père. Et ton père… était un élève de Maglor. »
Elle éleva son gobelet.
« Grand frère, un jour je te vengerai ! »
« Moi aussi ! » ajouta Ecthelion, en frappant sur la table.
Pourquoi faut-il qu'ils fassent autant de bruit quand ils parlent ? se demanda Belin.
« Ma Dame », dit-il soudain, « est-ce qu'il y a donc quelque chose entre vous et le prince Fingon ? »
« Non », répondit-elle avec orgueil. « Il n'est pas mon type… »
« Ils sont justes amis, de toute façon ! » s'empressa de dire Echtelion.
« Mais p't'être que tout en étant amis, elle aimerait bien qu'il s'passe quelque qu'chose de plus », ajouta Belin.
Ecthelion plissa les yeux, soupçonneux.
« Pourquoi vous dites ça... »
« Je ne veux pas qu'il se passe quelque chose de plus ! » protesta Maica.
L'échanson anticipa et remplit son gobelet vide.
« Je crois que Maedhros a un faible pour vous », déclara alors Ecthelion. « C'est pour ça qu'il vous a invitée à danser. »
Maica eut un drôle de rire.
« Lui ? C'est toujours un bien bel homme, mais il préférerait s'unir avec un bouc qu'avec une femme... »
Ecthelion eut l'air contrarié. Maica vida son verre.
« Je ne le dis pas à Fingon, il ne veut pas croire à toutes ces rumeurs. Mais je l'ai vu, une fois à Valinor, embrassant un artisan. »
« Qu'est-ce qu'il fabriquait ? » demanda Ecthelion.
« Là n'est pas la question. J'étais une enfant alors… Je n'avais pas compris ce que j'avais vu. Mais des gens s'imaginent qu'il y a une relation entre lui et Fingon, alors qu'il n'y a rien. »
« Je le savais ! » s'exclama Ecthelion.
Le ménestrel commença une nouvelle chanson, qu'il avait manifestement composée lui-même.
Glacés sont les torrents d'Hithlum
Et froide la bise venue du Nord
Mais rien n'est plus gelé
Que le cœur de ma maîtresse.
Belin fronça les sourcils et Ecthelion fit la moue. Mais Maica ne semblait pas perturbée.
« C'est un compliment qu'il me fait », expliqua-t-elle.
« Quels sont vos instruments ? » lui demanda alors son neveu.
C'était une question habituelle chez les elfes.
« Le luth, la harpe et le tambourin ! Ma mère, ta grand-mère, était une excellente musicienne, de la race des Teleri. Je pourrais en jouer, mais je suis trop fatiguée, ce soir... »
Les plats se succédèrent. Arrivé au dessert, Maica peinait à se mouvoir normalement, mais semblait de très bonne humeur. Elle s'empara alors d'un nouvel alcool, transparent, qu'elle tendit à Ecthelion.
« Goûte ceci, Neveu », dit-elle. Puis elle précisa, en posant avec fracas une coupe lourde sur les planches du festin – « ...dans ce hanap ! »
« D'accord… » répondit Ecthelion en buvant.« C'était la coupe préférée de ton père… Et maintenant dis-moi… »
« Oui. »
« Dis-moi ce que tu as fait… »
« Ce que j'ai fait ? »
« Ce que tu as fait… Pour ne pas être prince de Gondolin ? »
« Quoi ? »
La femme-elfe éclata de rire, un rire étrangement cristallin au milieu de ses manières masculines.
« Qu'est-ce que tu as bien pu faire ? »
Ecthelion ne comprenait pas.
Des domestiques s'approchèrent d'elle et l'un murmura : « Madame, voulez-vous aller vous coucher ? »
« Oui, je suis fatiguée », répondit-elle. « Ils me fatiguent tous. »
Elle se leva péniblement ; les deux serviteurs se placèrent de manière à la soutenir, la guidant hors de la salle. Elle fit un signe de la main à des bois de cerf qui étaient accrochés en décoration.
« Ils ne se rendent pas compte… » marmonna-t-elle en disparaissant dans un corridor, portée par ses domestiques. « Ils ne veulent pas le prendre… Non ils ne veulent pas le prendre… Le mal… C'est moi qui dois le prendre... »
« Oui Madame. »
« Toutes ces dames… Que Morgoth les emporte ! »
* * *
Le lendemain matin, Ecthelion laissa Belin dormir, et se fit rouler jusqu'à la grande salle. Il y faisait très froid ; on aurait dit que les brumes d'Hithlum envahissaient l'intérieur de la forteresse. Des domestiques avaient allumé un grand feu cependant. Il y avait des pâtés de viande, des saucisses, des groseilles et du jus de bleuets fumant sur les grandes planches de la table seigneuriale.
La Dame de la Source venait manifestement de s'y installer. Elle portait une robe bleu clair, accompagnée d'une cape de même couleur, bordées de fourrure blanche. Elle était très pâle.
« Viens t'asseoir, fils de mon frère », dit-elle alors, en se tenant le front car elle avait trop bu la veille.
Ecthelion prit place, non sans regretter une fois encore de n'être pas le maître du château, ce château dans lequel il avait passé son enfance.
« Sers-toi. »
Le jeune homme prit un pâté, une saucisse, une grappe de groseilles et une grande choppe d'infusion.
« Tu as bon appétit, je l'ai déjà remarqué… C'est une bonne chose pour un guerrier. »
Mais pour une fois, le menu n'était pas ce qui préoccupait le plus le chevalier de la Fontaine.
« Ma tante… Hier soir, vous avez dit des choses étranges. »
« C'est le vin. »
« Pas seulement hier », insista Ecthelion. « Quand nous étions au camp sur Ard-Galen… Vous aviez commencé à me dire quelque chose également… Au sujet de la raison pour laquelle je n'étais pas resté ici, après la mort de mes parents. Mais nous avions été interrompus par l'attaque. »
Maica sembla fâchée.
« Tu ressembles à ton père, quant à l'apparence », dit-elle, « mais en ce qui concerne la personnalité… Tu es passionné comme ta mère. »
Ecthelion fronça les sourcils, l'air buté. Sa tante y vit une confirmation de ses propos.
« Hé bien... »
Elle avait l'air pensive à présent. Avant de poursuivre, elle remplit son verre d'infusion chaude. Du bout de son index, elle caressa la surface des bleuets broyées, à l'odeur douce.
« On m'a dit que le roi Fingolfin avait reçu une lettre, venant de Vinyamar… Ou plutôt du royaume caché de Turgon. C'était une lettre de Pendelot – hum, Penlodh. Il proposait à Fingolfin de lui envoyer l'orphelin des seigneurs de la Source, afin que le roi, qui n'avait pas de fils, puisse l'adopter et l'élever en son nouveau palais comme son propre enfant. »
« Quoi ?! » barrit Ecthelion.
Il avala sa groseille de travers. Maica lui tapa dans le dos vigoureusement pour ne pas qu'il s'étouffe.
« Tu vas bien ? »
« Ce n'est pas possible ! »
« Je te répète ce qu'on m'a dit. C'est pour cela qu'on t'a envoyé là-bas, au-delà du Sirion, dans ce nouveau royaume… C'était une idée de Penlodh. On ne m'avait pas présenté exactement les choses de cette manière. Il n'y était question que d'une royale position à pourvoir, et de faire ton éducation. Je n'étais pas d'accord, mais le roi finit par prendre cette décision. »
« Penlodh ne ferait jamais cela... » gémit Ecthelion, se rappelant qu'il était le seul à la Table Ronde, avec Duilin, à ne jamais se moquer de lui.
« Tu plaisantes ? Penlodh est le roi des comploteurs… Et cela ne date pas d'hier. Il l'était déjà, à Valinor. Je me souviens de ce que Maglor disait de lui, à l'époque… »
« Mais… Turgon ne m'a pas adopté au final… Et je n'ai jamais habité au Palais… J'ai toujours habité chez Glorfindel, avant de vivre seul... »
« C'est cela que je ne comprends pas… Il a dû se passer quelque chose. »
« Je ne vois pas quoi... »
« Tu dois avoir une belle villa tout de même, avec tout le confort moderne. Turgon est connu pour être un architecte de génie. »
Ecthelion hocha la tête, n'osant dire qu'il vivait toujours dans un appartement, même si celui-ci disposait de l'eau courante.
« Je sais que tu as la charge de la Maison de la Fontaine, là-bas… » reprit Maica. « Mais si tu le souhaites… Tu peux revenir ici. »
Le jeune elfe ne put cacher sa surprise.
à suivre
Le titre est celui d'un roman de P.G. Wodehouse.