Maudits silmarils, livre 2 by Dilly

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Le bal


Chapitre 8 : Le bal

 

 

« Qu'est-ce que vous avez Belin, pourquoi pleurez-vous ? » demandait Ecthelion, le visage inquiet.

« Rien messire », répondit l'humain en séchant ses larmes.

L'elfe l'incita à s'asseoir sur une pierre.

« C'est d'avoir parlé au roi ? »

« Non c'est le temps d'ici, j'pense… J'n'y suis point t'habitué. »

« C'est vrai qu'à Gondolin il y a un micro-climat, c'est dans une cuvette. Et puis il y a beaucoup trop de gens dans cette fête. »

Il essaya tant bien que mal de se rapprocher de lui avec son fauteuil. Belin avait les yeux rouges, et il regardait obstinément devant lui. Ecthelion posa sa main sur son avant-bras couvert de poils dorés. L'écuyer en tourna la tête, plongea ses yeux dans ceux de son maître.

« Messire... »

« Belin... »

« Lune et Soleil ! » dit une voix féminine.

Les deux comparses regardèrent qui s'adressaient à eux : c'était la tante d'Ecthelion.

« Je ne voudrais pas vous déranger, mais je viens de demander au roi si vous pouviez avoir une chambre au palais, durant les fêtes, plutôt que de loger dans la maison de guérison. »

« Et qu'est-ce qu'il a répondu ? »

« Hé bien il a dit oui, sinon je ne t'en parlerais pas. »

« Cela tombe bien, Belin a besoin de se reposer. »

« Qu'est-ce qu'il a ? » demanda Maica, en voyant qu'il avait les yeux rouges et mouillés.

« Une allergie », dit Ecthelion.

 

* * *

Vers le milieu de l'après-midi, Maedhros et Fingon prirent congé eux aussi et allèrent s'enfermer dans une chambre.

Soupçonneux, Turgon les suivit. Une fois parvenu devant la porte, il s'accroupit, fourra sa main dans une poche interne de sa grande robe royale, et en sortit un cornet, qu'il posa contre le bois, pour écouter. Cependant, le timbre des voix n'était pas clairement discernable.

« Ton frère est bizarre », fut la première chose qu'il entendit, sans parvenir à en identifier le locuteur. « Tout à l'heure, j'avais l'impression qu'il m'observait. »

Puis des bruits de pas, de conversations indistinctes, qui devenaient parfois plus claires.

« Nelyo voyons, tu ne peux pas m'offrir l'Elessar de ton père. »

Il y eut un juron étouffé. Mais celui-ci ne venait pas de derrière la porte. Turgon leva les yeux : devant lui, accroupi lui aussi, et l'oreille également appuyée contre la porte, se trouvait un elfe aux cheveux châtain clair – bien que Turgon les aurait certainement qualifiés de blonds.

Celegorm...

« Toi ici ! »

« Toi aussi ? »

« Mais qu'est-ce que tu fais là ? », siffla Turgon.

« À ton avis ! »

« Tu as des soupçons, comme moi ? »

« Bien sûr. Tu crois que je suis aveugle ? » répondit Celegorm. « Cette dévotion inconditionnelle l'un pour l'autre, cette tension sexuelle à couper au couteau... »

« Je sais, je sais... »

« Cela dit, ce doit être encore plus dur à supporter pour toi », murmura Celegorm avec un petit sourire mesquin.

« Pourquoi ça ? »

« De savoir que ton frère aîné se fait... fourbir... par le mien... »

Le visage de Turgon s'empourpra.

« Mais qui... qui... qui... quiqui te dit que c'est pas mon frère qui fait l'homme ? » balbutia-t-il.

Il était piqué dans sa fierté, mais à cause de la possession du petit chien, il n'était pas très convaincu lui-même.

« Allons, on sait tous que c'est le mien. »

« Et pourquoi donc ? » répliqua Turgon d'une voix mal assurée.

« Parce que mon frère ne portait pas des robes de petite fille quand il était petit ! »

« Ni le mien. »

« C'est de notoriété publique ! »

« Et alors. Ce n'est pas scandaleux pour un petit enfant que de vouloir porter des vêtements confortables. »

« Mais je rêve ! De toute façon il suffit de les regarder. Nelyo pèse vingt kilos de plus que lui. »

« Ça ce n'est pas sûr, Fingon est plus épais ! »

« Vingt kilos avec une main en moins ! »

« Et qui a sauvé ton frère quand il était prisonnier comme une demoiselle en détresse ? Mon frère ! Avec ses gros pectoraux ! »

« Allons... Ton frère est une chochotte, qui porte de la dentelle sous ses tuniques ! »

« Répète ça ?!! »

« ...Qui porte de la dentelle sous ses tuniques ? »

La phrase avait en effet été répétée, mais sous la forme d'une interrogation glaciale, et pas par Turgon.

Les deux espions d'un jour levèrent la tête.

Pour reconnaître Maedhros, qui les toisait avec un regard froid, et une bouche amusée.

« Personne », répondit Celegorm.

Le haut de la tête de Fingon parut au-dessus de l'épaule de Maedhros.

« Que faisiez-vous accroupis derrière cette porte ? »

« Hé bien... nous... »

« J'en ai assez entendu », déclara Maedhros. « Tyelkormo, je t'avais prévenu. »

Il attrapa son frère cadet par l'oreille, et le tira jusqu'au fond du couloir, pour le jeter dans l'escalier.

« Je l'referai plus Nelyo ! Je serai très sage ! » entendit Turgon.

« Hors de ma vue ! Et tu seras privé de dessert, quand tu viendras à Himring ! »

Mais Fingon couvait Turgon d'un regard sévère. Le roi de Gondolin et de Nevrast se redressa.

« Je dois aller voir Idril », dit-il, très noblement.

Puis comme si de rien n'était, il tourna les talons.

Les deux aînés se trouvèrent enfin seuls, sans oreilles indiscrètes. Mais Maedhros fronçait les sourcils.

« Il y a quelque chose qui me chiffonne... »

« Oui, Idril n'est pas venue avec lui... »

« Non… Tu portes de la dentelle sous tes tuniques ? »

« Bien sûr que non ! » protesta Fingon avec véhémence.

Ils s'assirent pour terminer de boire leurs infusions, et discutèrent des dernières attaques venant d'Angband. À un moment, Maedhros reprit l'Elessar que Fingon avait posée sur la table. C'était une broche en argent sertie d'une émeraude représentant un aigle, une création de Fëanor, du temps des Deux Arbres.

« Elle possède des pouvoirs curatifs », dit Maedhros. « Tu en as plus besoin que moi. »

Il l'agrafa d'autorité sur la tunique de son cousin, mais péniblement, en s'aidant de sa prothèse.

« Nelyo... »

« Tu dois faire attention à toi Findekáno… Tu t'occupes des autres, mais tu ne fais jamais attention à toi. »

La broche accrochée, il posa sa main gauche sur la joue de Fingon. Les yeux bleus d'Astaldo se mirent à briller intensément sous ses épais sourcils noirs, ressortant sur sa peau pâle. Puis Maedhros laissa descendre le bout de ses doigts le long de la mâchoire si masculine.

« Je... » commença Maedhros.

Mais des voix provenant du couloir l'interrompirent dans sa phrase.

« Messire, vous auriez pu faire attention. »

« J'ai mal négocié mon virage. C'est Turgon aussi, il m'est rentré dedans ! »

« C'est honteux ! Vous ne devriez pas parler de votre souverain de cette manière. »

« Mais c'est Messire, ce n'est point moi. »

Fingon ouvrit la porte.

« Qu'est-il arrivé à Turgon ? »

Belin se prosterna en apercevant Fingon.

« Gentil Prince, Messire a roulé sur le pied de vostre frère. »

« Hé ! » protesta Ecthelion.

« Mais c'est la vérité », dit Maica.

« Je ne l'ai pas fait exprès, d'abord ! »

« Bon », dit Fingon. « Maica, où est Turgon ? »

« Des valets l'ont emmené se faire soigner. »

Maedhros eut une expression étrange, en avisant la femme-elfe que Fingon appelait par son prénom.

« Tu ne nous as pas présentés ? » dit-il soudain à son cousin.

« Oh... Voici Maica, la dame de la Source, que tu as sans doute vue au tournoi. Et Maica, voici Maedhros, mon cousin, souverain d'Himring. »

« Madame » dit-il en souriant, ses longs cils roux semblant s'allonger.

Il se pencha pour lui baiser la main. Fingon détourna la tête brusquement. Maica restait silencieuse, la bouche entrouverte.

« Il me semble vous avoir déjà vue il y a longtemps », reprit Maedhros.

Belin et Ecthelion, quant à eux, regardaient Maedhros comme si un héros d'épopée venait de sortir d'un livre pour venir exister dans le monde réel. Leurs yeux se posèrent sur ses cheveux, châtain foncé aux reflets cuivrés, sur ses yeux gris, pareils à ceux de son père disait-on, sur ses élégants vêtements de couleur rouge, couleur de sa maison, et sur sa main droite : une main de bois articulée.

« Le jeune Ecthelion de la Fontaine, chevalier de mon frère », présenta Fingon. « Et toujours l'accompagne dans ses aventures Belin le Brave, son écuyer humain. »

« Mes salutations » dit Maedhros. « J'ai vu un certain nombre d'humains à l'Est, mais aucun n'avait les cheveux blonds jusqu'à présent. »

Ecthelion n'osait plus parler. Lui et Belin détaillaient l'elfe roux comme s'ils essayaient de « boire » son image.

« Findekáno, je leur montre leur chambre », dit alors Maica pour rompre le silence. 

« Et moi je vais aller voir comment va mon frère », dit Fingon. « Nelyo, je suis désolé. Il faut que j'y aille. »

« Oh, bien sûr… »

Le fils aîné de Fëanor regardait la tante d'Ecthelion avec un air inquiet.

 

* * *

 

Le lendemain, il y eut un concours de tir à l'arc, durant lequel Aredhel se distingua, à la grande fierté de Fingon et Celegorm. Et le soir venu, Fingolfin fit donner un grand bal au château.

Meril Limwen, jeune aristocrate d'ascendance sindarine, et fille unique de Gildin, Seigneur de l'Épervier, s'était préparée longuement avant de s'y rendre. Après un bain parfumé au lait et aux pétales de roses, ses servantes avaient brossé et tressé ses long cheveux châtain foncé. Elle avait ensuite revêtu une robe de soie bleue ornée de dentelle fine, et s'était coiffée d'une grande épingle d'orfèvrerie ornée de plumes d'autruches. Enfin, pour faire ressortir ses grands yeux verts en formes d'amandes, elle avait enduit ses lèvres de mûre écrasée.

« Ilúvatar ! Comme vous êtes belle, ce soir », ne put s'empêcher de dire Orodreth, son meilleur ami, toujours affublé de ces étranges collants moulants et de cette terrible coiffure à frange.

« Vous avez mis vos habits de fête, vous aussi », répondit-elle.

Orodreth avait effectivement choisi ses poulaines les plus pointues, pensant que cela le rendrait plus attirant et compenserait son défaut de musculature. Il avait aussi demandé à son domestique de lisser sa frange avec un fer chaud et gonfler ses cheveux coupés au carré. Un parfum aux notes capiteuses était venu relever le tout.

« C'est une occasion spéciale », expliqua-t-il.

Le bal était donné dans toutes les grandes salles du rez-de-chaussée. Il y avait plusieurs orchestres, de musiciens Sindar et Noldor. À l'exception de la table du roi, située à l'extrémité du grand hall, devant le trône, on trouvait ici et là des comptoirs de boissons et nourriture. Un va-et-vient constant de serviteurs tournait en provenance des cuisines. On les reconnaissait à la sobriété de leurs vêtements, et au fait qu'il portait des plats et de grandes bouteilles de verre rondes.

« Messire, je n'ai jamais vu autant de belles femmes-fées », déclara Belin, qui ne savait plus où donner de la tête.

« Ah bon, vous trouvez ? »

L'humain s'était rasé de près, et Ecthelion avait tressé ses cheveux. Il portait fièrement son pendentif en forme d'arbre d'or par-dessus une tunique blanche toute neuve.

Meril vint dans le grand hall au bras de son père Gildin, un elfe de haute taille aux yeux couleur d'émeraude, dont les très longs cheveux châtain clair descendaient jusqu'à ses genoux, en grandes ondulations. Ecthelion ne put s'empêcher d'admirer de tels cheveux et de tels yeux. Gildin vint saluer Maica, puis il déposa sa jeune fille près d'un groupe de drageoirs ouverts, avant de s'éclipser. Meril prit une guimauve, puis tourna son regard vers la table du roi : s'y trouvait Fingolfin, sa fille Aredhel, et son fils Turgon, le pied droit enveloppé d'un énorme plâtre.

« Je me demande où est le Vaillant Prince... » pensa-t-elle.

Le chevalier en fauteuil roulant qui se trouvait à côté d'elle prit trois guimauves à la fois, à sa grande horreur.

« Ché trop chucré », dit-il.

« Essayez ce petit gâteau au miel, Messire », dit l'elfe blond de petite taille qui l'accompagnait.

Et il se mit à regarder Meril avec des yeux de merlan frit.

« Elle est bien belle », murmura-t-il à Orodreth.

« C'est Elle ! » chuchota ce dernier à Belin.

Il le prit à part.

« Elle ? »

« Meril Limwen ! La dame dont je vous vais parlé, et pour laquelle j'éprouve de tendres sentiments, sans espoir de retour... »

« Ah ! Je ne savais point. Mais j'espère qu'vous allez réussir », dit-il. « Même si le Prince Fingon est très fort et bien bel elfe. »

À la table royale, Turgon avait l'air plus blasé que jamais.

« Pourquoi te mets-tu toujours dans ce type de situation ? » s'interrogea Fingolfin.

« Mais ce n'est pas moi ! C'est quand même fou... »

« Peut-être que tu ne fais pas preuve de suffisamment d'autorité avec tes subordonnés. Tu dois leur montrer qui est le maître. »

« Attendez que les pièces-montées arrivent, vous allez comprendre. »

Fingolfin ne pouvait comprendre l'allusion... Il reprit :

« Et Egalmoth, es-tu parvenu à lui serrer la vis ? »

« Bien sûr. »

Fingolfin poussa un soupir. Les soupirs de Fingolfin étaient le son le plus désagréable sur terre, juste après celui du marteau de Morgoth.

« Turukáno… »

« Oui Père. »

« Je m'inquiète pour toi. »

À ces mots, il lui tendit une écrevisse.

« Quoi ? »

« Hé bien mange. »

Le roi de Gondolin avait l'horrible sentiment de retourner en enfance. Il se mit en devoir de manger son écrevisse.

« Ce qu'il faut avoir », reprit Fingolfin, « c'est une main de fer, dans un gant de velours. Et non l'inverse. »

L'écrevisse semblait de plus en plus écoeurante.

« J'ai appris cela de mon propre père. Quand j'étais enfant, à Tirion… Une fois, je suis tombé de cheval. J'avais plusieurs os cassés, la douleur était atroce. Mère est venue à mon chevet. Elle a fait appeler Finwë, mais il n'est pas venu. Sais-tu pourquoi ? »

« Non », répondit Turgon d'une voix éteinte.

« Il tenait une réunion importante au conseil. Et je l'ai admiré pour cela, quand ma mère me l'a dit. J'ai décidé que j'endurerai la douleur, et que je serai brave. Puis j'ai appris qu'il avait tout de même fait écourter le conseil, peu après. »

Fingolfin baissa les yeux. Il avait les mêmes longs cils noirs que Fingon.

« On lui avait apporté une missive envoyée par Fëanor. Il voulait lui montrer sa dernière création. Cela n'a pas plu aux membres du conseil. Et moi, par contraste, j'ai aussi compris ce que devait être un roi. Un souverain est l'esprit de la Nation, il doit être tout entier tourné vers l'intérêt général. Il doit être juste, et ferme. Sans complaisance avec lui-même, ou avec autrui. Il ne doit favoriser personne, même pas l'un de ses fils. »

« Vraiment ? C'est Nienna qui se moque de la charité », dit soudain Turgon.

« Pourquoi dis-tu cela ? », demanda Fingolfin.

« Tu te plains que Finwë préférait son fils aîné, mais tu fais exactement la même chose », répondit l'autre d'une voix amère.

« Au contraire... Je n'ai jamais fait cela. »

« Allons ! Depuis que je suis né, je ne cesse de t'entendre dire que Fingon est "spécial", qu'il est si spécial que tu veux "toujours pouvoir l'avoir sous les yeux" ! » s'énerva Turgon, en agitant son écrevisse.

« Mais c'est vrai », répondit Fingolfin, au grand désarroi de Turgon. « Ton frère est spécial. »

Il tourna son regard vers l'intéressé, alors occupé à discuter avec Maedhros, les nattes plus enrubannées que jamais.

Oui..., songea Fingolfin, très spécial.

 

* * *

 

« J'ai l'impression que tu es en colère contre moi », finit par dire Fingolfin.

« Il faut toujours que tu me critiques ! »

« Je ne te critique pas, je te donne des conseils… Lorsqu'on gouverne, on est entouré de flatteurs… Un roi a besoin d'un avis honnête… C'est inutile de faire semblant de ne pas voir l'araignée géante dans le champ de fleurs. »

Le visage de Turgon n'avait jamais été aussi décomposé. Mais tout décomposé qu'il était, il vit une des participantes au bal lui adresser un regard doux et brillant. Il fronça les sourcils.

« Et malgré le fait que ce chevalier de la Fontaine semble ne te porter absolument aucun respect... »

Turgon se resservit un verre de vin.

« Je dois reconnaître que lui et son écuyer ont fait un certain effet sur Ard-Galen. Celui qui t'a roulé sur les pieds, a sacrifié ses jambes au combat… Et quant à l'humain qu'il accompagne, il s'est distingué par une action d'éclat. Un grand courage, si tu veux mon avis, pour une vie de si courte durée. »

Turgon faillit avaler son vin de travers ; une autre danseuse lui jetait un regard suggestif. Le fils de Fingolfin se frotta les yeux.

« Quoi ? Ça ne te fait pas plaisir, ce que je te dis ? Tu ne vas pas pleurer, tout de même... »

« Non Père… Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas… Pourquoi toutes ces femmes me regardent en battant des cils ? »

« Hé bien, tu es roi… C'est ce que certains considèrent comme un bon parti », expliqua Fingolfin.

« Mais… Je suis marié à Elenwë... »

« Cela doit se savoir que tu es veuf. »

Turgon en resta interdit.

« C'est amusant », fit alors remarquer Fingolfin, sans avoir l'air amusé, « d'habitude, elles regardent ton frère… Un vrai aimant à jouvencelles. »

Les yeux de Turgon se fermèrent à moitié d'accablement. Le visage d'Elenwë apparut alors devant lui... Mais il fut surpris, car il était réellement devant lui.

« Majesté », dit l'un de ses serviteurs, qui avaient été soigneusement choisis et instruits par Penlodh, « Considérez ce portrait de votre défunte épouse, que nous avons fait peindre par un artiste local. »

« Oh, merci mon bon… Quelle bonne idée ! » s'exclama Turgon en prenant le portrait avec lui. « Il est vraiment ressemblant », dit-il à son père, en lui montrant.

Cette fois, Fingolfin avait vraiment l'air amusé, en regardant le digne serviteur.

* * *

Le bal battait son plein. Fingolfin avait quitté la table royale et s'approcha de son fils, alors occupé à déguster un verre de liqueur des Falas.

« Viens dans l'autre salle », dit le roi. « Il y a quelqu'un avec qui j'aimerais que tu danses. »

Fingon fronça les sourcils. Il savait ce que son père avait derrière la tête...

« Atar, j'ai déjà beaucoup dansé », répondit-il fermement.

« Allons », insista Fingolfin. « Je suis certain qu'elle va te plaire. »

« Je n'ai pas fini mon verre... », répondit Fingon. « Et je n'en ai pas envie, de toute façon. »

Le roi haussa les épaules.

« Je ne vais pas te forcer. Tu es le fils de ton père, après tout. »

Fingon sourit. D'un geste paternel, Fingolfin flatta de sa main la tête de ce fils qui lui ressemblait tant – n'étaient-ce les nattes.

« Oui, tu es le fils de ton père... », poursuivit le roi, souriant lui aussi. « Le fils à son papa... Qui vit toujours avec lui alors qu'il a plus de 500 ans... »

Son sourire se défit.

« Et qui n'est toujours pas marié ! », acheva-t-il sèchement.

L'air accablé, Fingon laissa son verre et se résolut à le suivre.

Dans l'autre salle, le Grand Roi des Noldor lui montra discrètement une grande femme rousse, une Sinda dont la peau pâle était couverte de taches de rousseur.

« Alors, comment la trouves-tu ? »

« Elle est ... très jolie. »

Pourquoi toutes les femmes que son père lui présentait étaient-elles rousses, ou châtain cuivré ?

« Je savais qu'elle te plairait ! » conclut Fingolfin, satisfait. « C'est tout à fait ton type. »

 

 

* * *

 

« Eru », soupira Meril. « Regardez avec qui Il danse ! Quelle jolie femme... »

« Elle n'est pas aussi jolie que vous », la rassura Orodreth.

« Elle est beaucoup plus grande, pourtant. Et elle au moins a des formes... Sans parler de sa chevelure. »

« Je ne la trouve pas si belle ! » s'exclama Orodreth. « Et puis, personne n'a des yeux comme les vôtres... »

« Vous êtes si gentil », dit Meril en lui prenant la main avec douceur. « J'ai tant de chance de vous avoir pour ami... »

 

Belin tapotait l'épaule d'Ecthelion, l'air complice. Ecthelion fronça les sourcils, ne semblant pas comprendre où il voulait en venir.

« Lune et Soleil ! » dit soudain la voix de Maica. « Vous venez pour danser ou pour manger ? »

« Moi je ne peux pas danser », répondit Ecthelion en montrant son fauteuil roulant.

« Je plaisantais… Je n'aime pas danser de toute façon. »

Ce fut à ce moment-là que l'orchestre sinda cessa sa gigue ; les musiciens noldor enchaînèrent avec une volte. Ecthelion, Belin, Maica, Orodreth, Meril… Tous regardaient Fingon, qui s'était avancé au centre du hall avec la jeune femme rousse que lui avait présentée Fingolfin.

Maedhros également. Il vida son verre, posa le gobelet de bronze sur l'une des tables, et s'avança vers le petit groupe, splendide dans ses vêtements de cour rouges. La main droite dissimulée dans son pourpoint, il tendit gracieusement la main gauche vers la tante d'Ecthelion. Et ce faisant, il tourna rapidement la tête vers Belin, et lui fit un clin d'oeil.

Ecthelion, qui connaissait les rumeurs le concernant lui et ses écuyers, entoura Belin de bras protecteurs.

« Madame », dit Maedhros à l'attention de Maica, baissant à demi ses longs cils, avec un sourire séducteur.

La femme-elfe ravala sa salive. Puis elle prit la main du Fëanorien.

« Je ne suis pas une bonne danseuse », dit-elle.

« Ce n'est pas grave. Moi oui. »

Et il l'était, en effet. Belin ne pensait pas qu'un homme de sa taille pouvait se mouvoir aussi gracieusement, sautiller avec tant d'aisance, et pourtant garder un maintien ferme, donner l'impression de totalement maîtriser sa partenaire de danse, dans les moments où il lui prenait la main ou la taille, la soulevait.

Le regard de Fingon s'était mis à luire étrangement en les voyant ensemble… Maedhros lui jeta un sourire, presque complice, ou narquois. Fingon baissa les yeux.

« Ma tante ne danse pas très bien », chuchota Ecthelion à Belin.

« Mais ça lui va, d'mettre des robes », répondit l'humain.

Maedhros regarda Fingon, par-dessus l'épaule de Maica, tandis qu'il faisait avec elle des pas symétriques. Fingon baissa les yeux à nouveau, prit le bras de sa partenaire, et la fit tourner avec lui lentement. Sans quitter son cousin des yeux, Maedhros fit alors de même : il prit Maica par le bras. Les paupières de Fingon clignèrent. Puis il releva la tête, et accrocha à nouveau le regard gris de Maedhros, qui brillait, les pupilles dilatées, tout le corps orienté vers lui. Les yeux de Fingon, sous ses sourcils décidés, se mirent à luire aussi.  

Au fond de la salle, à la table d'honneur, le grand roi des Noldor, qui observait la scène, avait le regard noir ; il murmura quelque chose à l'un de ses serviteurs.

Les deux couples tournoyaient maintenant au centre du hall, l'un autour de l'autre. Maedhros et Fingon se faisaient face, et comme leur compagne de danse était plus petite, c'était dans le visage de l'homme de l'autre couple que le regard de chacun se plongeait. Maedhros élevait la main gauche ; Fingon élevait la sienne. L'un s'inclinait, l'autre faisait de même. Maedhros souriait, Fingon souriait également, les yeux brillants.

Il avait l'air si heureux, et vivant, à ce moment-là, le vaillant prince ! Comme à Valinor jadis, sous les voûtes des vastes halles de Finwë…

Fingolfin se leva. Il parut hésiter, puis frappa dans ses mains. Les musiciens s'arrêtèrent, puis les danseurs. Fingon semblait avoir été réveillé brusquement.

« Il est temps d'admirer le numéro de nos jongleurs », déclara le Roi des Noldor, en arborant un air jovial.

Un serviteur se dirigea vers Fingon pour lui dire quelque chose à l'oreille, et il partit hors de la salle. Maedhros, le voyant s'éloigner, lui jetait des regards éperdus.

« Je crois que Maedhros a un faible pour ma tante », conclut Ecthelion de toute cette scène.

Cela le rassurait, il avait presque failli mal interpréter ce clin d'oeil envoyé à Belin.

* * *

Une demi-heure plus tard, le prince Fingon revint. Maedhros était parti. Apercevant Ecthelion, il se dirigea alors vers lui, et ce faisant, avisa la fille de Gildin, dont il avait déjà eu l'occasion d'admirer l'élégance par le passé.

« Des plumes d'autruches... », apprécia-t-il en examinant la coiffe de Meril. « C'est absolument ravissant. Vous êtes toujours vêtue de manière si charmante... »

La femme-elfe rougit.

Fingolfin, qui observait la scène de loin, avait retenu Turgon.

« Non, reste là. Tu lui parleras tout à l'heure... »

À présent, Fingon avait la tête baissée, les yeux fixés sur le décolleté de Meril.

« Eru a entendu mes prières ! », glapit le Roi des Noldor, en saisissant son fils cadet par le col. « Cela fait 400 ans que j'attends ce moment !!! »

Mais d'où il se trouvait, il ne pouvait entendre la voix de son aîné...

« Quelle merveilleuse dentelle », disait Fingon. « Vous devez me donner votre adresse, car je suis vert de jalousie ! »

 

 


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