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Chapitre 6 : Eithel Sirion
I
Était-il mort ? Il entendait toujours ces mots… « Feu cruel »... Un tissu couleur d'herbe. Tout ça n'avait été qu'un mauvais rêve.
« Vous êtes réveillé ? »
Belin ouvrit complètement les yeux. Il tourna la tête vers la voix qui prononçait ses mots. C'était Ecthelion. Il était assis sur un siège, une couverture sur les jambes. L'humain se rendit compte qu'il était alité, et reconnut autour de lui la tente des guérisseurs. Il avait aussi mal au cou. Il éleva la main droite pour le toucher, et comprit qu'il portait une collerette en plâtre.
« C'est au prince Fingon que vous devez la vie », dit Ecthelion. « Il vous a sauvé pendant la bataille ! »
La bataille… Tout lui revint brusquement à l'esprit. L'horreur… et la honte.
« Vous n'auriez pas dû faire ça ! Je ne voulais pas que vous y participiez, c'était bien trop dangereux… Regardez ce qui m'est arrivé ! »
« Oui, je regrette... » avoua Belin.
« Mais vous avez été très courageux… Vous m'avez sauvé… Et ma tante m'a dit que vous l'aviez aidée aussi… Vous êtes un héros ! »
La vue de l'écuyer se brouilla. Des larmes coulèrent sur ses joues.
« Non, je ne suis pas un héros... » dit-il.
Il entendit à nouveau les mots « feu cruel ». Ecthelion le regardait sans comprendre.
« Il y avait un balrog, messire ? A la bataille… »
« Non… En tout cas, on ne me l'a pas dit. »
« Ils parlaient de feu cruel… Ils en parlent ici. »
Il n'avait pas la force de se tourner.
« Non, Feu-Cruel ! Aegnor, un cousin de Turgon et Fingon… un des frères de Finrod ! C'est son nom, Feu-cruel, Aegnor. Il est venu avec son armée, nous gagnions déjà, mais il les a complètement écrabouillés ! Il paraît que c'était glorieux. Bref, nous avons repris les bastions. Vous allez bien ? »
« Oui... »
« Les médecins ont soigné votre plaie à la jambe. C'était juste une éraflure. Sinon vous avez pris un mauvais coup sur le cou, mais ça devrait passer... J'ai demandé à ce qu'on me transporte à côté de vous pour que je puisse vous surveiller. Mais je ne vais pas pouvoir rester longtemps. »
Belin s'aperçut que l'elfe était couvert de bandages, sous la chemise propre qu'on lui avait enfilé.
« Je suis content que vous alliez mieux Messire... »
Après son départ, l'humain se rendormit.
Le lendemain, il fut surpris de voir Fingon lui rendre visite. Il eut d'abord un réflexe de recul en le voyant. Mais l'elfe ne portait pas d'armure, juste des vêtements civils du plus bel effet. Ses yeux étaient doux. Belin, rassuré, observa qu'il ne portait aucun bijou comme à son habitude. Il se déplaçait difficilement et était pâle.
« Belin le Brave », dit Fingon.
L'elfe qui l'accompagnait lui tendit une boîte ; Fingon en sortit une broche, en argent. Elle représentait un bouclier.
« Je vous remets cette broche pour l'acte héroïque que vous avez accompli en sauvant votre maître, vous décernant le titre de Protecteur des elfes Noldor et Sindar. »
« Je ne la mérite point », répondit Belin.
« Bien sûr que si. »
Il agrafa la belle broche sur son gilet de laine. Belin regarda avec étonnement la décoration de guerre. Eudes et Robert, ses frères, ne le croiraient pas, quand ils la verraient !
Le seigneur de la Fontaine en reçut une également, en raison de ses graves blessures. Deux semaines passèrent. Belin n'avait plus de collerette et pouvait circuler à sa guise. Ecthelion se remettait petit à petit, on l'installa sur un fauteuil en bois munis de roues (une invention de Curufin, disait-on), et il put revenir dans sa tente, avec l'aide de Belin. Quant aux renforts envoyés de l'Est par les Fëanoriens, ils étaient venus s'ajouter aux forces en présence.
Le prince Fingon était occupé à étudier un plan d'agrandissement du camp quand son intendant se permit de le rejoindre, un imposant paquet dans les bras.
« Mon prince, j'espère que je ne vous dérange pas. Les soldats d'Himring viennent de nous transmettre un présent du seigneur Maedhros, vous étant destiné. »
« Encore ? Il doit avoir quelque chose à se faire pardonner », plaisanta Fingon.
Il était néanmoins impatient de le découvrir, ce présent... De quoi s'agissait-il cette fois ? S'il en jugeait par la taille, peut-être des étoffes venues de l'Est, achetées aux Nains.
« Donnez-moi ça, je vais faire une pause. »
Et tout guilleret, le fils de Fingolfin se saisit du paquet et l'ouvrit. Malheureusement, il ne s'agissait pas de draperies, ou autre curiosité exotique. C'était une patte d'ours géante.
« Par Eru… Qu'est-ce que c'est ? »
« Si j'en crois la missive, monseigneur, c'est la patte d'un ours de Morgoth que Maedhros tua lors d'une chasse. La bête concernée était gigantesque. La lettre indique avec précision le poids et le gabarit de l'animal. »
« Mais... qu'est-ce que je vais faire d'une patte d'ours ? »
« Je ne sais pas monseigneur. En décoration à Dor-Lómin, peut-être... »
« Malgré toute l'affection que je porte à mon cousin, il est hors de question que j'expose cette chose sur un mur, même en Dor-Lómin. »
« Vous connaissez la coutume. Vous ne pouvez vous séparer convenablement d'un présent qu'en le cédant à une autre personne. »
« Mais aucun elfe ne voudrait jamais accepter un tel cadeau ! Il faudrait être un fieffé...»
C'est alors que Belin, qui passait par là, leur fit la révérence, en ôtant son chapeau de pluie. Fingon et son intendant se regardèrent.
« Belin le Brave ! », appela Fingon.
Mais l'humain ne répondit pas.
« Ecuyer d'Ecthelion ! », s'exclama alors Fingon.
« Votre altesse », répondit Belin, s'avançant.
« Je… » Puis le prince fronça les sourcils. « Vous aviez mis votre capuche ? »
« Oui, parce qu'les oreilles des elfes sont basses messire. C'est qu'il va pleuvoir. »
Le prince et son intendant se regardèrent à nouveau.
« Belin Leblond », dit alors Fingon en prenant un air digne, « j'aimerais vous offrir un cadeau personnel. »
Il lui tendit la patte d'ours.
« C'est pour moi ? », s'étonna Belin.
« Oui. »
L'écuyer prit la patte, avec hésitation. Puis il se mit à la regarder avec ravissement.
« Oh merci, gentil seigneur ! »
Il s'agenouilla et se mit à lui baiser les mains avec ferveur.
Quelques temps plus tard, Ecthelion, toujours couché, voyait Belin entrer dans leur tente, une énorme patte d'ours dans les bras.
« Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? »
« C'est t'une patte d'ours messire, qu'le prince Fingon m'avons t'offerte. »
« Ah bon ? J'croyais que vous ne l'aimiez pas ? »
« J'avons changé d'avis sur lui. »
« Mais qu'est-ce que vous allez en faire ? »
« Je ne sais point. J'pourrais mettre mon oreiller d'ssus. »
« Hé ben félicitations… Vous allez passer de bonnes nuits avec ça sous votre tête. »
A deux-cent miles de là, dans sa forteresse d'Himring, Maedhros était plongé dans la contemplation de deux énormes défenses de sanglier.
« Je crois que je devrais en envoyer une à Fingon », dit-il d'un coup à Maglor.
« Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée... »
« Bon alors sinon, le bracelet avec les diamants. C'est bientôt son anniversaire. »
« Oh alors non. Va pour la grosse défense. »
« Tu es sûr que ça va lui plaire ? »
II
Quelques jours plus tard, à cause de sa blessure à l'abdomen, Fingon dut rentrer à Barad-Eithel, la capitale des royaumes noldorins du Beleriand, et il fut accompagné des autres soldats fingolfiniens ne pouvant plus combattre. Maica vint aussi, car elle avait passé de nombreux mois sur la plaine, et elle souhaitait passer du temps en compagnie de son neveu avant qu'il ne reparte pour Gondolin.
Ecthelion, comme d'autres éclopés, continuait à se mouvoir à l'aide de son fauteuil en bois équipé de roues. Les guérisseurs lui avaient prédit qu'il retrouverait l'usage de ses jambes, mais lui n'en paraissait pas convaincu.
« Je ne suis plus bon à rien » gémissait-il. « Il vaut mieux m'abattre. »
« Qu'est-ce que vous n'dites pas, Messire... »
Dans les maisons de guérison de la cité, nombreux aimaient à parler à l'humain, et intervenir dans ses discussions.
« Il ne devrait pas se plaindre, votre maître, il a encore ses deux jambes… » dit l'un. « Moi je ressemble à un perchoir. Je ne peux presque plus rien faire seul. Mes journées sont une longue suite d'humiliations. »
D'autres soldats, défigurés par des estafilades trop profondes, des blessures au cuir chevelu, ou éborgnés par une flèche, avaient perdu leur beauté elfique.
« Ma douce ne voudra plus de moi… » se lamenta un ancien barde. « Lorsque je vois mon reflet dans le métal ou le verre, je regrette de ne pas être mort. »
Il y avait beaucoup de suicides, disait-on également. Peu d'elfes mutilés s'accrochaient à la vie ; ceux qui le faisaient étaient mus par le désir de vengeance.
« Tout mon entraînement des jambes, je l'ai perdu », déplorait Ecthelion. « Mon saut, et toutes mes techniques... »
« On s'entraînera à nouveau messire. »
« Non, je suis sûr qu'ils me mentent. Je ne marcherai plus jamais. »
Belin, au contraire, arborait un optimisme à tout épreuve, depuis qu'ils avaient quitté le camp.
« Vous êtes trop sinistre. Nous sommes loin d'Angband, maintenant. Et c'est le printemps. Quand nous étions arrivés ici, la première fois, nous n'avions pas eu le temps de visiter la ville. Nous pourrions le faire, maintenant. »
« Et comment ? Je ne peux pas me déplacer facilement... »
« Je vous roulerai, Messire. »
Et il le roula, dans la cité en fleurs bâtie à flanc de montagnes. Elle était plus ancienne que Gondolin, mais aussi moins belle, moins raffinée. Les tours étaient moins hautes, les pierres moins blanches. Beaucoup de constructions utilisaient le granit. Le verre était rare. Mais le grand fleuve Sirion, encore étroit, coulait en contrebas de ses falaises, et les étendards du Grand Roi et de ses barons, claquaient au vent, comme un défi au Thangorodrim, au-delà d'Ard-Galen, sur laquelle galopaient les chevaux.
Au centre de la ville, ils parvinrent à son coeur : Eithel Sirion, la Source du Sirion, qui était l'autre nom de la cité de Barad Eithel. Là jaillissait l'eau du Sirion, pure comme un torrent de montagne, dans une fontaine d'argent constellée de saphirs. Elle était entourée de deux statues : celle d'un homme et celle d'une femme, en armures.
« Ada ! Mamil ! », s'exclama Ecthelion, les reconnaissant.
« Pro-tec-teurs de la cité et des elfes Nol-dor et Sin-dar », lut Belin. « Les Sei-gneurs de la Source d'Argent, Korma et Fanalossë, tom-bés de-vant le Dra-gon. »
L'eau était amenée jusqu'ici par un rare système d'ingénierie, avant de retomber dans le passage souterrain, et les grandes cascades.
Ecthelion éleva le bras, il prit la main de pierre de la statue de sa mère avec la sienne.
« Il est interdit de toucher ces statues », dit alors un sergent de quartier – on les reconnaissait à leur baguette dans la main et leur chapeau rond.
« Ce sont mes parents... », répondit Ecthelion, les yeux brillants.
« Mais bien sûr... »
« Allons-nous en, Messire », dit Belin, lui posant une main sur l'épaule.
Il le roula hors de la place centrale. Les marchés et échoppes étaient animés ; le roi préparait une grande fête, disait-on. Nombre de preux seigneurs en armure et beaux blasons circulaient dans la ville. Le palais de Fingolfin était construit tout au bord des murailles, tout fait de blanches tours couronnées de toits bleus pointus, sur lesquels flottaient de longs drapeaux. Belin guida Ecthelion jusqu'au temple d'Ilúvatar : une cathédrale ressemblant à la plus ancienne de Gondolin, imitation hâtive des temples de Tirion.
« Elle est moins belle qu'nos églises d'Gondolin, Messire, mais tout d'même agréable à l'oeil. »
Ils entrèrent. Des myriades de bougies étaient disposées à l'intérieur de la nef et de l'abside, en constellations, donnant l'impression de se déplacer à l'intérieur du ciel.
« J'ai l'souffle coupé », apprécia Belin.
« C'est très beau », opina Ecthelion.
Leurs voix résonnaient dans la pénombre fraîche.
« Et là, qu'est-ce que c'est Messire ? »
« C'est un reliquaire. »
Belin s'avança devant le coffre doré incrusté de pierres précieuses. Il déchiffra à voix haute l'inscription en sindarin qui la légendait : « Ici re-pose une bêche… non une mèche des che-veux de Fin-wë. »
« C'est un lieu saint, ici ! » fit soudain une voix.
C'était un autre sergent qui venait d'intervenir.
« Circulez ! »
Ils sortirent de l'église d'Eithel Sirion dont le garde les avait chassés. « C'est quand même fou ! On ne peut plus rien visiter tranquille ! »
Ecthelion continua à ronchonner jusqu'à ce que Belin l'arrête dans un petit jardin. Là l'humain s'assit sur un banc de pierre, sortit de sa veste de laine un saucisson, en coupa un bout avec son opinel, qu'il donna à son maître.
« Merci », dit Ecthelion.
Mais il avait à peine terminé sa bouchée qu'une voix surgie de nulle part brisa le maigre contentement qui s'était installé en lui.
« I-LU-VA-TAR ! »
« Oh non », réalisa Ecthelion.
Mais il était trop tard, Orodreth les avait clairement repérés. Le fils d'Angrod et d'Eldalotë courut vers eux. « Mes amis ! Cela me fait tellement plaisir de vous revoir ! »
« On est amis ? », chuchota Ecthelion à Belin.
Le jeune aristocrate se posta entre le banc et le fauteuil roulant. Ecthelion remarqua qu'il avait grandi en taille, mais demeurait frêle. Ses cheveux blonds étaient toujours coupés au carré, avec une frange, à la mode de certains royaumes du Sud. Et il avait beau porter la livrée bleue de Fingolfin, ses jambes étaient couvertes de ces étranges collants de couleur que revêtaient les elfes de Doriath.
« Vous n'êtes pas retourné en Dorthonion ? », s'enquit Ecthelion.
« Non, je ne me souvenais plus du chemin... »
« Bravo ! »
« C'était une plaisanterie. Je suis ici en stage pour trente ans, je vous le rappelle, pour mon Grand Tour. »
Ecthelion avait manifestement oublié. Orodreth reprit : « Vous n'avez pas répondu à ma dernière lettre. »
« Sur votre dulcinée ? Non merci. »
« Hélas, elle n'a toujours de pensées et de sentiments que pour Fingon le Vaillant. »
« Normal. »
« C't'un bien bon prince », ajouta Belin.
« Je sais, je ne suis pas à la hauteur », gémit Orodreth.
« Vous êtes le petit-fils de Finarfin. Je ne comprends vraiment pas pourquoi vous vous rendez malade pour cette fille. Elle n'a rien d'exceptionnel. »
« Vous plaisantez ? », s'exclama l'elfe blond. « Son visage... »
« Donc vous ne l'aimez que pour son physique ? », coupa Ecthelion.
« Sa beauté ne durera point », dit Belin, citant un proverbe humain.
« Mais si justement, elle sera toujours comme elle est », répondit Orodreth.
« J'avais oublié... », gémit le jeune homme.
« Comme c'est superficiel ! », pesta Ecthelion. « Je ne vous comprends vraiment pas, tous, à courir après des femmes écervelées, juste parce qu'elles ont des cheveux brillants et deux poches de graisse sur la poitrine. »
« Vous dites cela parce que vous n'êtes jamais tombé amoureux. »
« Je ne pourrais jamais tomber amoureux d'une femme de ce genre. »
« Et comment devrait être la femme idéale pour vous ? »
« Elle doit savoir se battre, et ne pas passer son temps à broder ou à s'enduire de pommade à la rose ! Elle ne doit pas cancaner, ne doit pas avoir une trop grosse poitrine, être musclée et... Autant dire qu'elle n'existe pas ! »
Orodreth eut un petit rire médisant.
« Dans ce cas, vous n'avez qu'à épouser votre écuyer. »
Les sourcils d'Ecthelion se haussèrent. Sa réponse fut inattendue.
« Hé bien figurez-vous que je préférerais encore l'épouser lui qu'une de ces mijaurées que vous appréciez tant ! »
Belin redressa la tête brusquement.
« C'est vrai messire ? Vous voudriez bien m'prendr' pour époux ? »
« Ne sortez pas les mots de leur contexte. »
« Et si on était mariés messire, on s'donnerait des basers ? »
« Mais j'en sais rien moi ! De toute façon on n'est pas mariés ! »
« On aurait des rapports conjugaux ? »
« Hein ? Mais d'où vous sortez ce mot ? », s'étonna Ecthelion en rougissant.
« J'ai entendu un elfe dire ça une fois messire, que sa femme ne voulait plus avoir de rapports conjugaux avec lui. »
« Oh. Mais pour revenir à notre sujet, je vous rappelle que ce n'était qu'une boutade. Et puis, même si on était mariés, je tiens à dire que je ne veux pas faire la fille ! Je n'aime pas les filles. »
« Comme vous voulez messire. Ça n'm'dérange point de faire la fille. »
Orodreth se prit la tête dans les mains.
à suivre