Maudits silmarils, livre 2 by Dilly

| | |

Le sbire


D'un bon pas, Ecthelion se dirigea vers la tente de Maica, la dame de la Source d'Eithel Sirion. Il ne prêta guère attention à la tête d'orque empaillée plantée sur un piquet à l'entrée de celle-ci.

« Ma tante ! »

« Quoi ? »

La femme-elfe demeurait de profil, assise sur un siège pliable, devant un écritoire de voyage ; un bandeau de métal ceignait ses cheveux dont la couleur s'apparentait aussi à du métal. Un instant, Ecthelion la dévisagea, recherchant dans son visage les traits de son père.

« Tu pourrais dire bonjour... »

« Je veux savoir », dit brutalement Ecthelion. « Je veux savoir pourquoi tu as refusé que je reste avec toi, quand mes parents sont morts ! »

Maica posa sa plume. Elle se contenta de regarder le jeune elfe fixement. Manifestement, il n'avait pas fini de s'exprimer.

« Tu voulais te débarrasser de moi, pour t'approprier notre maison ! C'est pour cela que tu m'as envoyé à Gondolin… Avoue-le ! »

La femme se leva.

« Ecthelion, quand tes parents sont morts… Quand mon frère est mort… J'étais... Ils ne te l'ont pas dit ? »

« Dit quoi ? »

« En fait... »

Mais elle ne termina pas sa phrase. Le son d'un cor puissant venait de retentir. Maica poussa Ecthelion et sortit de la tente.

Des soldats s'agitaient en tout sens. Des cris, surnageaient une information : les quatre avant-postes aux portes d’Angband avaient été détruits. Ici et là, on entendit bientôt un appel à prendre les armes et se diriger vers les brigadiers. Le seigneur des Hauts Pins s’arrêta devant la tente, et dit à sa collègue : « Le prince Fingon a ordonné une contre-offensive, et le plus rapidement possible. »

« Alors le siège est rompu… » réalisa Ecthelion.

« Pour la deuxième fois », dit Maica. « Prépare mon cheval », ajouta-t-elle à l'adresse de son écuyer.

« Très bien mon commandant », répondit l'écuyer.

« Je veux venir », dit Ecthelion.

« Ce n'est pas une aventure pour un amateur », répliqua sa tante.

« Je ne suis pas un amateur ! » protesta Ecthelion.

« Alors fais préparer tes armes et ton cheval. »

Ecthelion courut à sa tente.

« Belin ! Aidez-moi à mettre mon armure. Et ensuite préparez mon cheval, avec les nouvelles protections. »

« Messire… Est-ce qu'il faut que j'prépare mon ch'val aussi ? »

« Non. Vous vous restez ici. »

« Mais… Messire, il faut que j'vous accompagne. Vous ne pouvez point y aller sans votre escuyer. »

« Je n'aurai pas besoin de toi. Et je ne serai pas seul, de toute façon. Il y a trois régiments. Et Findekáno aussi. »

Belin posa sa main sur son bras.

« Non, c'est dangereux Messire, je veux y aller avec vous. »

« Cela ne sert à rien d'argumenter », répliqua Ecthelion, les yeux flamboyants. « Je vous ai donné un ordre ! »

L'humain ouvrit la bouche de stupeur. Il finit par se tourner et alla chercher l'armure en silence. Quand il revint, le visage éteint, il accrocha chaque partie de l'armure de plates par-dessus le pourpoint en cuir, les protections des épaules, puis les jambières, le heaume. Il alla préparer le cheval.

Une heure après le son du cor, les elfes étaient prêts à partir. Fingon se tenait à l'avant-garde, reconnaissable à son heaume blanc et son étendard étoilé. Ses troupes se rassemblèrent hors du camp, puis s'avancèrent lentement sur plusieurs kilomètres. Là, Fingon scinda le groupe en plusieurs parties. Il prit le commandement de son régiment, et envoya le Seigneur des Hauts Pins à l'ouest, et celui du Grand Pont à l'est. Le Prince entraîna sa troupe à sa suite, cavalerie à l'avant, au galop, en direction du premier avant-poste. Ecthelion le vit sauter par-dessus une rangée de piques, et Maica à sa suite. Il y avait de la fumée au loin : les orques avaient fait brûler tous les fortins de bois.
 

 


 

Belin regardait la tête d'orque empaillée avec effroi. Non pas qu'il n'eût jamais vu de tête d'orque séparée de son corps, mais en « conserver » une (il se demanda comment : par salaison ?), et s'en servir comme ornement de bienvenue… Curieux, il tendit l'index, dans le but de la toucher du bout du doigt.

« Ne fais pas ça », lui dit un elfe qui passait par là, l'un des rares à être demeuré au camp. « C'est maudit », ajouta-t-il. « Il ne faut pas toucher. »

« J'aurais aimé partir au combat, moi aussi », dit Belin, amer.

« Tu devrais plutôt remercier le ciel de ne pas y avoir été envoyé. Ce n'est pas pour les bleus. »

« Messire est très fort, et très vaillant. »

« Qui ça ? »

« Mon maître, le seigneur d'la Fontaine. »

« La Source, tu veux dire ? »

« Non, la Fontaine... A Gondolin. »

« C'est quoi, ça ? »

« Le royaume du bon roy Turgon. »

« Ah… Turgon ! »

L'elfe posa la marmite qu'il portait et y versa un seau d'eau.

« Et il y a la guerre, chez vous ? »

« Non », répondit Belin, « c't'un royaume caché, qu'personne peut trouver. »

« Hé bien, vous en avez de la chance ! Et ton seigneur Ecthelion, cela fait longtemps qu'il est ici ? »

« Non, cela fait depuis un mois qu'nous sommes là. »

« Combien de batailles, avant cela ? »

« Aucune j'crois bien, mais il a beaucoup d'expérience. On a fait des aventures tous les deux. Il a tué des orcs, des trolls, des liches, des goules, et aussi un peu d'sangliers. »

L'elfe à la marmite rit jaune.

« Cela n'a rien à voir. Le combat rapproché lors de quelques escarmouches et la mêlée d'une bataille… De batailles qui durent parfois des jours, des semaines… Ce sont des choses complètement différentes. J'ai fait Dagor Aglareb. Tu ne peux pas t'imaginer l'horreur que c'était. Il y a des elfes qui deviennent fous et qui ne peuvent plus combattre. Et d'autres qui deviennent fous et continuent à combattre. »

Le regard de Belin se tourna involontairement vers la tête d'orque, qui semblait le regarder.

« Moi je préfère cuisiner maintenant », conclut l'elfe à la marmite.

 


 

Ces deux dernières années, la princesse Idril avait rarement quitté le Chat errant qu'elle avait recueilli, et qui aimait si étrangement porter des vêtements. Elle se rendait compte qu'elle aimait tenir quelque chose de poilu dans ses bras ; cela la détendait.

« Papa est de meilleure humeur, en ce moment », dit-elle un jour, assise au sommet de son grand lit à baldaquin.

« Miaouh », répondit le Chat, visage félin poupon et candide au milieu de sa fraise de dentelle.

« Je crois que c'est parce qu'Ecthelion, le Chevalier de la Fontaine, est parti à l'étranger, avec son écuyer humain. Il paraît qu'il participe au Siège d'Angband, avec mon oncle Findekáno. »

L'animal en tressauta d'un coup ; il écarta ses pattes griffues, les yeux révulsés.

« Ah non ! » s'exclama-t-il alors, les oreilles en arrière. « Pas Angband ! Il ne faut pas qu'ils aillent là-bas ! »

La femme-elfe demeura interdite quelques instants.

« Tu as parlé ? » finit-elle par dire. Puis elle se ravisa : « Hum… non, je deviens définitivement folle. »

Par prudence, le Chat se tut. Mais il n'en pensait pas moins. Il fallait que Belin, l’Elu, revienne ici, à Gondolin ! Pour accomplir son destin. Angband était trop dangereux. Et bien pire que cela… Angband était… Le lieu le plus terrible qui existe sur terre.

 

............................

40 ans plus tôt.

 

Nombreuses étaient les salles et les tunnels, les halls et les arènes, sous les trois monts du Thangorodrim ; incalculables les pièces, par centaines les étages ! La grande salle des Chats-Mages étaient l'une de celles-ci, dans le Dédale Noir de Gorthaur.

Touille ! Remue ! Et tourne encore !

Chantaient les chats sorciers, debout, vêtus de grandes houppelandes à collerette, s'affairant autour de gigantesques marmites remplies de mixtures à couleur changeante.

Touille ! Remue ! Et tourne encore !

Car, tel est l'ordre de Gorthaur !

Mairon il fut, à Valinor !

Touille ! Remue ! Et tourne encore !

Le chat tigré, monté sur une petite échelle, se pencha au-dessus de sa potion. D'un vert fluorescent, elle se mit à émettre des petites bulles.

Touille ! Remue ! Et tourne encore !

Il est le Loup, il est le Chat,

Il est l'effroi et le trépas,

Tevildo aux yeux d'or,

Mairon il fut, à Valinor !

Un petit « M » en lettre elfique était accroché à la cape du chat tigré – était-ce l'initiale de son prénom, celle de Mairon, ou une autre ?

Touille ! Remue ! Et tourne encore !

Car nous sommes ses servants

Ses ombres, ses humbles suivants.

Ceux de Mairon et de Melkor !

« Ça ne tourne pas bien, cette potion… J'ai dû faire une erreur dans le dosage », s'alarma le chat.

« MIAULË ! » tonna soudain une voix.

C'était une belle voix. Une voix transparente, pure, onctueuse même. Une voix qui inspirait la confiance, qui exprimait la compassion, qui suscitait… la gratitude.

« Oui… Oui Maître ! »

Le chat descendit de son échelle et trottina jusqu'à la silhouette, tout de blanc vêtue, qui se tenait près d'un écritoire, sur lequel était posé un grimoire antique. Le félin ne lui arrivait qu'à la hauteur du genou, s'il y en avait seulement un, couvert de damas en dégradé de blanc. Cette haute silhouette ressemblait à un elfe, un elfe aux cheveux argentés et aux yeux jaunes.

« Je vous écoute, votre Bienveillance ! », glapit le chat en se prosternant.

L'elfe tourna vers lui un regard… étonné.

« Tes performances sont en baisse, ces derniers temps. Que dois-je comprendre ? »

Les oreilles du chat se tournèrent vers l'arrière.

« Je ne sais pas, votre Bonté, il faut que je réfléchisse… » Il baissa la tête. « Il faut que je réfléchisse sur moi-même ! »

« C'est bien », approuva l'elfe aux yeux d'or en souriant. « Qu'as-tu à apporter à notre projet ? Le mien et celui du seigneur Melkor ? Je ne te vois pas être force de proposition. » Il conclut : « Au fond, qu'apportes-tu à notre équipe ? »

Le chat joignit ses petites pattes gantées.

« Hé bien… Justement… J'ai conscience de mes faiblesses Grand Maître mais j'ai une... une... proposition, votre Miséricorde. »

« Laquelle ? »

« Je voudrais reprendre mon apprentissage de la magie noire, grâce à vôtre enseignement. J'aimerais faire autre chose que fabriquer des potions toute la journée. Utiliser des sorts à nouveau... »

« Est-ce vraiment une bonne idée, Miaulë ? Tu ne sais pas te restreindre. La dernière fois, quand je t'ai demandé de nettoyer les sols du quatrième hall, ça a mal fini ! Tout était inondé ! »

« Oh cette fois je serai un bon apprenti, votre Bonté Suprême. Je ne jetterai plus de sorts aux balais, je vous le jure ! »

« Il faut que j'y réfléchisse. »

L'elfe tendit une main, impeccablement manucurée, et la posa sur la petite tête du chat, qu'il flatta ; ses oreilles se couchèrent, ses yeux s'assombrirent.

« N'oublie pas… Qui t'a sorti du ruisseau… Et de la gouttière. Sans moi, tu serais encore à manger des rats dans le Forochel. »

Il s'en alla, répondant négligemment à un capitaine orque lui demandant ce qu'il devait faire des derniers prisonniers elfes, qu'il devait les envoyer au « laboratoire », comme d'habitude.

Le chat attendit que son maître soit parti pour éteindre sa potion, enfin prête. Il la transvasa dans des flacons, qu'il expédia au service dédié. Puis, contournant les autres chats-mages, il rejoignit la plateforme des gamelles. Ce jour-là, elles étaient remplies de poisson. Les yeux de Miaulë se mirent à luire. Il regarda encore une fois autour de lui. Alors, il ramassa le contenu d'une gamelle avec ses pattes, et le cacha dans l'intérieur de sa houppelande.
 

Tout le jour, et toute la nuit,

Pour le Maître de la Nuit

Nous préparons des potions,

Des liqueurs, des poisons !

Veillant toujours à ne pas être vu, Miaulë traversa plusieurs pièces servant de réserves. Il descendit un escalier en colimaçon ; il se trouvait maintenant dans un autre dépôt, consacré à l'alcool des orques. Après avoir bu une potion de force, il poussa un tonneau ; celui-ci dissimulait une niche de pierre… Et une boîte.
 

Touille ! Remue ! Et tourne encore !

Dans l'Ombre qui jamais ne dort
 

Dans la boîte, il y avait quelque chose. Miaulë se pencha, attendri.
 

Touille ! Remue ! Et tourne encore !

Mais prends garde, prends bien garde
 

La boîte était remplie : de tissu, de fourrure... D'une boule de fourrure, où se distinguait deux petits yeux en amande.

« Mon frère ! » s'exclama Miaulë.

Il donna quelques coups de langue sur la tête du chaton, qui couina de contentement.

Cris de souffrance, cris de douleur,

De ceux qui jamais ne meurent !

Elfes esclaves, damnés, chair frite,

Pleurs sans fin, et vies maudites !

Le Chat Botté tendit alors la pâtée de poisson qu'il avait cachée à son petit frère, et le regarda manger avec ravissement.

Touille ! Remue ! Et tourne encore !

Mais prends garde, prends bien garde

 


 

Deux semaines plus tard, les chats-mages s'activaient toujours autour de leur chaudron, chantant. L'un d'entre eux, celui qui portait des gants blancs, courut jusqu'à Miaulë et lui tendit un morceau de parchemin.

« Voici la recette, pour la nouvelle potion que tu dois fabriquer. »

« A quoi sert-elle ? » s'enquit le Chat en parcourant des yeux le nom des ingrédients.

« C'est la nouvelle potion de grande bienfaisance. »

« C'est-à-dire ? »

« Nombre d'elfes mettent un terme à leur contrat sans préavis. Par exemple en se jetant du haut d'une corniche, ou en se laissant mourir de faim. Cette bienfaisante potion les en empêche. »

Miaulë fronça les sourcils.

« Mais n'est-ce pas un peu… cruel ? »

« Cruel  ?! » s'exclama le chat aux gants blancs, pointant du doigt la lettre M cousue sur sa cape. « Tu oublies qui nous a sortis du ruisseau et de la gouttière. Sans le Maître, nous serions encore à nous nourrir de rats dans le Forochel ! »

« D'accord, d'accord », répondit Miaulë en reprenant son travail.

Un orque un peu moins laid que les autres, quelques jours plus tard, vint le voir à son tour : « Vous êtes convoqué par le Patron, pour votre entretien annuel. Il vous attend dans son bureau. »

« Je ne comprends pas... Je sers Mairon depuis plusieurs années, et je n'ai jamais eu d'entretien annuel. »

« Ça, ça n'est pas mon problème. »

Miaulë eut un mauvais pressentiment. Mais il se mit en route, car il n'avait pas le choix. Il lui fallut d'abord sortir de l'antre des Chats-Sorciers, passer la guilde des Loup-Garous. Au carrefour des tunnels, il s'arrêta, hésitant. L'un des écriteaux, pointant à droite indiquait cette direction : Coordination des ressources elfiques. L'autre, celui qui désignait le tunnel de gauche, annonçait : Bureau de la bienveillance. « Je ne sais plus c'est lequel… Non, je crois que c'est vers la gauche... » Il descendit le tunnel de gauche en trottinant, puis arriva devant une porte gigantesque, que surmontait l'inscription attendue : Bureau de la bienveillance.

Les portes s'ouvrirent en grand : la salle était vaste, le plafond haut, soutenu par des colonnes ornées de symboles inconnus. Des rigoles de lave s'écoulaient des murs, pour aboutir dans de grandes cuves. Miaulë entra, les oreilles baissées, l'air inquiet. Les portes se refermèrent derrière lui.

« Enfin, te voici », fit une voix grave et suave.

Tout au fond de la salle souterraine, un grand siège de pierre avait été sculpté... et sur ce siège était étendu un énorme chat noir, aux yeux rouges et dorés.

Tevildo, le chat de Melkor.

« Sei-Seigneur ! » bégaya le Chat en s'inclinant.

« Tu vois… Je n'oublie pas. Je n'oublie pas que nous sommes une famille. Mais toi, tu sembles l'avoir oublié. »

« Non votre Admirabilité, je ne l'oublie pas ! »

« Oh que si… Mais peut-être que si je prends… cette autre forme... »

La fourrure noire du félin gigantesque se déforma, son museau s'allongea ; ses oreilles grandirent, son bassin bascula vers l'arrière, ses pattes ployèrent vers l'avant.

Le félin était devenu un loup géant, qui descendit de son trône et s'approcha lentement du chat-sorcier, minuscule et dérisoire dans sa houppelande à collerette... Et il plongea ses yeux jaunes dans les siens – il y avait dans ce regard une implacabilité et une violence bestiale, la négation de toute vie qui n'était pas soi.

Miaulë se mit à trembler de tout son être.

« Pitié, pitié, seigneur Sauron... »

« Bien. »

La voix était devenue douce. Le Chat releva la tête : le loup géant avait disparu. Il ne restait plus que l'elfe beau aux longs cheveux blancs.

Miaulë tomba à genoux.

« Je m'excuse… Ce que j'ai dit sur la potion... »

« Non, ce n'est pas cela. Je t'avais demandé d'être disruptif, mais ne l'as-tu pas trop été ? »

« Je… Je ne comprends pas. »

Mairon alla chercher quelque chose derrière sa forge personnelle : c'était une petite boîte. Le Chat non encore Botté sentit son estomac se serrer. La boîte était remplie de chiffons et de fourrure. Le Maïa y plongea sa longue main parfaite, et en sortit… une boule de poils. Un chaton blanc légèrement tigré, aux yeux bleus en amande.

« Mon frère ! » s'exclama Miaulë.

« Ton frère ? Ne sommes-nous pas tous une famille ? Comment oses-tu appeler quelqu'un ton frère, et lui consacrer une partie de ton temps, perdue pour le seigneur Melkor et notre grand Projet ! »

« Il peut devenir un Chat-Mage, votre Mi-Miséricorde ! Je lui apprendrai ! Il vous servira, comme je vous sers ! »

Sauron approcha le chaton de son visage ; il sourit et ses yeux d'or scintillèrent, comme ceux d'Elbereth quand elle regardait les Premiers-Nés. Le chaton, pataud, réagit en levant la tête, l'air confiant et aimé.

« Oui, je dois reconnaître qu'il est... comment dit-on, déjà ? Mignon ! »

Mairon aimait les mots commençant par un M. Il fallait croire que les obsessions linguistiques étaient une marque de haute Méchanceté… ça, et la conjonctivite.

Il s'approcha d'une des cuves remplies de lave, le chaton mignon toujours dans une main.

« Ta Motivation n'est pas à la hauteur des défis qui t'attendent, Miaulë... »

« Maître ! », glapit le Chat. « Ne lui faites pas de mal, je vous en prie ! »

« Cela ne dépend que de toi... », répondit Mairon en élevant le chaton au-dessus de la cuve de lave.

L'animal s'était mis à remuer légèrement, gêné par la chaleur. Toute la peau de Miaulë se hérissa.

« Je ferai tout ce que vous voudrez ! », s'exclama-t-il, éperdu, les yeux écarquillés. « Ou tuez-moi ! Tuez-moi ! »

Les yeux de Mairon se mirent à nouveau à scintiller.

« D'accord. »

Le Chat eut un soupir de soulagement.

Alors le scintillement dans les yeux du Maïa s'éteignit. Une lueur vint de l'intérieur, brutale, la même qui occupait ses yeux lorsqu'il était sous forme de loup.

« Oh et puis non... J'ai changé d'avis. »

Il laissa tomber le chaton dans la lave.

Miaulë ne bougeait plus. Il n'avait entendu qu'un petit bruit aigu, qui n'avait duré qu'une demi-seconde ; ce bruit resterait dans son esprit pour toujours.

« Voilà ce qui arrive quand on désobéit au grand Melkor, seigneur d'Arda », glosa Sauron.

Le Chat tomba à genoux, l'air sidéré ; puis il s'écroula sur le sol, et se mit à pousser de longs sanglots.

« Mon frère… Mon frère... », pleurait-il.

« Pourquoi pleures-tu ? », s'indigna Mairon en venant jusqu'à lui, surplombant la petite figure tordue de désespoir. « Combien de souris, de lièvres, de furets, et autres ridicules petits animaux as-tu tué toi-même ? Tu ne les pleures pas, ceux-là… Combien de morts à cause des Valar de Manwë, qui laissent Endor livrée à elle-même, non administrée ? Et toi tu pleures pour un seul chaton ? Tu n'es qu'un égoïste. »

Ces arguments ne semblaient pas toucher le Chat, toujours pleurant et parcouru de convulsions.

« Mon frère... »

 

............................

Oui, Angband était le lieu le plus terrible qui existe sur Terre... A ce souvenir, les yeux du Chat Botté s'étaient emplis de larmes.

Idril le vit mordre un bout de drap, et appuyer rythmiquement ses pattes sur un coussin.

« Je suis malheureux », pensait-il en pleurant et en tétant le drap, « je suis très malheureux... »

 


Au même moment, sous le Thangorodrim, une grande effervescence régnait, après les dernières attaques menées sur Ard-Galen. Gothmog était plein d'énergie, ses flammes tournoyaient autour de sa silhouette d'ombres.

« Orques, avec moi ! » s'exclama le chef des Balrogs, brandissant son fouet. « Allons détruire le monde ! »

« T-t-t-t... », fit Sauron, le coupant dans son élan.

« Quoi ? »

« On ne dit pas détruire le monde », dit l'autre Maia en joignant ses belles mains. « Nous ne voulons pas détruire le monde. »

« Mais que voulons-nous faire, dans ce cas ? »

« Nous avons un projet pour le monde. »

« Mais n'allons-nous pas tuer des elfes, en grand nombre ? Et les prisonniers, les prendre comme esclaves ? »

« Nous n'en faisons pas des esclaves : nous en faisons des collaborateurs, qui participent à notre projet pour le monde. Et nous ne les tuons pas, nous les amenons à se reconvertir. »

« Et… Hum, d'accord. »

Gothmog sembla réfléchir. Cette invention de Mairon, ce que Melkor appelait "éléments de langage", l'avait toujours laissé perplexe.

« Mais si j'écrase un elfe avec ma masse... ? »

« Tu réduis son indice corporel. »

 

 

 

à suivre

 


Chapter End Notes

N'hésitez pas à laisser un petit commentaire, ça motive toujours !


Table of Contents | Leave a Comment