Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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Tentatives et tentations


Chapitre 41 : Tentatives et tentations 

 

Cette nuit-là, une drôle de discussion résonnait dans les plaines herbeuses de l'Estolad.

« Mais il faut bien l'vidanger d'temps en temps messire, sinon il va s'boucher ! »

« Non mais je n'ai jamais rien entendu de plus stupide dans toute ma vie ! », s'exclama Ecthelion. « Lâchez-moi la grappe ! Lâchez-moi les grappes ! »

Belin ôta sa main de la braguette elfique.

« Je me demande d'où vient cette obsession pour cette partie de mon anatomie... Non, en fait je sais. Vous voulez faire aux autres ce que vous aimeriez qu'on vous fasse. »

L'humain rougit.

« P'têtre bien qu'oui mon seigneur... », bredouilla-t-il. « Mais personne n'veut m'l'faire. »

« Vous oubliez vos cousins. C'est du propre ! »

« Non point mes cousins messire. On a juste fait ça quand on était jeunots, parce qu'on n'savait point qu'c'était mal. »

« Et maintenant vous êtes en manque, alors vous vous rabattez sur moi. »

« Non mon seigneur ! »

« Et vous ne savez pas qu'avec un autre homme c'est mal, aussi ? »

« Pourquoi donc ? Une main c'est toujours une main messire, et d'la peau c'est toujours d'la peau. »

« Vous avez vraiment une drôle de logique. »

Belin ne répondit pas. Il se mit à regarder la lune.

« Vous vous ne vous en occupez point. Il faut vous en occuper. »

« Mais de quoi j'me mêle ? Oh et puis merde. Ouvrez votre pantalon. »

« Mon pantalon ? »

« Vous voulez qu'on vous tripote ? Je vais vous tripoter. Et après vous me ficherez la paix avec vos mains baladeuses. »

« Vous... Vous êtes sûr ? »

« Allez, ouvrez votre pantalon », ordonna Ecthelion.

« Point comme ça messire », protesta le jeune homme, alarmé.

« Et comment ? »

Belin tendit les bras pour essayer de l'embrasser, mais l'elfe le repoussa.

« Mais ça va pas ? Qu'est-ce qui vous prend ?! »

Le visage de l'humain se défit.

« Je ne vous comprends vraiment pas », dit le seigneur elfe. « Je vous ai juste dit d'ouvrir votre braguette, pas de me sauter au cou. »

Belin fit un signe de dénégation.

« Non, j'ne veux plus finalement. »

« Quoi ? Alors n'essayez plus de me toucher. »

« J'n'essayerai plus. »

« Bien. Dormons. »

 


 

« Le problème avec vous », dit Ecthelion à son écuyer et ami, un jour de cet été-là, « c'est que vous confondez l'amour avec la copulation. Dès que vous avez envie de vous reproduire avec une femme, hop ! Vous êtes amoureux. »

« Ce n'est point vrai », répondit Belin, qui regardait l'elfe enlever la peau d'une pomme pour la manger. 

« Bien sûr que si... C'est tout à fait ça. Et après, vous êtes malheureux parce qu'elle vous rejette. » 

« Mais messire, c'te bien la même chose d'aimer quelqu'un amoureusement et d'vouloir l'toucher. » 

« Bien sûr que non ! Ce sont deux choses différentes. » 

« C'est vous qui ne comprenez point. On n'aime point forcément d'amour ceux qu'on a envie d'toucher... » 

« C'est vrai que vous vous avez envie de toucher tout le monde. » 

« ...Mais ceux qu'on aime bien, on a envie d'les toucher. C't'un peu comme pour les fruits.  » 

« Encore une de vos métaphores. » 

« Ceux qu'on aime beaucoup et amoureusement, on voudrait toucher leur noyau avec notr' noyau... Alors il faut les ouvrir. » 

« En les déshabillant ? » 

Belin hocha la tête. 

« Et en faisant l'acte, comme vous dites ? » 

Belin hocha la tête à nouveau. 

« Quel grand philosophe vous faites. On croirait entendre Rúmil en personne. » 

« N'vous moquez point d'moi ! Ou j'me moque de vous. » 

« Je n'y peux rien si aucun de vos intérêts amoureux n'a envie de toucher votre noyau. » 

« C'te bien vrai, messire... Ceux qu'j'aime le plus ils n'm'aiment point t'en retour. » 

« Qui ça ? », demanda Ecthelion avec une pointe de jalousie dans la voix. 

Belin ne répondit pas. 

« La femme que vous avez pris en filature au marché et qui a eu peur ? », ironisa Ecthelion. 

« Non, j'n'la connaissais point t'assez messire. » 

« Et vous ne la connaîtrez jamais vu comment vous vous y êtes pris. Donc je suppose... » 

Ecthelion réfléchit. 

« ...C'est la vendeuse de chez le gantier, non ? Chez qui nous étions allés pour changer vos gants ? » 

L'humain rougit. 

« Et voilà... », soupira l'elfe. « Vous l'avez vue quoi, cinq minutes ? » 

« Non point messire, j'y suis retourné après ! » 

« Combien de fois ? » 

Belin se mit à compter avec ses doigts, mais il finit les deux mains. 

« Et vous avez combien de paires de gants maintenant ? » 

« Un certain nombre », avoua le jeune homme. 

Il en avait quinze.

* * *

Le lendemain, Belin poussait à nouveau la porte de cette boutique spécialisée dans la vente de gants. 

C'était juste plus fort que lui. Il avait besoin de la revoir... La gantière fée se trouvait derrière son comptoir, et elle eut un sourire particulier quand elle le vit entrer – un mélange d'amusement, d'indulgence, et surtout un sourire de femme qui a compris. 

« Bonjour monsieur », dit-elle de sa belle voix. « Vous désirez ? » 

« Oui », répondit l'humain. « J'désire. J'désire euh... une paire de gants... » 

« Vous avez perdu celle que vous avez achetée avant-hier ? » 

« Non... » 

Belin rougit, comme pris en faute. Il avait pourtant bien préparé son mensonge. 

« J'désire des gants pour faire du ch'val, car mon ch'val a marché d'ssus avec ses sabots. » 

La vendeuse hocha la tête, avec cette fois un sourire de pitié. 

« Je vois... J'ai plusieurs modèles qui pourraient vous convenir. » 

Elle alla prendre plusieurs boîtes en carton derrière elle, dans la réserve, les posa sur le comptoir, puis contourna ce dernier pour rejoindre son client. 

« Donnez-moi votre main. Je pense que ceux-là vous iront très bien. » 

Belin s'exécuta. Et quand elle prit sa main dans la sienne, aux grands ongles en amandes, et qu'il sentit sa douceur, il eut l'impression que son sang se mettait à bouillir tout à l'intérieur de lui. 

La gantière, elle, avait bien compris qu'il aimait venir ici se faire toucher la main. 

« Vous avez des mains soignées », se permit-elle de constater à haute voix. 

« C'est mon seigneur Ecthelion qui m'fait la manucure », expliqua l'humain. 

« Voilà. Qu'en dites-vous ? » 

Belin regarda sa main gantée de cuir. C'est vrai qu'il lui allait bien. 

« J'vais quand même essayer les autres », dit-il rapidement, les joues rouges.

* * *

Une heure plus tard, il était de retour chez lui. Ecthelion lui jetait des regards soupçonneux. 

« Vous êtes bizarre », dit l'elfe. 

Belin passa devant lui sans lui répondre, les joues toujours rouges, l'air absent. 

« Vous êtes bizarre », répéta Ecthelion. 

« Pourquoi ? », répondit l'écuyer, comme s'il était ailleurs. 

« Où étiez-vous ? » 

« J'me promenais messire. » 

L'elfe plissa les yeux. Puis il se jeta sur la sacoche de l'humain et en sortit une boîte contenant une paire de gants. 

« Vous y êtes retourné ! », s'exclama-t-il. 

« Rendez-les moi ! » 

« Non. » 

Il alla s'asseoir sur la banquette. 

« Vous rendez-vous compte à quel point tout ceci est ridicule ? » 

« Pourquoi ? » 

« Parce que vous n'avez aucune chance avec elle... Et en attendant vous dépensez votre argent de manière stupide et vous vous faites des illusions. » 

« J'fais bien c'qu'j'veux messire », répondit l'humain avec un sourire en coin étrange. 

« Certes. Mais pourquoi vous faites cette tête...? Vous êtes vraiment bizarre aujourd'hui... On dirait que vous souriez... Oh mon dieu – vous aurait-elle donné des raisons... d'espérer ? » 

Belin s'assit à côté d'Ecthelion. 

« Oui. Après qu'j'avois essayé tous les gants, elle m'a dit d'venir dans la réserve avec elle messire. » 

« Et ?? » 

« J'l'avons donc suivie. Et là... » 

Le visage de l'humain devint intégralement rouge. 

« Elle m'a dit que j'pouvais mettre la main dans sa boîte à gants. » 

« La vieille cochonne ! », s'exclama Ecthelion. 

Il se reprit. 

« Et alors, qu'avez-vous fait ? » 

« Ben j'l'avons fait messire. J'avons exploré la boîte. » 

« Et elle ? Vous a-t-elle... A-t-elle... touché... votre épée ? » 

« On a point t'eu le temps monseigneur ! Y'a un client qui est arrivé. Alors j'me suis juste essuyé la main et j'suis sorti. » 

Le seigneur de la Fontaine avait l'air dégoûté. 

« Quelle femme de petite vertu », s'indigna-t-il. « Hum, rassurez-moi, vous vous êtes lavé les mains depuis ? »

* * *

Le lendemain, Belin revenait de chez la gantière, en pleurs. 

« Que vous arrive-t-il ? », s'enquit Ecthelion. 

« C't'e la gantière messire, elle veut plus qu'on s'voit », sanglota l'adolescent. « Elle a dit qu'elle avoit fait t'une erreur parce qu'elle s'sentait seule. Et qu'elle avait même enlevé son alliance mais qu'elle était mariée et qu'son mari il était mort dans les glaces des trois... » 

« Des trois quoi ? » 

« Les glaces des trois tout court. » 

Il fondit en larmes. 

Ecthelion jugea qu'il n'était si important d'éclaircir ce point de vocabulaire. Il entoura l'humain de ses bras et lui frotta le dos de haut en bas, avec camaraderie.

 


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