Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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Les mauvais côtés de Tirion

Fëanor et la conjonctivite


Episode 42 : Les mauvais côtés de Tirion

 

 

« Les fils de Fëanor, les fils de Fëanor… », pesta Egalmoth. « Mais quand on a eu Fëanor comme père, on n’a que deux alternatives. Soit être complètement névrosé, tourné jusqu’au fond de la moelle… Soit être un gros connard arrogant qui pige rien à rien. »

« Il y a Maedhros, tout de même… », opposa Duilin.

« Maedhros ? Mais c’est le pire des Sept ! Il a l’air calme et posé, quand on le regarde… Mais c’est le plus taré d’tous ! Son père a passé toute sa vie à lui répéter qu’il était nul. Quant à Maglor, c’est un poète, alors ça veut tout dire. Et Celegorm, c’est juste un gros con. »

« Curufin, c’est un gros con aussi », dit Salgant.

« Et Caranthir aussi, en fait », ajouta Turgon.

« Vous voyez que j’ai raison ! », triompha Egalmoth.

« Et les deux derniers… ? »

« Eux c’est pas des gros cons, c’est des petits cons. Mais quelque part, c’est encore pire. »

 

* * *

 

Le soir venu, Egalmoth vint s'asseoir près du bureau de Nindë, son assistant principal.

« Cela vous arrive, à vous, d'être nostalgique du bled ? », lança le marchand.

« Pas vraiment, en fait. »

Egalmoth fut étonné d'une telle réponse.

« Pourtant, vous habitiez bien à Tirion ?»

« Justement. Il y avait tellement de superficialité dans cette ville », répondit l'assistant.

Egalmoth fronça les sourcils.

« Depuis quand vous n'aimez pas la superficialité ? Tout le monde ici aime la superficialité ! Cette Maison est une Maison tout entière tournée à glorifier la Superficialité ! Et moi, j'adore la Superficialité ! »

Nindë se passa lentement la main devant la bouche.

« Ce que je voulais dire, c'est qu'il y avait trop de mensonges... »

« Hum... Comme ce salopard de coursier qui m'a trahi. (1) Il est vrai que Tirion était rempli de personnes de ce genre. J'espère qu'il finira par rôtir dans le Thangorodrim. »

« Et puis, il y avait tous ces ragots », poursuivit Nindë.

« Vous vous rappelez de celui qui disait que Maedhros jouait à Viens voir ma rame avec le dernier fils d'Olwë ? »

« Et celle qui disait que Nerdanel était un homme ? »

« Ça je crois que c'était la pire... Mais c'était avant la naissance de Maedhros. »

« Il y en a aussi une qui disait que la fille d'Olwë jouait à Viens-voir mon plumeau avec la femme de Fingolfin. »

« Oh, ça c'était vraiment moche pour lui. »

« Et les rues étaient si propres. On se sentait presque coupable de ne pas s'être déchaussé avant d'entrer. »

« Les rues étaient peut-être propres, mais les gens écrivaient n'importe où. C'était fou le nombre de graffitis gravés sur les murs ! A croire que les gens n'avaient que ça à faire, de sortir leur couteau suisse pour y fixer leur inspiration du moment ! Pourtant, ce n'était jamais très original. »

« Oui... Le nombre de fois où j'ai pu lire « Maitimo est beau », ou « Machin aime Machine », ou « Je suis heureux dans le Royaume Bienheureux ». »

« Mais ces toits couverts d'or pur ! », s'exclama Egalmoth. « Ces cloches en argent ! Ces murs incrustés de pierres précieuses ! Ces rues tapissées de poudre de diamant ! »

« Oh, ça, je ne vois pas en quoi ça doit être regretté. On se prenait tout le temps des poussières de diamant dans les yeux. Cela donnait à Fëanor, qui avait les yeux sensibles, une conjonctivite chronique dès qu'il revenait dans la capitale. D'ailleurs je crois que c'est pour cela qu'il avait l'air si fou à la fin. »

« Non, ça je crois que c'était de naissance », opina Egalmoth.

 

* * *

Belin le Blond faisait chaque jour des progrès dans l'apprentissage des signes écrits. Bientôt il fut capable de lire des phrases courtes et simples, et ce fut à ce moment-là qu'il se rendit compte qu'une littérature entière s'offrait à lui sur les murs de la ville.

Étonnamment, le lieu le plus propice à ces exercices de création littéraire semblait être les latrines publiques.

Un jour d'automne, entre deux courses, l'humain s'y arrêta pour se soulager. Quelle ne fut pas sa joie quand il aperçut, gravé sur le mur surplombant les bassins d'aisance, le nom de son seigneur Ecthelion.

Il se dressa sur la pointe des pieds pour lire.

« Ec-the-lion est beau... », lit-il lentement.

Il sourit. Puis il remarqua qu'une suite avait été ajoutée sous cette proposition, d'une écriture différente.

« Comme une fille. »

Le sourire se transforma en moue et froncement de sourcils. Mais toute la phrase avait ensuite été barrée, et un « NON » agressif surplombait le texte.

L'humain observa le reste du mur. Il y trouva d'autres inscriptions :

 

Elmenda a de beaux cheveux

 

Tautamo est un frimeur

 

(sexe masculin)

 

J'ai forniqué toute la nuit Eru soit loué

 

« Pas moi », gémit Belin. Il changea de mur, pour examiner celui qui touchait la porte. Au milieu, il commença par déchiffrer une graphie enfantine, sans doute un jeune adolescent qui voulait imiter les jurons de ses aînés :

 

Morgott enculé

 

Puis, inscrits par des adultes :

 

Noldor go home

 

Glorfindel est un faux blond

 

Non

 

J'ai des preuves.

 

Je suis plus chaud que Laurelin !!!

 

Aglar aime Neldorwen 

 

Ecthelion est très laid

 

Ecthelion n'est pas beau

 

Ecthelion = l'elfe le plus laid de Gondolin

 

« Ah non, ce n'est point vrai ! », s'exclama Belin.

Bizarrement, toutes ces phrases négatives au sujet de la beauté d'Ecthelion semblaient avoir été écrites par la même personne. Et leur écriture agressive ressemblait à celle du « NON » qui barrait «  Ecthelion est beau comme une fille  ». Cette écriture n'était pas inconnue à Belin, qui secoua la tête.

« Oh non, Messire... Je sais que c'est vous. »

En dessous de «  Ecthelion = l'elfe le plus laid de Gondolin  », quelqu'un avait tout de même rajouté :

 

Jaloux.

 

 


 

 

Les Poupées

 

A Barad Eithel, dans l’un des jardins suspendus, Fingon était occupé à brosser son petit chien, avec de grands gestes soigneux.

« Ah… Ça me rappelle quand tu étais petit, et que tu coiffais tes poupées », dit alors Fingolfin.

Fingon fronça les sourcils.

« Je n’ai jamais eu de poupée. »

« Tu étais trop jeune pour t’en souvenir. Mais si, tu en avais… Tu aimais les coiffer et leur mettre toutes sortes de colifichets dans les cheveux… »

Le sourire de Fingolfin se fondit en une ride de perplexité. Cela, ça n'avait pas vraiment changé en fait...

Il poursuivit :

« Même que je voulais te les enlever… Mais ta mère m’a traité de sexiste. Elle a fait pareil avec Aredhel et ses arcs. Ta mère a toujours eu de drôles d’idées là-dessus. »

Les regards du père et du fils se perdirent dans la monotonie d’Ard-Galen.

« Bien sûr, je n’ai jamais accordé foi à ses racontars… », rumina Fingolfin. « Comme quoi ta mère et ta tante Eärwen… Ce que les gens peuvent imaginer… »

Il but son verre de vin d’un trait, avec un air soudain piteux et désespéré.

Si deux personnes se ressemblaient d’apparence, parmi la descendance d’Indis, c’était bien Fingolfin et son fils Fingon… Mais à ce moment-là, tandis qu’il pensait aux manies de sa femme et aux cornes magnifiques dont on l’avait pourvu, Fingolfin ressemblait tout à fait à son fils Turgon.

 


 

L'autre vie sexuelle des elfes

 

 

Dès que l'humain de dix-huit ans était seul dans l'appartement, il allait ouvrir le grimoire de sexologie elfique, pour y chercher du rêve, et parfois aussi de l'inspiration.

« Si seulement la gantière m'avait point rejeté au final », pensait Belin, « on aurait pu faire ensemble toutes ces choses ! »

Quand il avait fini, il remettait le livre en place avec précautions, craignant plus que tout qu'Ecthelion s'aperçoive qu'il connaissait son existence, et qu'il le lisait régulièrement (même si le verbe « utiliser » aurait été plus exact).

« Il faut que j'm'fasse une raison pourtant, je suis point t'assez bien pour aucune femme-elfe. Elles sont trop belles, et elles vivent trop longtemps. Et elles aiment trop la poésie que j'connaissons point. »

Un jour, à force d'explorer le codex dans tous ces recoins, il finit par s'apercevoir qu'un morceau de parchemin dépassait légèrement de l'espace situé entre la tranchefile et le dos. Il l'attrapa avec l'index et le pouce, et essaya de le tirer. Un rouleau plat plié très finement suivit.

Le jeune homme blond se demanda ce que pouvait bien recéler ce rouleau pour qu'il fût caché à cet endroit. Mais quand il le déplia, il s'avéra que ce n'était qu'une autre partie du livre, partie qui avait cependant été jugée suffisamment particulière – en tout cas, encore plus que le reste –, pour qu'on la séparât du reste et la réservât à des yeux avertis.

Le début du rouleau mettait en scène uniquement des femmes-elfes, qui se prodiguaient toutes sortes de caresses et de baisers. Belin trouva cela passionnant et très excitant, mais ne fut pas très surpris de la chose, car il ne s'agissait au final que de pratiques qu'il avait déjà tentées avec ses cousins. Si les hommes pouvaient le faire, pourquoi pas les femmes ?

« Ces elfes sont bien plus délurés qu'ils n'en ont l'air ! », songea-t-il néanmoins.

Le reste du rouleau lui coupa cependant le souffle. Il montrait deux elfes mâles, l'un avec des cheveux sombres et l'autre avec des cheveux clairs, faisant ensemble des choses qu'il n'aurait jamais crues possibles. Outre les mêmes baisers et caresses intimes que la partie dévouée à l'amour lesbien avait figuré, le parchemin secret représentait deux mâles... faisant l'acte , comme un homme et une femme.

Le coeur de Belin se mit à battre à toute vitesse, ses joues brûlèrent et ses mains devinrent moites.

« Ce n'est point possible », pensa-t-il. « Les hommes ne sont point faits comme les femmes ! Ça ne peut point rentrer ! »

Mais la suite lui fit comprendre, à l'aide d'un schéma, ce qui se passait réellement, et l'humain en fut à la fois surpris et écoeuré.

« Ce n'est point fait pour ça, c'est sale ! »

Le schéma montrait aussi, contre la partie supérieure du conduit, une masse de forme arrondie, qu'il était conseillé de toucher.

« C'est le noyau ! », réalisa Belin.

Sous le schéma, suivaient des instructions expliquant comment procéder : le nettoyage préalable (avec une poire de lavement), les caresses préliminaires, la préparation du conduit que l'on préconisait de distendre avec ses doigts enduits d'huile, puis différentes positions, nombreuses et variées. Belin considéra ces positions avec un grand intérêt, et celles qui l'affectèrent le plus étaient celles lors desquelles les deux bonshommes partageaient des baisers tout en faisant l'acte. Malgré la voie contre-nature qui devait être empruntée, cela lui parut extraordinairement désirable et enviable.

Quand il eut fini de tout observer, il prit le parchemin avec lui et remit le grimoire en place. Puis il alla cacher le rouleau défendu dans sa chambre, sous son matelas.

Au dîner, Ecthelion lui trouva l'air étrange.

« Vous êtes sûr que vous allez bien ? On dirait que vous avez de la fièvre... », dit l'elfe.

« Non messire, j'vais très bien. »

« Je vais faire du feu dans votre chambre ce soir, pour être sûr que vous n'ayez pas froid. Hum... Où est l'huile ?  »

Belin devint rouge comme une tomate.

« Je n'sais point... J'ai dû oublier de la mettre. »

Il alla chercher la burette d'huile de tournesol dans la cuisine, et la donna à l'elfe.

« Merci. Qu'est-ce que vous avez fait cet après-midi, du coup ? Vous vous êtes entraînés à la lecture ? »

« Euh... Oui. Oui. »

« Qu'avez-vous lu ? »

« Je ne me souviens plus... »

Pour changer de sujet, il prit la carafe et dit : « Vous voulez du vin messire ? »

« Oui s'il vous plaît. »

Ecthelion tendit son verre.

« Pas beaucoup. Juste deux doigts. »

Belin rougit brutalement et fit tomber le vin à côté du verre, inondant la table.

« Ce n'est pas grave », dit Ecthelion à l'humain catastrophé.

L'elfe alla chercher des torchons et essuya la table, puis se baissa pour absorber ce qui était tombé par terre. Ce faisant, il exposait son dos à Belin, ainsi que ses fesses, dont la forme à ce moment-là était apparente sous la toile fine d'un pantalon en coton blanc.

L'humain détourna le regard et se prit la tête dans les mains.

Quand il se coucha, quelques heures plus tard, il jeta un dernier oeil au parchemin caché sous son matelas, et notamment la partie qui montrait les deux elfes-hommes en train de s'embrasser tout en faisant l'acte.

Cette nuit-là, il dut s'occuper trois fois de lui-même tout seul.

 

 


 

 

Remarques diverses :

- De manière générale, les graffitis de ce chapitre sont inspirés des graffitis antiques (par exemple « Maitimo est beau » ou « J'ai forniqué toute la nuit ») ou modernes (« Noldor go home »), ou simplement intemporels (« Machin aime Machine »).

- Le graffiti « Morgoth enculé » et la poussière de diamant se prenant dans les yeux sont des idées de Nelja, avec qui j'avais discuté du sujet !

 


Chapter End Notes

(1) Voir le chapitre 16, "Game of thrones".

* * * *

J'ai posté un bonus au chapitre précédent, dans l'histoire "Maudits Bonus", n'hésitez pas à aller y jeter un oeil !


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