Maudits silmarils, livre 2 by Dilly

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Sword and Sorcery, II


 

Chapitre 19 : Sword and sorcery, II

 

« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. »

Probablement quelqu'un de la famille d'Ecthelion.

I

Ecthelion le Barbare

 

 

Avant l'époque où les océans ont englouti N ú menor, et l'avènement des fils d'Elros, il y eut une période de l'histoire bien moins connue, dans laquelle vécut Ecthelion, destiné à poser le casque qui tuera Gothmog, le seigneur des Balrogs, sur un front troublé. C'est moi, sa chroniqueuse, qui seule peut raconter son épopée.

Laissez-moi vous narrer ces jours de grande aventure.

Les montagnes d'Hithlum étaient entourées de brumes. Korma de la Source était sorti avec son fils Ecthelion, un enfant encore ; ils étaient assis sur une pierre, dans la fraîcheur humide du matin. Ecthelion écoutait parler son père avec attention.

« Le feu et le vent viennent du Ciel, de Varda et Manwë. Mais Tulkas est notre Dieu, Tulkas, et il vit en Aman. On dit qu'un jour, à l'époque du Chaos, quand les Valar parcouraient encore l'Endor, Aulë et Tulkas se disputèrent, et que dans le fracas de leur combat, ils oublièrent le secret de l'acier, et le laissèrent sur le champ de bataille. Et c'est nous, les Noldor, qui l'avons trouvé. »

Le guerrier revêtu de fourrures fit une pause, observant le visage de son fils.

« Nous ne sommes que des Elfes... » poursuivit l'adulte, avec mélancolie. « De simples Elfes. Ni des Valar, ni des Esprits, ni des Géants... De simples Elfes. Mais le secret de l'acier a toujours porté avec lui un mystère. Tu dois apprendre sa valeur, Ecthelion, tu dois apprendre ses lois. Car à personne, personne en ce monde tu ne dois te fier. Ni aux Dieux, ni aux Elfes, ni aux bêtes. »

Il lui montra son glaive, forgé jadis par les Fëanoriens.

« À ceci tu dois te fier. »

 


 

II

 

Sorcellerie

 

Le mage aux longs cheveux blancs marchait calmement dans les hauts couloirs souterrains. Il allait au plus profond de la Montagne, au plus profond des prisons d'Angband.

Bien qu'il fut seul et sans armes, vêtu d'une unique robe de damas clair, tous s'éloignaient de lui, ou se courbaient avec déférence à son approche : orques, animaux, esclaves. La marche semblait ne lui demander aucun effort, non plus que la descente des interminables escaliers. Quand il fut au plus bas des racines d'Ered Engrin, des portes d'airain monumentales, incrustées d'obsidienne, se trouvèrent clore son chemin. Les deux démons de feu qui les gardaient le saluèrent à leur tour.

« Seigneur Mairon », dirent-ils.

Le Maia hocha la tête, puis fit un geste de sa main aux longs ongles : les portes s'ouvrirent devant lui. Il pénétra dans la salle gigantesque, sombre et brumeuse. De ce brouillard émergeaient des sculptures de roches tourmentées et fracturées, ainsi que des piliers de pierre noire, ornés de figures serpentines en mouvement. Les roches s'amassaient au fond de la salle, en une énorme concrétion de cristaux en pointes, à l'intérieur de laquelle était modelé un siège. Et sur ce siège était assis un homme, ou plutôt un géant, vêtu et armé de noir. Son visage était entièrement dissimulé derrière un masque de métal. Sur ses longs cheveux bruns était posée une couronne de fer, au centre de laquelle étaient sertis trois joyaux qui brillaient de leur lumière propre.

Le Sbire s'agenouilla.

« Roi Melkor, Seigneur de la Terre. »

Aux pieds du Vala, il semblait minuscule.

« Quelles nouvelles apportes-tu ? » s'enquit Melkor.

« Aucune nouvelle spécifique, ô Seigneur », répondit le Maia. « Tandis que nos forces grandissent à l'abri des regards, mes agents parcourent Endor, récoltant des informations, et répandant nos idées dans l'esprit troublé des Elfes. »

« Montre-moi cela... » ordonna le dieu. « Dans la Fenêtre du Temps. »

Sauron ferma les yeux. Les brumes se dissipèrent dans un coin de la salle, découvrant un ensemble de glaces. Dans l'une, apparut une meute de loups, s'assemblant sur une plaine, dans une autre, un elfe près d'un chevalet sur lequel était écrit Formation, dans une autre encore, un voyageur à chapeau de paille, et ainsi de suite...

« Voici pour les Eldar », approuva Melkor. « Mais quand est-il des autres ? Les mortels ? »

« Nous les avons ralliés à notre projet, Seigneur. »

« Tous ? »

« Pas tous. »


 

III

 

La flèche

 

 

Le soleil était à son zénith, au-dessus de la plaine herbue. Ecthelion et Belin s'étaient arrêtés pour déjeuner, d'un lapin de garenne rôti à la broche et de quelques biscuits. L'humain portait toujours l'armure achetée à l'auberge, mais il lui avait aussi ajoutée la cape de son compagnon, car l'été était sur son déclin.

« Quelle est la rivière que nous avons traversée, tout à l'heure ? » s'interrogea l'humain.

« Je ne sais pas », avoua Ecthelion. « Nous n'aurions dû croiser aucune rivière, d'après ma carte. Je me demande si nous n'avons pas dévié de notre direction. Demain matin, nous suivrons le soleil levant. »

Belin se tut, songeur.

Puis il finit par demander : « Ce grand lac existe toujours, où les Elfes sont nés ? »

« Il devrait toujours exister. Mais il doit se trouver bien plus à l'est, au-delà des montagnes. »

« J'aurais bien aimé le voir, Messire, et aussi voir les dieux. »

« Peut-être que nous le verrons, quand nous aurons passé Ered Luin. Mais les Valar, nul ne peut plus les atteindre », répondit Ecthelion. « Ceci dit… »

Il regarda Belin, puis finit par avouer : « Vous savez, avec cette armure, vous ressemblez à Tulkas. »

« Comment pouvez-vous le dire, Messire ? » s'étonna l'humain. « Le Roy Turgon vous l'aurait décrit ? »

« Non, c'est mon père, et j'ai entendu de nombreux chants à son sujet. Tulkas a de longs cheveux blonds, une barbe, une armure qu'il porte presque nu, sur son corps fort et musclé, et il est beau comme vous. »

Belin baissa les yeux, et Ecthelion ne put s'empêcher d'admirer ses cils dorés. C'était si adorable quand Belin baissait les yeux !

« Messire », dit l'humain, « vous'me faites toujours des compliments que j'méritons point. Et j'n'ai point vu les Dieux dans l'paradis par-d'là les mers, mais j'sommes plutost sûr qu'ils doivent t'estre bels comme vous. »

Il dévisagea l'elfe : ses longs cheveux sombres, son nez fin et droit, ses sourcils noirs bien plantés au-dessus de ses yeux bleus et brillants comme s'ils étaient animés d'un feu intérieur. C'était son regard qu'il aimait le plus, il le laissait timide quand il se posait sur lui.

Mais Ecthelion grommelait.

« Je ne suis pas beau... »

Leur repas fini, les deux jeunes gens se remirent en route. Ils allaient à pied, comme aux temps les plus anciens, courant dans les herbes hautes, heureux de sentir le vent sur leur visage, ivres de l'inconnu et de la nouveauté qui s'offraient à eux.

« Cette rivière... Ce n'était pas le Gelion », remarqua le seigneur de la Fontaine.

Ils n'avaient pas atteint le royaume de Caranthir, ni même celui de Maglor, qui le précédait. Le crépuscule tomba, orange puis bleu, piqueté d'une étoile et d'un morceau de lune.

Les deux jeunes gens s'assirent pour grignoter quelques biscuits et boire un peu d'eau. Ils avaient à peine commencé qu'un hurlement de loup retentit dans la plaine.

« Messire ? » s'interrogea Belin.

Nouvel hurlement de loup, différent dans sa modulation.

« Je n'aime pas ça », dit Ecthelion, en dégainant légèrement Orcrist.

Elle luisait faiblement d'un éclat bleu.

Belin, alerté, voulut dégainer sa propre épée. Mais sa main droite se mit à trembler.

« Sortez votre épée ! » ordonna Ecthelion, qui prit son arc.

L'humain finit par réussir à dégainer sa lame, mais son poignet était toujours agité d'un tremblement.

« Où se cachent-ils, Messire ? Je ne les vois point dans ces hautes herbes ! »

« Sales bêtes ! » jura l'elfe. « Ce sont des ouargues ! »

Il crut en aviser un, qu'il visa d'un trait.

Il y eut un piaillement, et Ecthelion courut dans sa direction, avec Orcrist. Mais un autre loup se jeta sur lui.

« Messire, j'arrivons ! » s'exclama Belin, épée brandie.

Avec l'énergie du désespoir, il attaqua le ouargue qui avait projeté son maître à terre. Ecthelion tentait de se défendre avec sa dague. Finalement, ils en vinrent à bout tous deux... Mais une vingtaine de loups les entourait à présent.

Belin et Ecthelion se regardèrent.

« Messire, si on meurt... Il faudra qu'on s'attende.»

« Qu'on s'attende ?»

« Oui, dans les Cavernes.»

Cette fois, c'était vraiment la fin… Un gigantesque loup surgit au centre du cercle, aussi grand qu'un cheval. Ecthelion pensa qu'il devait s'agir de leur chef ; il montra Orcrist, l'épée forgée à Gondolin, en signe de défi. Mais le loup, à son grand étonnement, se mit à grogner à l'encontre des autres loups.

Le son d'une trompette retentit.

« C'est un cor elfique ! » s'exclama Ecthelion.

Ce loup qui les protégeait, outre sa taille, n'avait pas les traits physiques d'un loup ordinaire. Il était d'un gris unis et ses yeux étaient ambrés. De plus, il portait un collier autour du cou, sur lequel était inscrit en quenya : CHIEN.

« Je crois que c'est un chien », dit Ecthelion en montrant son collier.

Des aboiements suivirent le son du cor de chasse. La meute canine attaquait la meute ouargue. Puis des piqueurs apparurent, cuirassés d'argent. Leur oriflamme était rouge, sur lequel luisait une étoile à huit branches.

« Nous sommes sauvés ! » s'exclama le Chevalier de la Fontaine.

Ce fut le désordre, alors que les loups tentaient de fuir sous l'assaut du puissant équipage. Certains étaient transpercés d'une flèche enflammée, d'autres étaient mordus à la gorge par les chiens. Un grand elfe large d'épaules et aux cheveux clairs en abattit un d'un coup d'épée.

« Belin ! Ce sont des Noldor, nous sommes sauvés ! »

Ecthelion courut vers son écuyer, qui restait tourné et silencieux.

« Belin... »

« Messire... »

L'humain se retourna, la bouche tremblante. Une flèche était plantée dans sa poitrine.

« J'vous attendrai Messire… » balbutia Belin.

« Non ! »

Ecthelion le prit dans ses bras avant qu'il ne tombe.

« Accrochez-vous, je vais vous sauver ! »

Mais le regard de Belin devint fixe un instant, et il ferma les yeux. Le visage d'Ecthelion se déforma en une grimace horrible.

« Non... Non… ! »

Tous les loups avaient été tués, mais l'elfe ne s'en aperçut pas. Il s'était agenouillé sur le sol, le corps de son écuyer dans les bras.

« Belin… Mon Belin... » sanglotait-il, la tête posée contre le visage de son ami.

Un veneur descendit à bas de son cheval.

« Je ne l'ai pas fait exprès ! » s'exclama-t-il. « J'ai cru que c'était un orque… Je ne pensais pas qu'il s'agissait d'un elfe. »

« Ce n'est pas un elfe... » murmura Ecthelion entre ses pleurs. « C'est un humain... »

« Ouf ! » lâcha le servant de Celegorm, l'air soulagé. « J'ai eu peur d'avoir fait un autre Meurtre Fratricide. Mais je suis rassuré maintenant. »

Ecthelion saisit l'elfe par les épaules et commença à le frapper.

« Meurtrier ! Meurtrier ! » criait-il. « Tu vas mourir ! »

« Il suffit ! »

Une voix froide s'était élevée, au moment où Celegorm tentait de sauver son piqueur, dont le visage était déjà méconnaissable.

« L'humain n'est pas mort », dit la voix. « Et je peux le soigner. »

Haletant, le chevalier de la Fontaine se tourna vers elle. Dans la lumière d'Isil, il distingua une silhouette vêtue de rouge, au front ceint d'un bandeau argenté.

Il écarquilla les yeux.

Ce visage qu'il vit alors, il ne le voyait pas pour la première fois... Il l'avait déjà contemplé dans les enluminures des livres d'histoire, sur les narrations des tapisseries.

Ses cheveux noirs comme le plumage d'un corbeau ressortaient sur sa peau pâle, ses yeux gris brillaient de leur propre feu.

« Fëanor... » murmura Ecthelion, incrédule.

 


 

IV

Le cerf

 

300 ans plus tôt.

 

La neige était tombée à nouveau cette nuit. Tout était blanc autour du lac Mithrim, et dans les bois. L'adolescente circulait furtivement entre les pins, ses cheveux étaient de la même couleur que la neige. Ses bottes fourrées n'y laissaient pas d'empreinte. Dans sa gibecière, elle avait déjà deux perdrix, mais une proie plus intéressante, inédite, avait surgi dans la clairière : un grand cerf majestueux, rescapé de la chasse à courre menée par Celegorm et Curufin. On entendait encore au loin les aboiements de leurs chiens. Elle s'avança en silence, derrière les buissons, banda son arc. Il fallait aller vite, viser les endroits stratégiques, ceux qui empêcheraient l'animal imposant de se relever.

Une flèche… Il tenta de fuir, percé d'un premier trait au flanc. Deux flèches… En haut de la cuisse arrière. Trois flèches… La dernière au buste. Il trébuchait, s'écroulait.

La jeune fille courut jusqu'à lui, dans la neige où perçaient quelques brins d'herbe, s'agenouilla, puis sortit sa dague. C'était le moment de la « mise à mort ». Le cerf tentait de se relever ; son œil brun la regarda.

Je dois être forte, pensa-t-elle.

Elle éleva la dague puis l'abattit plusieurs fois, sans baisser son regard. La bête s'était mis à pousser des cris rauques – puis plus rien... Le sang chaud et âcre coulait dans la neige. Horrifiée, l'adolescente croisa l'oeil du cerf, immobile. Le couteau lui tomba des mains.

Elle ne pouvait plus regarder ce cerf qu'elle avait tué, ni même seulement le voir ; elle se laissa tomber sur le sol, dans la couche de neige, à côté de l'animal inerte, les yeux braqués vers le ciel. Il était d'un gris presque uni... Quelques flocons commencèrent à tomber. Elle plissa les yeux ; des larmes dévalèrent ses joues.

Il faut être fort.

Marcher sur le fil de la lame, au milieu de la nuit.

Elle resta là de longues minutes. Quand elle se releva, les nerfs toujours à vif, elle prit soin de ne pas revoir le cerf, de lui tourner intégralement le dos. Puis elle se mit à courir, comme si elle fuyait. Elle descendit les reliefs qui menaient jusqu'au lac. Des deux côtés de cette vaste étendue d'eau, il y avait des tentes à perte de vue. Les bannières de Fingolfin flottaient ici et là, ainsi que celles des maisons de ses vassaux.

La ville de bois et de laine était encore endormie, à cause du temps. La jeune fille contourna une grande yourte qui arborait les armoiries anciennes d'une noble famille de Valinor. Elle entra dans une tente plus petite. Là, dans l'obscurité, au milieu de leurs meubles de fortune, un elfe jouait de la lyre. Ses longs cheveux noirs aux reflets gris cachaient une partie de son visage.

Il sourit.

« Tu es essoufflée, petite soeur. Où étais-tu partie ?  »

Il avait cessé de jouer, et leva les yeux. Ils étaient d'un bleu très clair, ourlés de cils longs et noirs. Mais son visage était dur.

« Je suis allée chasser », répondit la jeune fille. « J'ai ramené des perdrix. Deux. »

Elle les sortit de sa besace. L'elfe regarda alternativement les oiseaux, puis les gants ensanglantés de sa sœur. Cette dernière se mit à respirer de manière plus intense.

Il faut être forte.

« Il y a aussi... », commença-t-elle, la voix brisée. « En descendant au sud-ouest… J'ai tué un cerf, mais je ne peux pas le transporter, il est trop lourd pour moi... »

« Bravo ! » s'exclama soudain une voix féminine, derrière elle.

C'était une très grande femme brune, en armure, étonnamment musclée.

« Maica », dit-elle, « c'est une grande prouesse, d'avoir tué un cerf sans aucune aide… N'est-ce pas, Korma ? »

Mais Korma ne dit rien. Il se contenta de regarder sa sœur, l'air préoccupé.

 

 


Chapter End Notes

Pour ceux/celles qui sont arrivés jusque ici : merci encore pour vos très nombreux retours. Je vais demander trois litres de tisane anti-dépressive à Penlodh. Et c'est encore mieux pour le livre I !


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