Maudits silmarils, livre 2 by Dilly

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Les Fils de Fëanor, II


Chapitre 20 : Les fils de Fëanor II

 

« Fëanor ? » s'exclama l'un des elfes en riant.

« Fëanor est mort il y a longtemps... » dit un autre.

« Celui que vous voyez devant vous est Curufin, son quatrième fils. »

Ecthelion regarda avec étonnement celui qui avait commencé à soigner son ami. « Oui, je me souviens maintenant... » La première fois que Belin avait été malade... Le médecin venu le soigner utilisait un livre écrit par Curufin.

« Nous n'enlevons pas la flèche ? » demanda l'un des elfes.

« Non, cela risque de provoquer une hémorragie durant le transport. »

L'humain était maintenant d'une blancheur mortelle. Curufin coupa le haut de la flèche d'un coup de sa dague, tranchante comme un sabre.

« Nous revenons au Bois-Vieux, maintenant que les loups ont été éliminés... J'ôterai la flèche là-bas. »

Il se releva, mais c'est alors qu'Ecthelion tomba brutalement devant lui, à genoux.

« Sauvez-le, je vous en supplie... » dit le jeune elfe.

Son regard était égaré, ses mains se crispaient.

« Je ne peux pas vivre sans lui... » s'entendit-il prononcer.

Il tremble, remarquèrent les Fëanoriens.

Celegorm, l'elfe à la stature large et aux cheveux cendrés avait remis son piqueur entre les mains d'un autre soignant. Il rejoignit le groupe, son grand chien avec lui. Ce dernier s'accroupit près du blessé et lui lécha le visage.

« Tyelkormo, l'un de tes hommes a presque tué cet humain », déclara Curufin.

Cela n'eut pas l'air d'attrister son frère aîné, ni de le scandaliser.

« Je l'avais bien compris. Mais c'était un accident. »

Et puis, qu'il meurt un peu plus tôt ou un peu plus tard, quelle différence cela fait-il ?

Comme tous les humains, il va pourrir et disparaître de cette terre à tout jamais.

Le groupe de chasseurs (il y en avait bien une cinquantaine, des hommes pour la plupart, mais aussi quelques femmes) traversa la plaine herbue, jusqu'à un petit bois et sa clairière intérieure. Là, ils dressèrent des lampes fëanoriennes, et des tentures pourpres entre les branches des arbres, pour prévenir la pluie. Belin fut installé sur un lit de camp, à cause du froid. On lui ôta son armure, lui enfila de nouveaux vêtements. Curufin lui administra à nouveau un anti-douleur, puis il se mit en devoir d'ôter la flèche. Ecthelion avait les larmes aux yeux.

« Soyez rassuré, il ne va pas souffrir », lui dit une femme-elfe en posant sa main sur la sienne.

Après avoir enlevé la flèche, on appliqua un cataplasme d'herbe sur la plaie, tandis que chantait une guérisseuse elfe – Ecthelion avait été le destinataire de ce type de chants quand il avait été lui-même blessé aux jambes. Une fois l’opération terminée, les Fëanoriens autorisèrent Ecthelion à veiller sur son écuyer, toujours endormi. Le jeune elfe vint s'asseoir à côté du lit de camp. Il observa Belin : sous ses longs cheveux d'or, son visage était détendu et moins pâle ; il caressa ces cheveux.

« Il faut que vous surviviez. »

Celegorm et Curufin les regardaient, tout en grignotant nonchalamment ce que leur portaient leurs serviteurs. Ils virent Ecthelion toucher un pendentif que l’humain avait autour du cou, puis prendre sa main dans la sienne et l’embrasser. 

Celegorm, mastiquant, se pencha vers son frère.

« Cet Ecthelion… Il ne serait pas un peu comme Nelyo, en fait ? »

 

* * *

 

Himlad

 

Ecthelion resta aux côtés de Belin toute la nuit. Le lendemain, la compagnie descendit jusqu'à la ville principale du royaume. Ce n'était pas une grande ville : elle avait été construite à l'endroit du premier camp militaire que Celegom et Curufin avaient placé, presque trois-cent ans auparavant. Les maisons étaient pour la plupart surélevées, leurs toits tous pointus. Il y avait de nombreuses guildes d'artisans : menuisiers, tisseurs, selliers, et surtout joaillers, métallurgistes, fabricants d'armes diverses, qui concevaient et produisaient toutes les lances, épées et arcs des armées fëanoriennes. Le bois remontait d'Estolad, les métaux et les fibres affluaient à partir du Thargelion.

Le palais des deux frères était situé au centre de la bourgade. Les murailles, couvertes de plaques d'airain étincelantes au crépuscule, étaient entouré de douves remplies d'eau. En cas d'attaque, la population de la cité et des environs pouvait se réfugier derrière ces murs, car le donjon en lui-même n'occupait qu'une petite partie de toute la surface du domaine fortifié. Ce donjon était un édifice rectangulaire assez sobre, mais dont l'intérieur était décoré de nombreuses fresques et tapisseries. Il y avait également plusieurs jardins intérieurs.

« J'aimerais que vous puissiez voir cela, Belin », pensa Ecthelion.  

On lui donna une chambre réservée aux hôtes de marque, mais il ne quitta pas celle où dormait Belin, le veillant sans prendre de repos.

« Il réagit bien à nos traitements », dit une guérisseuse.

« Il va survivre, vous en êtes sûre ? »

« On ne peut être sûr de rien, comme il est d'une autre race. Mais la flèche ne semble pas avoir endommagé d'organe interne. »

Le deuxième jour après son arrivée dans la cité d'Himlad, l'humain ouvrit les yeux, et regarda autour de lui avec surprise, comme il ne reconnaissait pas du tout les lieux. Il s'examina, car il avait mal au côté gauche : il vit que son épaule était bandée. La chambre était déserte. Le seul mouvement était créé par des fumigations, qui s'élevaient en volutes, à partir d'un haut encensoir incrusté de gemmes.

« Messire ? » appela Belin.

Il entendit tout d'un coup un bruit de cavalcade, et vit Ecthelion surgir du couloir, vêtu de vêtements rouges. En un instant il fut sur lui, prit son visage entre les mains.

« Vous êtes réveillé ! Vous n'avez pas trop mal ? »

« Non Messire... »

« Je suis si heureux ! »

« Mais où sommes n... »

L'humain n'eut pas le temps de finir sa phrase. Il sentit soudain les lèvres d'Ecthelion se presser avec ferveur contre les siennes. Puis elles s'éloignèrent. Oh, cela avait été si doux ! Il n'en sentait plus sa blessure.

« Messire... Vous m'avez baisé ! » s'émerveilla-t-il.

« Mais non ! » s'exclama Ecthelion, une expression d'incrédulité sur la face.

« Si Messire, vous m'avez baisé », insista Belin.

« Qui a baisé qui ? » demanda Curufin, qui venait d'entrer.

« Mon seigneur », répondit Belin.

« Mais non ! » répéta Ecthelion, qui semblait ne pas croire ce qu'il venait de faire.

Décidément, les tendances de mon frère Nelyafinwë sont plus répandues que je ne le pensais, songea Curufin.

L'elfe examina l'écuyer et conclut qu'il lui faudrait beaucoup de repos, un peu de rééducation, mais qu'il ne devrait pas garder de séquelles de sa blessure. Néanmoins, il ne pourrait pas se servir de son bras gauche pendant un certain temps. Cela n'inquiéta pas Ecthelion, qui assura qu'il s'occuperait de lui, comme lui l'avait fait lorsqu'il s'était retrouvé privé de ses jambes.

Quant à Belin, il trouvait Ecthelion bien beau en rouge, cela faisait ressortir ses cheveux noirs.

 

* * *

 

Les noms

 

Lorsque son côté gauche commença à moins l'handicaper, l'humain put venir dîner un soir à la table du seigneur pour accompagner Ecthelion, mais il se sentit vite perdu, tant Celegorm, Curufin et leurs suivants parlaient de personnes qu'il ne connaissait pas : il y en avait un dénommé Le Fourbe, un autre appelé L'Imposteur, et enfin un troisième qu'ils appelaient Le Bâtard. Puis ils en virent à discuter du Grand Roy des Noldor : la rumeur prétendait que ses coffres étaient si vides qu'on l'appellerait bientôt « Fingolfin le Démuni ».

« C'est peut-être moins pire que Les Dépossédés », dit alors Curufin avec sarcasme.

« Il devrait vendre tous les cadeaux que Maedhros fait à son fils. Il y en a pour une petite fortune », opina Celegorm. « Et dire que je croyais qu'ils étaient ensemble... »

« Vous voyez... » chuchota Ecthelion dans l'oreille de Belin.

« Notre frère est beaucoup moins timide avec mon maître d'armes », déclara Curufin. « A chaque fois qu'il séjourne ici je le retrouve dans son lit. »

« Est-ce que c'est vrai qu'il aime les écuyers ? » s'inquiéta Ecthelion.

« Seulement les bruns », répondit Curufin.

Ecthelion parut soulagé.

« C'est presque dommage que Nelyo ne parvienne pas à ses fins avec notre cousin », dit soudain Celegorm. « J'imagine d'ici la tête que ferait Lance-dans-le-fion... »

« Qui est Lansdenlfion ? » s'enquit Belin.

« Il faut suivre un petit peu », s'agaça Ecthelion.

« Mais on ne devrait peut-être pas tenir ces propos devant des suivants de Turgon », dit Celegorm avec théâtralité.

« Pourquoi pas ? » répliqua Curufin, les yeux brillants. « Son père était l'un des nôtres autrefois. »

« Korma, l'élève de Maglor ! » acquiesça Ecthelion.

« Le Divin Korma, l'elfe-sirène », déclama Curufin. « Ne vous êtes-vous pas plaint de Turgon, qui ne cesse de vous blâmer et ne vous fait point honneur ? Et de l'Usurp-... de Fingolfin, qui a donné votre fief légitime à une femme ? Les voleurs s'entendent avec les voleurs. »

Celegorm se pencha vers son frère, pour lui murmurer : « Korma, le demi-Teler... On n'avait pas tué sa mère, à Alqualondë ? »

« Non, tu confonds avec le vassal de Caranthir, l'ostréiculteur. »

« Ah oui, c'est vrai... »

Il lança une cuisse de poulet à Huan, qui l'attrapa au vol.

« Souvenez-vous que si Turgon et son Père ne vous considèrent pas », conclut alors Curufin, « il est une maison, en Beleriand, chez qui vous serez bienvenus et honorés. »

« Ce n'est point vrai », dit alors Belin, délaissant un instant son potage. « L'Grand Roy et notr' bon roy Turgon ils nous avaient distingué chacun t'une médaille. »

Ecthelion lui donna un coup de coude.

« De la ferraille que l'on donne à un chien », dit l'elfe qui ressemblait tant à Fëanor. « Avez-vous un collier autour du cou ? »

Huan émit un grognement questionnant.

« Penlodh a dit que ma tante était dangereuse », déclara Ecthelion.

« Cet espèce de ... » commença Celegorm.

« Il a raison », l'interrompit Curufin.

L'un des nobles Noldor présents à leur table prit la parole.

« Elle a l'air d'une brute épaisse, quand on ne la connaît pas, mais en réalité, elle est plus rusée qu'un serpent. »

« Elle m'a pris un cerf une fois, maintenant que j'y pense... » se souvint Celegorm.
 

 

* * *

 

Shibboless

 

 

Les plats se succédèrent. Plus le temps passait à la table fëanorienne, plus le chevalier de la Fontaine semblait sous le charme des nobles d'Himlad, ce qui inquiétait Belin.

« Et je dis Ecþelion, et non Ecsselion ! » lança pompeusement Curufin, verre levé.

« Mais non, c'est Messire Éctélion », dit naïvement Belin.

« Pas Éctélion, Ecþelion. »

« Écfélion », essaya l'humain.

« Il faut projeter votre langue », dit Curufin. « Ecþelion. »

« Ecfeu... Ecfè... Ecffélion », retenta Belin, la langue entre les dents.

« Tu aurais dû le laisser mourir, finalement », murmura Celegorm à Curufin.

 

* * *
 

Après le repas, quand lui et Ecthelion furent revenus dans la nouvelle chambre à deux lits qu'on leur avait attribuée, Belin continuait toujours à essayer de prononcer la Lettre, les sourcils froncés.

« C'est inutile », dit Ecthelion. « Et puis je préfère votre diction habituelle. »

« Messire », lui dit alors sérieusement Belin, « j'espère que vous n'allez point les rejoindre. Je ne veux point que nous trahissions notre bon roy Turgon et aussi le Grand Roy. »

« Vous me prenez pour qui ? Je ne trahirais jamais Fingon ! J'essaye de leur soutirer des informations, c'est tout. »

Belin sembla réfléchir quelques instants.

« Messire, j'ai quelque chose à vous dire. »

« Quoi ? »

Ecthelion tendit l'oreille, concentré, comprenant que Belin avait justement une information utile à lui rapporter. Mais l'écuyer semblait hésiter.

« Dites-moi ! »

L'humain sembla finir par se décider à parler, timide, les joues roses.

« Messire », déclara-t-il, les yeux baissés, « j'aimerais tant que vous me rebaisiez. »

Le Chevalier de la Fontaine tressaillit.

« Mais ça va pas ?! »

« Pourquoi Messire ? Je n'vous en voulons point. Vous pouvez bien recommencer sans que j'me fasche. »

« Je croyais que vous aviez quelque chose d'important à me dire... » grommela l'elfe.

« C'était cela. »

Ecthelion regarda son écuyer. Il semblait plus beau que jamais ce soir-là, dans ses vêtements tout neufs, avec ses yeux bleus comme le ciel, sa barbe et ses cheveux luisant d'or sous la lumière des chandelles.

Mais surtout, il était là, en vie, avec lui, tout près de lui. Il en eut mal dans la poitrine.

« Je ne l'diroi point t'à personne, Messire, personne ne l'saura. »

Ecthelion sembla hésiter, regardant l'humain d'un air languissant.

Puis soudain, il déposa un bref baiser sur les lèvres barbues et piquantes.

« C'est pour vous faire plaisir », précisa-t-il immédiatement.

Et en effet, le fils du meunier avait l'air au comble du bonheur. Il ouvrit ses bras en grand, mais ce mouvement brusque réveilla sa douleur. « Argh ! »

Ecthelion l'aida à aller se coucher. Il se sentait étrange.

 

* * *

 

Héroïque fantaisie IV

 

L'air sinistre, le roi du Thargelion et ses compagnons se tenaient debout dans la grande salle de la non moins sinistre Auberge dite de la Belette Accablée, à la frontière Sud-Est du royaume, seulement vêtus d'un drap de lit enroulé autour de leurs muscles. La peau du visage de Caranthir, rouge sous ses cheveux noir charbon, semblait comme tenter de contenir l'explosion du sang qui couvait sous elle.

« Bienvenue à vous ! » s'exclama le commerçant à chapeau de paille. « C'est toujours un plaisir de faire des affaires avec des aventuriers ! J'ai beaucoup de choses à troquer en ce moment. Rations, matériel d'artisanat, armes pour toutes les races, armures, potions diverses, vêtements de voyage et d'ornementation… De quoi avez-vous besoin ? »

« On nous a volés », déclara péniblement Caranthir. « Tout a disparu dans nos chambres. Et je ne suis pas un simple aventurier, je suis Caranthir, fils de Fëanor et roi du Thargelion ! »

« Vous êtes un elfe de quelle région ? » demanda le commerçant.

« Je viens de vous dire que je viens du Thargelion… »

« Ah… J'ai un ensemble d'Elfe Noir Alchimiste des Ténèbres, ce sera parfait pour vous ! »

Il ne fut plus possible à Caranthir de se contenir.

« Tu crois que je suis un Elfe Noir, misérable pouilleux ?! Je suis le petit-fils de Finwë, roi des Noldor au-delà des Mers, né dans la Lumière des Deux Arbres, touché par la lumière des Silmarils ! »

Le négociant plissa les yeux.

« Vous êtes bien sombre, tout de même. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas l'armure de l'Elfe Noir ? Elle vous irait bien, et il y a un bonus de maîtrise mentale. »

« NON. »

« Hum, très bien... Alors j'ai celle-ci. Une armure d'argent, avec son bouclier couvert de cabochons de cristal. Je l'ai baptisée Armure du Paladin du Lac Eternel. Je vous fais un prix, dix pièces d'or. »

« Elle n'est pas du tout au prix du marché. »

« C'est une faveur que je vous accorde, votre grâce. »

« Vous n'êtes pas d'ici. D'où venez-vous ? »

« D'Estolad monseigneur. »

« Avez-vous payé les droits de douane ? »

« Euh... Non. »

« Et la patente ? »

« La quoi ? »

« Le droit de vente. Non ? Huissier, veuillez calculer le montant des impayés. »

L'huissier elfe sortit un carnet et se mit à écrire rapidement. Puis il commença à fouiller les caisses qui entouraient le marchand, sortant un à un les articles et prenant des notes.

Le marchand commença à paniquer.

« Vous n'avez pas le droit de faire ça ! » protesta-t-il.

« Bien sûr que si », répondit Caranthir. « Puis-je voir votre livre de comptes ? »

« Je n'en ai pas... »

« Vous êtes en Thargelion, le livre de comptes est obligatoire. »

L'huissier elfe tenait maintenant dans sa main un vieux gilet de laine.

« Qui voudrait bien acheter ça ? » s'étonna-t-il à voix haute. Puis il commença à compter le stock de potions.

« En plus de la patente et des droits de douane non payés, vous devrez vous affranchir d'une amende pour non déclaration de marchandises. »

« Je crois que nous n'aurons même pas à payer nos armures », s'amusa l’un des suivants de Caranthir.

« Une culotte de femme », continua d'égrener l'huissier. « Un poignard en acier à incrustations de cobalt... Un cuissot de sanglier... Un pot de confiture aux myrtilles... Un livre de sorts... L'histoire de Denethor le Preux... Un bracelet magique muni d'une protection anti-moustiques... Une chemise de soie rouge... Un caleçon marqué d'une étoile à huit branches... Une méthode pour apprendre le khuzdul... Mais ?! Ce sont nos effets personnels ! »

Le visage de Caranthir acheva de tourner à l'écarlate, tandis que celui du marchand gagnait encore une teinte de blanc.

« Confisquez toutes les marchandises, et saisissez-vous de cet imposteur. »


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