Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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Amours secrets

Deux amours cachés


Remarque importante :  Le dialogue entre Maedhros et Idril dans la deuxième partie est directement inspiré de l’épisode "La romance de Lancelot" de la série Kaamelott d’Alexandre Astier. 


Chapitre 32 : Amours secrets

 

 

Plus au sud, dans un autre Royaume Caché, vivait un autre roi mal embouché.

Ce dernier n’avait pas attendu longtemps pour paraître plus vieux que son âge : ses cheveux étaient devenus gris depuis qu’il avait rencontré sa femme, la maïa Melian, ce qui ne laissait pas d’entretenir les spéculations sur le petit caractère de la dame dans le privé… 

Comme Turgon, le roi Thingol – puisqu’il s’agissait de lui – avait une fille unique dont la beauté faisait l’admiration de tous. Comme Turgon, il s’était adjoint un grand connétable à la force extraordinaire, Mablung à la Main Lourde. 

« Argh ! Mais faites attention, Mablung », dit Saeros, jeune conseiller du roi. « Je vous ai déjà dit de ne pas vous appuyer sur ma chaise avec vos grandes paluches, la dernière fois elle s’est cassée. »

« Mais vous êtes bien précieux à la fin ! », répondit Mablung en fronçant les sourcils. « Vous n’avez qu’à choisir autre chose que ces sièges en dentelle de bois.»

« Libre à vous de vous asseoir sur de la pierre », répliqua Saeros. « Mais il me semble qu’un homme de bien choisit toujours le confort et le raffinement quand il le peut. »

« Blablablabla.. », marmonna Mablung en s’éloignant pour se verser un verre de vin.

Puis il se tut, ou plutôt il garda la bouche ouverte sans dire un mot, car Lúthien la Belle venait de faire son entrée dans la grande salle du Menelrond, et elle vint s’agenouiller au centre du dallage, juste sous le dôme couvert d’étoiles, le visage masqué par ses cheveux noirs, et les oreilles surmontées de fleurs blanches.

« Daeron ! », enjoignit soudain le roi Thingol sur son trône. « Jouez ! »

Le ménestrel du roi se tourna vers son orchestre. Le tambour commença à frapper en rythme ; la harpiste ajouta une deuxième ligne de fond. Tous les regards s’étaient tournés vers Lúthien, toujours immobile. Alors Daeron prit sa grande flûte et se mit à jouer, et l’on aurait dit que c’était le chant d’oiseaux, mais d’oiseaux qui battaient rapidement et fébrilement des ailes en suivant l’emballement de leur cœur.

Lúthien s’était levée, son visage et ses bras avaient émergé hors de sa chevelure comme des monceaux de neige hors des ténèbres de la nuit. A la première note de flûte de Daeron, elle s’élança en bondissant et virevoltant, et les longues manches bleu clair de sa robe de soie tourbillonnèrent et frappèrent les piliers disposés en cercle, libérant une pluie de givre. 
Tous les hommes de la cour avaient cessé de boire et ouvraient de grands yeux. 

L’éclat de sa peau n’avait pas d’égale sur terre, non plus que la perfection et la symétrie de ses traits, la ligne pure de son profil qui se prolongeait jusqu’au fond de sa gorge ronde tandis qu’elle étirait le cou, semblant mimer un baiser imaginaire. Et ce n’était pas finesse de traits fade, car ils étaient littéralement irradiés de l’intérieur, aussi le regard ne pouvait-il jamais se lasser de cette géométrie semblant appartenir à un autre monde. 

Mais sa chair était véritable chair : intimement liée à la nature et aux saisons, Lúthien portait sa robe couleur de ciel à même sa peau nue ; ses jambes fuselées se laissaient voir à travers la toile fine seulement tenue par des agrafes d’or, et elles se découvrirent, une fois, deux fois…

Dans l’assemblée, une trentaine de nobles elfes (ainsi qu’un nombre non négligeable de femmes) se mirent à saigner du nez. D’autres avancèrent comme des somnambules, mais furent retenus par leur épouse ou par les gardes.

La musique de l’orchestre se fit plus rapide, le tempo éperdu, délirant, paroxystique.

Sous les pieds de Tinúviel, des morceaux de mosaïque commençaient à se soulever, poussés par des tiges de fleurs en bourgeon qui se dressèrent hors du sol.

Elle tendit ses bras vers le ciel…

« Le printemps est de retour ! », s’exclama Elu Thingol, en se levant d’un mouvement, son verre à la main.

Lúthien retomba agenouillée, tête baissée, le bras gracieusement courbé en mouvement de révérence.

Il y eut des applaudissements clairsemés dans le public, car il fallut plusieurs minutes à la plupart des mâles (ainsi qu’à un nombre non négligeable de femmes) pour revenir à la réalité.

« Daeron, venez me voir », fit Thingol à l’adresse du barde.

L’elfe vint vers lui. Il ne put néanmoins s’empêcher de poser ses yeux sur Lúthien la Belle, qui s’était laissée tomber dans un fauteuil, toutes courbes suaves et longs cils noirs. Pourtant ce n’était pas la convoitise charnelle qui brillait dans les yeux de Daeron, mais un amour profond et ancien, car lui et Lúthien étaient amis d’enfance.

Thingol approcha sa royale bouche de l’oreille musicale.

« N’y pensez même pas », lui murmura-t-il sèchement.

 

* * *

Dans une cuisine du château de Tol Sirion, Maedhros, le prince d’Himring, se tenait assis aux côtés d’Idril, sa nièce.

« Vous n’avez pas l’air dans votre assiette, mon oncle » , dit soudain la jeune elfe, toute de cheveux blonds brillants et grands yeux ourlés de cils papillonnants.

Depuis son retour du Thangorodrim, Maedhros n’avait jamais eu l’air dans son assiette. D’ailleurs, quand on y réfléchissait, depuis l’arrivée-même de Melkor en Valinor, il avait commencé à dépérir, à perdre la santé rebondie de son visage.

« Oh, dites-moi ce qui ne va pas, je peux peut-être vous aider… »

« Je ne pense pas », répondit l’ancien roi.

« C’est à cause de votre main ? »

« Non. »

« A cause de ce que l’on dit sur vous ? »

Le fils aîné de Fëanor fronça les sourcils.

« De ce que l’on dit sur moi ? »

« Oui, comme vous n’êtes toujours pas marié… »

« Je vois... On dit que je vis dans l’abnégation de ma charge. »

« Ah non, ce n’est pas ça qu’on dit. »

« Que dit-on ? »

« Vous imaginez bien… Comme on ne vous voit jamais avec une femme. »

« Ce sont des perfidies. »

« N’ayez crainte mon oncle », fit Idril en lui tapotant le bout du moignon, « je ne crois pas du tout ces mauvaises langues. Je suis sûre que vous êtes seul parce que vous n’avez pas encore trouvé le grand amour, ou parce que vous l’avez trouvé, mais que vous l’aimez en secret, parce que vous êtes trop timide pour lui avouer vos sentiments. »

Maedhros regarda d’abord Idril avec un air consterné. Puis, comme si le sens de ses propos venaient de prendre un nouvel éclairage dans son esprit, il dit alors, d’une voix basse, comme s’il se délivrait physiquement d’un fardeau par les mots qu’il prononçait.

« C’est vrai, j’aime quelqu’un en secret. »

Idril joignit les mains, la respiration coupée.

« Oh mon oncle, mais qui est-ce ? »

« Je ne peux pas le dire. »

« Pourquoi ? »

« C’est un amour interdit », répondit-il gravement.

« C’est la femme d’un autre ! », réalisa Idril.

« Non… Mais, ce sont d’autres lois qui… »

« Elle est déjà fiancée ? Ou c’est une proche parente ? »

« Je ne peux pas le dire », répéta Maedhros, s’apercevant qu’il s’était déjà trop dévoilé. « Quand je dis que cet amour est interdit, je pense surtout qu’il est sans espoir. »

« Vous n’êtes pas obligé de me dire son nom dans ce cas… Elle est peut-être d’une autre race elfique, ou de basse extraction. »

« Non », s’entendit répondre Maedhros.

« Est-elle la fille d’un grand seigneur ? »

« En quelque sorte. »

« Oh, parlez-moi d’elle ! Même si vous me cachez son identité ! Cela me fait tellement plaisir de savoir que vous êtes amoureux. »

« Hé bien », commença Maedhros avec un léger sourire, « c’est la plus belle personne qui existe au monde. Mais je ne parle pas de beauté physique. Non… C’est son âme… Il… Elle… Elle est d’une honnêteté, d’un courage, d’une bonté… Et la beauté de son âme et de son corps n’est que le reflet et l’expression de son esprit. »

« Comme c’est beau ! », s’exclama Idril. « Oh, dites-moi en plus encore ! Est-elle brune ? blonde ? »

« Hum… Brune. »

Il se racla la gorge.

« Et ses yeux ? »

« Ils sont bleus comme l'était le ciel de Valinor. Et ils semblent scintiller, comme le miroitement du soleil sur la mer. Et il… hum elle, a des sourcils noirs si purs qui lui donnent une expression décidée et intrépide… »

« Elle a vraiment l’air très jolie ! Est-elle grande ? »

« Oui… Et musclée », ajouta Maedhros.

« C’est une athlète, comme tante Aredhel ? »

« En quelque sorte. »

« Vous pensez qu’elle vous aime elle aussi ? »

« Je ne pense pas, non. Il… Elle se comporte comme une très bon amie avec moi, mais c’est tout. Un jour, i-elle a fait quelque chose de très dangereux pour moi, mais c’était à cause de son grand cœur. Oh, je l’aime tellement… »

Son visage eut une expression de douleur et de ferveur mêlés.

« Parfois je lui envoie des présents », poursuivit-il, « pour lui montrer mon affection et mon admiration, mais je n’ose rien faire d’autre. »

« Il faut que vous vous déclariez ! Elle ne saurait résister à des choses si joliment dites ! »

« Mais qui voudrait aimer un mutilé, un pauvre manchot ? », gémit Maedhros.

« Oh, pauvre oncle… », fit Idril en lui posant une main sur l’épaule. « N’ayez crainte, je suis sûre que les femmes aiment les manchots. »

« Vous êtes une femme. Aimez-vous les manchots ? »

« Non, mais c’est parce que je suis votre nièce. Je suis sûre que les autres femmes oui ! »

Maedhros fronça les sourcils. Il y avait quelque chose dans le circuit du cerveau d’Idril qu’il n’arrivait pas à suivre.

« Vous voyez, je savais que c’était votre main qui vous rendait malheureux. C’est toujours difficile de perdre une partie de soi-même. »

Les yeux de son aîné s’écarquillèrent.

« Mais je suis plus maline que vous croyez… Vous avez fait une erreur… J’ai compris de qui vous parliez. Mais rassurez-vous, je ne le dirai à personne. »

« Quoi ? »

« Votre langue n’a pas cessé de fourcher. »

Maedhros pâlit. Ainsi c’en était fini de lui…

« Oui », poursuivit Idril. « Vous commenciez par dire il… quand vous parliez de votre grand amour secret. C’est donc que son prénom commence par ces deux lettres… Et des filles de grands seigneurs brunes aux yeux bleus dont le nom commence ainsi il n’y en a pas beaucoup… Il n’y en a même qu’une, Ilvanya, la sœur de la femme d’Angrod. Vous croyiez vraiment que je ne devinerais pas, mais moi, j’ai tout compris… Et dire que des gens s’imaginent que vous aimez les garçons ! »

 


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