Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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La mode


Chapitre 34 : La mode

« Glorfindel… Expliquez-moi pourquoi la moitié des elfes que je croise depuis une semaine sont habillés dans un espèce de marron-rouge qui fait mal aux yeux ? »

« Ils appellent cela la couleur "puce" majesté. Il paraît que c’est la dernière mode à Barad-Eithel, depuis que le prince Fingon a porté un ensemble de cette couleur lors d’une fête. »

« Pourquoi faut-il que mon frère soit toujours lié de près ou de loin à tous les événements négatifs qui jalonnent ma vie ? »

« Il s’agit probablement de coïncidences, mon roi », opina raisonnablement Penlodh.

« Vite, soldats ! », se mit à dire Turgon en imitant la voix de Fingon. « Allons secourir Maedhros en train de se faire démolir à coups de rame contre une proue blanche en forme de canard ! Vite, père ! Traversons le désert de glaces pour coller une raclée à l’infernal Maedhros qui nous a trahis ! Vite, père ! Achetons un poney à Turgon pour qu’il puisse faire du cheval avec moi ! »

« Je crois que votre majesté a besoin d’une tasse d’infusion. »

* * *

Trois mois plus tard, ce fut le bleu pervenche qui fit un tabac, et les coiffures prirent une autre tournure. On portait désormais volontiers les cheveux libres et lisses dans le dos, avec seulement une fine tresse devant l’oreille, sur la tempe.

« Encore une nouvelle mode… », constata Turgon.

« C’est exact », confirma Penlodh, qui portait lui-même ces tresses. « Ma sœur Nieninquë a insisté pour me les faire, ce matin. Et elle m’a confié qu’elle tenait de sa coiffeuse que cette nouvelle façon venait de la capitale, où votre frère Fingon, lors d’un banquet, arbora ces deux tresses sur le devant au lieu de ses larges nattes habituelles. »

Hildor traversa la cour, vêtu de bleu pervenche, avec deux tresses devant les oreilles.

« Mais c’est tout de même fou… », commença Turgon. « Il suffit qu’une personne en vue fasse quelque chose, même quelque chose de stupide, pour que tout le Beleriand suive ? »

« Dans le domaine des modes, il semblerait que oui. »

« Et si mon frère se met à s’habiller comme un Naugrim ou à se raser la tête, tout le monde fera comme lui ? »

« Il est possible que oui, mon roi. Rappelez-vous à Valinor, ce fut lui qui lança la mode des rubans dans les cheveux. »

« Quoi ? Mais je pensais que cela avait toujours existé... »

« Non, non. C'était votre frère, Majesté. »

* * *

La saison suivante, Turgon se trouva, à la Table Ronde, brusquement entouré de nobles chevaliers portant la totalité de leurs cheveux tirés et noués en un chignon serré tout en haut de la nuque, avec parfois une broche sertie de perles fixée derrière la tête, sous le chignon. Seul Glorfindel et Ecthelion n’avaient pas succombé au phénomène. Ecthelion portait ses longs cheveux raides sans attache, coiffés d’une simple raie sur le côté (pour la simple raison qu'il n'avait pas de valet pour se les coiffer). Glorfindel gardait toujours ses cheveux lâchés, fier qu'il était de leur éclat et de leur blondeur.

« Depuis quand le chignon regroupant tous les cheveux est-il une coiffure d’homme ? », s’étonna Turgon à voix basse, dans l’oreille désormais bien dégagée de Penlodh.

« Il paraît que cela souligne la beauté et la force des nuques masculines, majesté… La barrette d’or ou de perles est censée renforcer cet effet, en contrastant avec la teinte foncée des cheveux. Du moins c'est ce que m’a expliqué Hildor, votre ménestrel. »

« Très bien. N’en dites pas plus. C’est encore une idée de mon frère, n'est-ce-pas ? »

L'intendant hocha la tête.

Turgon tendit la main pour se défouler sur sa mèche de cheveux droite. Mais ses doigts se refermèrent sur du vide. Il se rendit compte avec terreur que ses propres cheveux étaient attachés en chignon.

« Quoi ?! »

* * *

Alors, la veille du premier grand banquet d’hiver, le souverain se regarda dans le miroir de sa royale coiffeuse et décida de mener une expérience, car il était l'un de ces Noldor audacieux qui ne reculent devant rien. Il essaya différents types de tresses, mais tout lui parut être du déjà-vu. Ce fut seulement quand il défit les deux grosses nattes serrées qu'il s'était faite devant les oreilles qu'il eut l'illumination.

Lorsqu'il parut au banquet, tous s'étonnèrent à la vue des deux grosses anglaises noires qu'il portait devant chaque oreille.

« Père, je ne suis pas sûre que... », murmura Idril en le retenant par le bras.

« Laisse, ma fille. J'ai bien le droit de me coiffer comme je veux. »

« Hum... Je crois que le roi a eu un incident de fer à boucler », fit observer Glorfindel à Ecthelion.

« Je ne sais pas, je n'en utilise jamais », répondit l'autre.

« Moi non plus », dit le Seigneur de la Fleur d'Or. « Mais si il avait utilisé un fer à boucler et qu'il l'avait laissé sur ses mèches trop longtemps, c'est à cela que cela aurait pu ressembler. Cela peut aussi arriver avec des papillottes en tissu. »

Ecthelion posa un regard suspicieux sur la cascade de boucles blondes du connétable.

« Que pensez-vous de ma coiffure, Penlodh ? », demanda le roi quand il eut rejoint son ministre.

« Hé bien... C'est hum, original », répondit le demi-Vanya.

Il avait prononcé ces mots comme on prononce des condoléances.

« Ne le dites à personne », murmura le roi, « mais je fais une sorte d'expérience sociologique. »

« Ah ? », fit Penlodh avec intérêt.

« Je veux voir si je parviens à lancer une nouvelle mode. »

Une semaine plus tard, personne ne portait des anglaises devant les oreilles. Non plus que le mois qui suivit.

Il était temps de mettre un point final à l'essai.

« Penlodh, je crois que l'on peut conclure de cette expérience sociologique que je ne suis pas un lanceur de tendances », déclara alors le roi Turgon.

« Je le pense aussi, Majesté. »

« En réalité, c'est bien plus difficile que je ne le présumais au départ. »

« Votre frère le prince Fingon a toujours possédé un sens inné de l'esthétique mouvante des êtres. Vous êtes davantage un artiste de la pierre et du métal. »

« Mouais... Il n'y a pas que cela. C'est aussi le prince héritier et j'ai toujours entendu dire, depuis ma plus tendre enfance, qu'il était aussi beau que mon père... qu'il était parfait en tout point. Les gens veulent ressembler à ce qui est parfait. »

Il y eut un silence. Penlodh se tourna légèrement vers Turgon et vit qu'il avait l'air pensif sur son trône. Il toussa.

« Si je puis me le permettre, sire… », dit-il alors. « Si l’on évalue la beauté selon des critères de symétrie et de droiture des traits du visage, ainsi que de taille... votre majesté l’emporterait certainement sur son Excellence le Prince Fingon. »

« Vous pensez vraiment ce que vous dites ? », s'étonna Turgon.

« Tout à fait. D’ailleurs sa Majesté me rappelle à bien des égards feu le roi Finwë, quand il régnait sur notre regrettée Tirion. »

Turgon tourna vers lui des yeux humides de reconnaissance.

Penlodh sourit.

 


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