Maudits silmarils, livre 1 by Dilly

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La température des elfes


Chapitre 35 : La température des elfes

 

Le premier vrai repas elfique de Belin, dans une auberge du Thargelion, avait été difficile. On leur avait servi une pièce de viande accompagnée de feuilles de vigne farcies.

« Messire, vous pourriez me passer une cuillère, s'il-vous-plaît ? », demanda-t-il à Ecthelion.

« Pourquoi ? Nous ne sommes pas à la soupe. »

L'humain n'osa rien ajouter. Le Seigneur de la Fontaine prit le plat, se découpa un morceau de viande qu'il posa dans son assiette, puis se servit en feuilles de vigne farcies à la main.

« Tenez. »

Belin prit le parti d'imiter son chef et se servit de la même manière. Puis, considérant la nourriture qui était dans son assiette, il ajouta timidement :

«  Ou une petite fourche, messire ? »

« Vous n'avez pas besoin de cela. Les gens civilisés mangent avec les mains. »

Belin détourna les yeux, honteux sous le regard méprisant que venait de lui jeter le seigneur elfe. Il décida de piquer les aliments sur son couteau, comme il le faisait quand il mangeait dehors à la campagne.

Depuis, les choses avaient bien changé entre eux, mais Ecthelion refusait tout de même de lui donner du lembas.

« Seuls les elfes auxquels la Dame a donné le lembas ont le droit d'en manger », expliqua-t-il. « Ce serait une sorte de trahison si je le partageais avec vous. Et puis c'est la première fois qu'Idril m'en donne, alors bon. »

On sentait qu'il était fier de cette promotion.

« Je m'demandais juste quel goût ça a », reprit Belin.

« Ce n'est pas mauvais. Mais c'est moins bon que vos gâteaux. De toute façon c'est mieux que ce soit vous qui mangiez la vraie nourriture. On ne sait pas si le lembas convient vraiment aux humains. »

Belin se coupa une nouvelle tranche de saucisson elfique, puis prit un morceau de leur fromage de brebis en forme d'étoile.

« Vous n'en voulez point messire ? »

« Non merci », répondit Ecthelion en mâchonnant son lembas. « Je repensais à ce que nous avait dit ce camelot noldorin au sujet de cette grotte mystérieuse qui est le but de notre mission... Comment s'appelait-il déjà ? »

« Pehenghi messire. Il a dit qu'une goule lui avait volé son livre, et que si on le récupérait il nous donneroit une récompense. »

« Ça tombe bien. Comme ça on fait d'une pierre deux coups ! Avec cela nous allons gagner plein d'expérience.»

 

* * *

 

L'entrée de la grotte se trouvait à l'intérieur d'un ancien puits, qu'ils mirent du temps à localiser. Une fois à l'intérieur, ils massacrèrent la goule avec enthousiasme, puis passèrent dans la salle du trésor.

Tandis qu'Ecthelion, couvert de sang noir, se dirigeait vers l'autel, sur le côté de la salle, Belin se mettait en devoir d'ouvrir un coffre en bois, car il avait ramassé le porte-clefs de la goule, qu'elle avait laissé tomber à sa mort.

« Vous avez trouvé quelque chose ? », demanda l'elfe.

« Oui messire, c'est plein d'pièces ! »

« Ramassez-les ! Mais vous aviez vérifié s'il n'y avait pas de piège dans le coffre, comme je vous l'avais appris ? »

« Oui Messire. »

A ces mots, il commença à verser les pièces dans un grand sac.

Ecthelion inspecta l'autel. La table de pierre semblait dater de l'époque qui avait précédé la venue des Noldor en Beleriand. Elle était recouverte d'un tapis pourpre usagé, sur lequel se trouvaient plusieurs objets : une bougie éteinte, un grimoire, des jambières de cuir détruites, trois clémentines, une grande bouteille remplie de liquide rose fuchsia.

« Je crois que j'ai trouvé ce que nous cherchions. »

Tout tintant parce qu'il était rempli de pièces, Belin s'approcha.

« Le livre du marchand ! », s'exclama-t-il en avisant le grimoire. « Et ça, qu'est-ce donc ? »

Il désignait le flacon rose qu'Ecthelion tenait dans sa main droite.

« Ça, c'est une Potion de Longévité », répondit l'elfe.

« Vous allez la rapporter au roi, messire ? »

« Non ! Elle est pour vous ! »

Il se tourna vers son écuyer.

« Buvez ! », s'exclama-t-il en lui tendant la flasque.

Belin eut un mouvement de recul.

« Oh non messire, on n'est point sûr de c'qu'il y'a d'dans ! Et puis ça s'trouve, c'est périmé ! »

« Vous avez raison », dit Ecthelion en baissant le bras, cédant à la sagesse populaire. «Je la ferai examiner quand nous rentrerons à Gondolin. »

Ils ramassèrent le livre et sortirent.

 

* * *

Après avoir rapporté à Pehenghi son livre volé, et gagné leur récompense, ils prirent le chemin du retour. Malgré le siège d'Angband, certains points du Beleriand demeuraient encore dangereux, et le premier soir de leur voyage de retour, ils durent se coucher à même le sol sans faire de feu ni même dresser d’auvent.

Ecthelion était aux aguets.

« Vous entendez ce bruit ? », demanda l’elfe à voix basse.

« Non messire », répondit Belin.

« Ça c’est arrêté… », constata Ecthelion.

Mais cinq minutes plus tard, le bruit inquiétant reprit. 

« Bon sang, ça recommence... Belin, vous entendez ? C’est comme un cliquètement... »

« N’cherchez point, messire, c’sont mes dents… », avoua l'humain.

« Vos dents ? »

« Oui. »

« Vous avez froid ? »

« Un peu. »

Ecthelion haussa les sourcils.

« Il est vrai que moi-même je trouve qu’il fait trop frais… Alors j'imagine ce qu’il en est pour vous. Pourtant je vous avais donné trois couvertures... Vous voulez la mienne ? »

« Non point, sinon vous allez avoir froid vous aussi. »

Dix minutes passèrent, le claquement continuait. Alors Ecthelion se leva, sa couverture fourrée sur le dos, et vint s’étendre à côté de son écuyer. Le jeune homme était couché de profil ; l’elfe souleva les couvertures, se colla contre son dos et posa son bras autour de lui, jusqu’à atteindre sa main.

« Vous avez moins froid, là ? », chuchota-t-il.

« Oui messire », répondit l’humain.

Puis au bout de quelques minutes il ajouta :

« Vous êtes plus chaud que mes frères. »

« Les elfes ont une température interne légèrement supérieure à celle des Humains », expliqua le chevalier.

« Comment savez-vous ça ? »

« C’est un des médecins qui me l’avait dit quand vous étiez malade. »

Belin se retourna, pour regarder celui qui parlait dans son dos.

Quand ils étaient debout, l’homme dépassait à peine la hauteur de l’épaule de l’elfe, aussi ne se trouvaient-ils réellement face à face que lorsqu’ils étaient assis, notamment lorsqu’ils prenaient leurs repas.

Le visage d’Ecthelion était juste devant le sien, sa tête reposant sur le sol. Il avait soudain l’air extrêmement jeune. Et en réalité, d’une certaine manière, il était à peine plus âgé que Belin en terme de maturation physique. Ses yeux clairs brillaient. Mais ceux de l’humain brillaient aussi. Et alors qu’ils se trouvaient couchés l’un en face de l’autre, sous la nuit d’Elbereth, et que le reste du monde était plongé dans l’obscurité, il n’y avait plus ni hommes ni elfes. Juste deux jeunes âmes, et c’était souvent ainsi que ces deux-là ressentaient les choses.

« Belin... »

« Oui ? »

« Nous resterons toujours ensemble, n'est-ce-pas ? »

« Oui messire, j'resterons avec vous toujours. »

 

* * *

Quand ils furent rentrés à Gondolin, Ecthelion alla voir un alchimiste avari qui avait sa boutique dans le quartier sud, et dont l'enseigne était prometteuse :

Alchimiste professionnel et héréditaire –

Potions en tous genres –

Fait revenir l'amour –

Soigne l'impuissance –

Cas urgents et désespérés –

Résultats garantis

« Alors, il y a quoi dans cette bouteille ? », beugla Ecthelion à sa deuxième visite.

Le magicien reposa la Potion de Longévité sur son comptoir.

« D'après les analyses que j'ai faites, il s'agit d'un mélange concentré d'anti-oxydants. »

« C'est quoi ces trucs-là ? »

« De la vitamine C et E. »

« Vous pouvez parler clairement ? »

« Clairement ? Ça va pas le rendre immortel, votre humain, mais il aura la peau plus ferme. En tout cas, il ne s'en portera pas plus mal. »

Ecthelion faisait triste mine. Une énorme déception se lisait sur son visage.

« Ce n'est donc pas dangereux, vous dites ? »

« Tous les médicaments ont leurs effets secondaires. Mais moi si j'étais vous, je lui ferais plutôt manger des pommes... Ça reviendra au même. Et comme ça, vous ne prenez pas de risques. Le naturel... y'a que ça d'vrai de toute façon !»

 

 


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